Les entrepreneurs qui réussissent se demandent régulièrement si leur idée fonctionnera ou non. John Mullins explique comment mettre les chances de son côté.
Par John Mullins, Business Strategy Review
Passion, conviction, ténacité... Sans ces traits de personnalité, peu d’entrepreneurs pourraient faire face aux défis, aux revers et aux vicissitudes qui les attendent pour réaliser leurs rêves en commercialisant des idées souvent révolutionnaires – des « occasions », comme ils les appellent. Mais les entrepreneurs qui réussissent le mieux possèdent une qualité encore plus précieuse : la volonté de se poser chaque matin cette question simple : « Pourquoi est-ce que cela fonctionnera ou ne fonctionnera pas ? »
Qu’ils envisagent de se lancer à leur compte ou dans le giron d’une société bien établie, les chefs d’entreprise en herbe se posent la question pour une bonne raison : ils connaissent les enjeux. Ils savent que la plupart des plans d’affaires ne génèrent jamais d’argent et que les start-ups qui réussissent sont rares. Ils ne veulent surtout pas se lancer dans ce que Bill Egan, investisseur d’expérience en capital de risque, appellerait une « mauvaise affaire », dans laquelle on mise des années d’effort et d’énergie, pour aboutir finalement à un cul-de-sac.
Qui va lentement va sûrement
Lorsque les entrepreneurs trouvent les failles avant même de se lancer ou avant que ces failles ne leur soient fatales, ils trouvent souvent le moyen de les contourner. Ils peuvent modifier leur idée, adapter leur produit ou service pour que celui-ci soit fructueux dans un monde très concurrentiel. Lorsque la faille repérée semble insurmontable, ils peuvent renoncer d’emblée ou peu après le démarrage afin d’éviter de perdre des mois ou des années à la poursuite d’un rêve qui ne tient tout simplement pas la route.
Mieux encore, si après leur séance quotidienne d’interrogation, de réflexion, d’essai et d’expérimentation, les signes sont toujours encourageants, ils poursuivent sur leur lancée avec une passion et une conviction redoublées. Cette démarche les conforte dans l’idée que les faits – et non plus simplement leur intuition –montrent qu’ils sont sur la bonne voie : leur idée est vraiment une occasion à exploiter.
On peut être tenté de se lancer tout de suite et d’apprendre sur le tas, de tenter sa chance sur le marché, qui est le lieu d’apprentissage idéal où l’on pourra donner libre cours à un esprit d’entreprise qui ne demande probablement qu’à s’exprimer. Mais dans le monde des lean start-ups, on risque fort de gaspiller ainsi son énergie et son talent. Pourquoi ? Parce que, comme Peter Drucker, le plus grand théoricien du management, l’a dit à propos des jeunes pousses, « Si une nouvelle entreprise réussit effectivement, c’est le plus souvent : dans un marché autre que celui qui était ciblé à l’origine, grâce à des produits et services pas tout à fait identiques à ceux qui étaient prévus, achetés en grande partie par des clients auxquels l’entreprise n’avait même pas pensé au départ, et utilisés pour une foule d’autres raisons auxquelles l’entreprise n’avait pas pensé au départ. »
On peut alors se demander s’il y a un meilleur moyen de procéder. La réponse est oui, et un modèle axé sur sept domaines a même été conçu pour aider les entrepreneurs à éviter les principaux pièges du démarrage.
Une idée qui a fonctionné
Voici un cas de réussite. En 2004, Paul et Alison Lindley avaient du mal à faire manger leur fille de six ans, Ella. Dans sa cuisine de Caversham, située à 40 milles à l’ouest de Londres, Paul Lindley a concocté des cocktails de fruits et de légumes naturels et biologiques attrayants, colorés et parfaitement adaptés à la vie mouvementée de la famille. Comprenant qu’il y avait peut-être un marché pour ses savoureuses concoctions, Paul Lindley a eu tôt fait de déménager sa petite entreprise dans des granges du voisinage. En peu de temps, les aliments en sachets pour bébés et tout-petits Ella’s Kitchen – purées de fruits et de légumes naturels et biologiques – ont séduit bien des familles britanniques. Des boissons fouettées biologiques ont suivi, des barres-collations aux fruits ainsi qu’une foule d’autres produits.
Paul Lindley s’est ensuite lancé sur le marché international. Puis, en 2013, Hain Celestial, un chef de file américain dans la mise en marché d’aliments et de boissons naturels, s’est porté acquéreur d’Ella’s Kitchen.
Trois éléments cruciaux permettent de mieux comprendre les occasions : les marchés, les secteurs d’activité et les membres de l’équipe entrepreneuriale. Le modèle des sept domaines, présenté dans mon livre intitulé The New Business Road Test : What Entrepreneurs and Executives Should Do Before Launching a Lean Start-Up, propose une boîte à outils pour évaluer et adapter les possibilités du marché, et offre un meilleur moyen de tester l’utilité des compétences de chacun en tant qu’individu et en tant qu’équipe. Le modèle propose également une étude de faisabilité centrée sur les clients pour guider les entrepreneurs dans leur évaluation, et leur éviter de perdre temps et énergie dans la rédaction d’un plan d’affaires.
