Les fondateurs de Michel et Augustin veulent bâtir une marque mondiale de pâtisserie qui fait sourire. Leurs locaux se nomment la Bananeraie, à cause du bananier que Michel de Rovira avait dans son appartement. Augustin Paluel-Marmont se déguise en vache pour distribuer ses produits. Et ils ne recrutent que des candidats qui ont le «power». En 2015, ces entrepreneurs français, présents dans 21 pays, déploient leur offensive américaine.
Diane Bérard - Qu'est-ce qui vous a fait croire que vous pourriez vous mesurer aux géants mondiaux de l'agroalimentaire ?
Augustin Paluel-Marmont - Mon associé, Michel, et moi en avions marre de consommer des aliments pas bons. Des marques dont les histoires sonnent faux parce qu'elles sont inventées de toutes pièces. Des produits dont les étiquettes sont si complexes qu'il faut un prix Nobel pour les déchiffrer. On s'est dit que nous n'étions certainement pas les seuls consommateurs frustrés, qu'il y avait une place pour une marque d'aliments authentique.
D.B. - Quelle expérience aviez-vous pour lancer une telle entreprise ?
A.P.-M. - Michel et moi avons tous deux fait l'école de commerce. Mais nous avons surtout publié Le guide des boulangeries de Paris. Nous avons visité 1 263 boulangeries parisiennes pour évaluer l'authenticité de leur confection. Nous avons redonné les clés du bon pain aux Parisiens. C'était en 2003. Comme vous voyez, notre croisade pour le goût ne date pas d'hier.
D.B. - À 15 ans, vous avez visité l'usine Ben & Jerry, au Vermont. En quoi cela vous a-t-il influencé ?
A.P.-M. - Cette visite est responsable du projet Michel et Augustin. L'authenticité que les fondateurs ont insufflée à leur marque à travers leur histoire m'a inspirée. Les biscuits Michel et Augustin que nous proposons aux consommateurs sont fabriqués à partir de la recette que je fais le week-end avec mes enfants. Ils sont composés d'ingrédients simples et nobles, et de produits frais. D'ailleurs, au début, tous les biscuits que nous vendions étaient fabriqués dans ma cuisine et livrés de porte en porte.
D.B. - Votre entreprise a 10 ans ; la mission a-t-elle évolué ?
A.P.-M. - Non, et elle n'évoluera pas. Nous voulons créer une marque mondiale pour faire rayonner le savoir-faire pâtissier français. Toutes nos décisions sont prises en fonction de cette mission.
D.B. - Créer une marque mondiale, c'est très ambitieux...
A.P.-M. - Oui et non. Nous sommes patients. Nous nous laissons le temps d'apprendre les choses. Et puis, nous faisons tout nous-mêmes avant de faire faire. Pour bien maîtriser et comprendre ce que l'on fait. Aujourd'hui, la fabrication est sous-traitée dans 14 usines. Mais nous avons longtemps tout fabriqué nous-mêmes.
D.B. - Comment avance votre projet ?
A.P.-M. - Nos produits sont vendus dans 21 pays. Nous serons une marque mondiale lorsque nous en aurons atteint 30.
D.B. - Le secteur agroalimentaire a la vie dure en Amérique du Nord, on sent la fin de règne des géants. Quel est le problème de cette industrie ?
A.P.-M. - Le consommateur a changé. Il cherche le goût et l'authenticité. Or, l'industrie a oublié le goût. Prenez les produits allégés : cette tendance se renverse. On mange moins, mais on mange mieux. Les consommateurs préfèrent manger une portion goûteuse que deux portions allégées. Ainsi, Danone ne se concentre plus uniquement sur sa promesse santé. Elle se remet à la gourmandise. L'alimentation, c'est aussi pour se faire plaisir.
D.B. - Vous considérez votre emballage comme un média ; expliquez-nous.
A.P.-M. - Nous changeons constamment nos emballages, c'est une de nos particularités. Un même produit peut changer d'emballage trois à quatre fois par année. Nos emballages jouent le même rôle que notre page Facebook, ils racontent notre histoire. On y trouve des trucs sympas à propos de nous. Ces histoires créent et entretiennent le lien entre nous et nos clients. Notre page Facebook compte 120 000 fans, dont le taux d'engagement est élevé.
D.B. - En avril, votre directrice des ressources humaines s'est promenée dans les wagons de métro pour annoncer que Michel et Augustin avait six postes à pourvoir. Coup de marketing ou geste de désespoir ?
A.P.-M. - Les deux ! Anne-Claire a fait ça comme une pro. De sa voix portante, et avec un sourire désarmant, elle a déclaré : «Est-ce que quelqu'un connaît quelqu'un qui a une belle-soeur qui elle-même a un beau-frère et un cousin qui cherchent un job ?» Nous savions que cela ferait jaser. Mais nous éprouvons vraiment beaucoup de mal à recruter. Chaque année, nous recevons 4 000 candidatures (soit 11 par jour), mais peu de candidats répondent à nos critères. Il faut beaucoup d'énergie pour changer le monde ! Chez nous, on travaille jour et nuit ; cela exige des ressources physiques et mentales hors du commun. Depuis l'annonce d'Anne-Claire dans le métro, nous recevons 100 canditures par jour. Nos chances de trouver les perles rares s'améliorent.
D.B. - Vu de l'extérieur, votre plan marketing ressemble davantage à une série de flashs qu'à une stratégie...
A.P.-M. - Vous avez raison, on ne se prend pas trop la tête. Notre marketing est très intuitif. On apprend en le faisant.
D.B. - On étudie le «cas» Michel et Augustin dans certaines écoles de gestion. Comment votre entreprise, si atypique, peut-elle servir de modèle à des entreprises plus traditionnelles ?
A.P.-M. - C'est un préjugé de penser ainsi. J'ai bossé dans de grandes entreprises et je suis convaincu que, si les individus qui s'y trouvent veulent changer, les organisations peuvent y arriver. Mais il y a une méthode à suivre. Il faut commencer par de petites choses, monter des projets en dehors des structures régulières. Et ceux-ci doivent être placés sous l'autorité de la direction, pour les protéger.
D.B. - Qu'est-ce que Michel et Augustin peut enseigner aux grandes entreprises ?
A.P.-M. - Agitez votre imagination, pas votre porte-monnaie, ça mène bien plus loin.
D.B. - Pour se réinventer, plusieurs grands acteurs achètent des petits plus innovants. Que pensez-vous de ces rachats ?
A.P.-M. - Les rachats en eux-mêmes ne m'intéressent pas. Un rachat, c'est technique. Ce sont les histoires qui m'intéressent. Quel est le projet derrière ce rachat ? Les deux parties en tirent-elles quelque chose ? La PME a-t-elle un but, est-il comblé par le rachat ? A-t-elle des garanties fermes que son but sera atteint ?
D.B. - Michel et Augustin pourrait-elle être rachetée par un grand groupe ?
A.P.-M. - Michel et Augustin a le même but depuis le jour 1 : devenir une marque mondiale pour faire rayonner le savoir-faire pâtissier français dans le monde. Si nous devons nous joindre à un grand groupe alimentaire pour y arriver, nous le ferons.
D.B. - Quelle sera votre priorité au cours de la prochaine année ?
A.P.-M. - Développer le marché américain. Je m'installe à New York avec ma famille à partir de juillet.
D.B. - Quel écueil devez-vous éviter pour continuer de connaître le succès ?
A.P.-M. - L'épuisement. Être passionné de ce qu'on fait, c'est bien, mais à trop donner tout le temps, on s'épuise. Il faut se connaître et se gérer.