À 32 ans, l'Américain Ben Goldhirsh s'inscrit dans le mouvement des entreprises sociales. Sa société, Good, compte 75 employés et réunit quatre millions de citoyens autour d'un objectif commun : réaliser des projets qui font du bien et qui rapportent. M. Goldhirsh tend la main aux grandes entreprises par l'intermédiaire de son service de consultation.
Diane Bérard - Votre entreprise se nomme Good. Que signifie le bien pour vous dans un contexte d'affaires ?
Ben Goldhirsh - Comme entrepreneur ou comme dirigeant, vous faites le bien lorsque votre intérêt personnel est arrimé à celui de la société. Lorsque ce qui rapporte à votre entreprise rapporte aussi à votre communauté.
D.B. - Good se définit comme une entreprise sociale. Qu'est-ce qui caractérise une entreprise sociale ? Doit-elle sauver le monde ?
B.G. - Pas du tout. Il ne faut pas confondre entrepreneuriat social et philanthropie. L'entreprise sociale est une «vraie» entreprise. Elle vise un rendement pour ses investisseurs. Ce qui la distingue des autres types d'entreprise, c'est qu'elle ne se limite pas à ce but. Elle sert une variété d'intérêts.
D.B. - Quelles sont les formes que peut prendre l'entreprise sociale ?
B.G. - Une entreprise se qualifie comme sociale soit par sa mission - elle a été créée pour faire le bien - soit par son produit, qui a des effets positifs sur la société.
D.B. - Vous estimez qu'Ebay est une entreprise sociale. C'est surprenant...
B.G. - Ebay appartient à la seconde catégorie d'entreprises sociales. Le fondateur, Pierre Omydiar, n'a jamais prétendu lancer une entreprise sociale. Mais toute entreprise qui accroît le pouvoir du consommateur ou du citoyen est sociale. Ebay a démocratisé la vente de biens par les particuliers. Elle permet de faire circuler ces objets au bénéfice des uns et des autres. Tout cela en créant de la valeur pour les actionnaires.
D.B. - Si la performance d'une entreprise sociale ne se limite pas à son bilan financier, comment en mesure-t-on l'efficacité ?
B.G. - Le B Lab se penche sur cette question. Cet organisme soutient le concept de B Corporation. Une B Corp est créée pour trouver des solutions à des problèmes sociaux ou environnementaux. On en compte 763 réparties dans 60 secteurs d'activité de 27 pays. Outre la performance financière et la rentabilité, on évalue l'efficacité d'une B Corp par des critères tels l'écart entre l'employé le plus et le moins payé, la parité pour ce qui est du genre et les procédures mises en place pour disposer de ses produits en fin de vie.
D.B. - Souhaitez-vous un monde uniquement peuplé d'entreprises sociales ?
D.B. - Souhaitez-vous un monde uniquement peuplé d'entreprises sociales ?
B.G. - Non, ce serait irréaliste. Je vise un monde peuplé d'entreprises «cons-cientes», dont les dirigeants comprennent leur impact sur la société et tentent de rendre celui-ci le plus positif possible.
D.B. - Vous estimez que les grandes entreprises fourmillent de gens qui veulent faire le bien, qu'il suffit de les trouver...
B.G. - Si l'on veut arriver à quelque chose, il faut en finir avec l'idée que les entreprises sont peuplées de gens mal intentionnés. Nous ne sommes pas dans un film hollywoodien. Toutes les compagnies abritent une proportion de gens qui sont conscients que les façons traditionnelles de faire des affaires sont loin d'être parfaites. Et ils désirent que ça change.
Mais ces gestionnaires sont pris en étau entre ce désir et leur devoir de fiduciaire face à l'actionnaire. Tenter de les comprendre plutôt que de les juger s'avère plus rentable. Lorsque le comptable propose une avenue pour éviter l'impôt, le réflexe consiste à dire oui. Comme entreprise sociale, il nous appartient de démontrer qu'il ne s'agit pas d'une décision optimale. Et, surtout, de proposer une autre voie qui maximise le rendement pour l'actionnaire sans nuire à la communauté. Nous ne pouvons pas nous permettre de nous priver des ressources humaines et financières des grandes entreprises. Nous avons besoin d'elles pour faire le bien. Le défi consiste à déceler nos intérêts communs.
D.B. - Trouver ces agents de changement fait partie de la mission de votre entreprise. Comment vous y prenez-vous ?
B.G. - Good a débuté en 2006 par un magazine. Mais nous ne nous sommes jamais définis comme une entreprise média. La mission de Good consiste à faire le plus de bien possible en mobilisant le plus de gens possible pour réaliser des projets concrets. Le magazine a servi de bougie d'allumage pour installer une «culture du bien». Nous voulions créer un engouement, amorcer une conversation autour de ce concept. Il y a quatre ans, nous avons ajouté une division de consultation pour accroître notre impact. Une quinzaine de personnes y travaillent. C'est notre équipe de choc. Ils partent en quête des entrepreneurs et des dirigeants qui veulent faire le bien et proposent de les aider à y arriver.
D.B. - En transformant votre site Web en une plateforme interactive, vous avez viré la majorité de vos employés. Comment un gars qui veut faire le bien se sent-il dans le rôle du vilain ?
B.G. - Je l'ignore, parce que je n'ai jamais eu ce sentiment. Les entrepreneurs sociaux sont de vrais entrepreneurs. Je suis pdg, j'ai une mission d'entreprise, je dois prendre des décisions qui contribuent à atteindre celle-ci.
Pour augmenter son impact, Good a besoin d'une communauté. Et une communauté a besoin d'une plateforme. Nous lui en avons donné une. Gérer celle-ci exige des talents, des compétences et un état d'esprit différents que lorsqu'on gère un site Web. Cela explique les licenciements.
D.B. - Faire le bien demeure diffus. Comment Good mesure-t-elle son impact ?
B.G. - Nous avons deux indicateurs. D'abord, nous mesurons la circulation des informations. Ensuite, nous calculons les clics sur le bouton «faire», qui signifie qu'un membre entreprend une action, et sur le bouton «fait», qui signifie que l'action a été effectuée.
D.B. - Votre père, Bernard, a lancé le magazine Inc. en 1978. S'il avait votre âge aujourd'hui, lancerait-il Good plutôt qu'Inc. ?
B.G. - Il lancerait probablement Good. Papa a toujours été plus fier du service qu'il rendait que de l'argent qu'il faisait. Pour lui, Inc. était une entreprise sociale qui permettait aux entrepreneurs de s'améliorer pour mieux servir la société.