Application du modèle des sept domaines
À première vue, le modèle des sept domaines résume simplement ce que tout le monde sait – ou prétend savoir – sur l’évaluation des occasions. En y regardant de plus près toutefois, le modèle va plus loin en rappelant trois distinctions et observations cruciales que la plupart des entrepreneurs – et bien des investisseurs – oublient de faire :
- les marchés et les secteurs d’activité sont deux réalités différentes ;
- les marchés et les secteurs d’activité doivent être examinés au niveau macro et au niveau micro ;
- les critères d’évaluation des entrepreneurs et des équipes entrepreneuriales ne se trouvent pas dans les curriculum vitae, ni dans les études de caractère, ni dans les tests psychologiques.
En outre, les sept domaines du modèle ne sont pas d’importance égale. Ils ne sont pas non plus cumulatifs. Une simple liste de contrôle ne suffira pas. En fait, les mauvaises combinaisons peuvent être fatales à l’entreprise. D’un autre côté, des atouts assez solides peuvent suffire à compenser des points faibles. Des perspectives intéressantes – comme celles qu’a découvertes Paul Lindley – existent parfois dans des secteurs moins attrayants, comme celui des aliments préparés.
Comme le montre le graphique à droite, le modèle comporte quatre domaines liés aux marchés et aux secteurs d’activité, au niveau macro et au niveau micro, et deux autres domaines liés à l’équipe entrepreneuriale. Ces sept domaines (tout le monde en connaît au moins quelques-uns, mais je constate que rares sont ceux qui les envisagent de cette manière) correspondent aux principaux critères d’évaluation des possibilités de marché :
- Les occasions offertes par le marché et le secteur d’activité visé sont-ils attrayants ?
- Le projet offre-t-il des atouts incontestables pour les clients ainsi qu’un avantage concurrentiel par rapport à d’autres solutions propres à répondre aux besoins des clients ?
- L’équipe peut-elle obtenir les résultats recherchés et promis ?
Pourquoi mon idée ne fonctionnera-t-elle pas ?
L’examen du projet à la lumière du modèle des sept domaines révélera inévitablement des problèmes : les failles qui peuvent le faire échouer. Pour répondre à la question « Pourquoi mon idée ne fonctionnera-t-elle pas ? », il faut d’abord détecter toute faille majeure à laquelle on ne peut remédier – le talon d’Achille du projet. Les principaux points faibles à repérer sont donc des éléments problématiques du marché, du secteur ou de l’équipe qui sont tout simplement impossibles à résoudre en modifiant le projet.
En cas de faille insurmontable, il vaut mieux renoncer d’emblée et se lancer dans une entreprise plus attrayante. En s’entêtant à mener à bien un projet qui présente une faille insurmontable, on s’expose à deux situations aussi déplaisantes l’une que l’autre.
- Dans le meilleur des cas, il y a fort à parier que les investisseurs d’expérience ou autres fournisseurs de ressources – fournisseurs, partenaires, etc. – détecteront les failles qui vous ont échappé et refuseront de vous donner les ressources requises, quand bien même votre plan d’affaires colmate les brèches. Heureusement, leur refus vous évitera de perdre des mois ou des années de votre vie dans une « affaire qui ne mène à rien », même si vous avez préparé et lancé pour rien un plan d’affaires. La dure réalité est que la majorité des plans d’affaires qui cherchent à exploiter des opportunités comportant des failles fatales subissent le même sort. La plupart des plans d’affaires auraient dû être abandonnés avant même d’être rédigés.
- Au pire, ce qui est moins probable, en rédigeant un plan d’affaires sur un projet vicié à la base, on peut obtenir malgré tout les ressources requises et démarrer l’entreprise. Tôt ou tard, les failles entraîneront leur cortège de malheurs, et il faudra faire des pieds et des mains pour éviter la catastrophe.
Les occasions attrayantes
Examinons l’occasion exploitée par Paul Lindley à la lumière du modèle des sept domaines.
- Marchés (niveau macro) – Ella’s Kitchen a bien fait de surfer sur la vague de l’engouement pour les aliments naturels et biologiques. De nombreux autres entrepreneurs ont suivi son exemple.
- Marchés (niveau micro) – Paul Lindley a acquis une bonne connaissance des habitudes de consommation des enfants pendant ses neuf ans d’expérience à la chaîne de télévision câblée pour enfants Nickelodeon. Il a compris que sa fille Ella et d’autres enfants seraient séduits par des fruits et légumes sains et biologiques préparés à leur goût et que les parents ne manqueraient pas d’acheter des produits qui ont conquis leurs enfants.
- Secteurs d’activité (niveau macro) – Le secteur des aliments préparés est très concurrentiel, un inconvénient pour un jeune chef d’entreprise comme Paul Lindley. Mais il a pensé que ses produits bien différenciés séduiraient le marché.
- Secteurs d’activité (niveau micro) – Paul Lindley pouvait-il conserver longtemps un tel avantage concurrentiel ? D’autres transformateurs de fruits et de légumes le copieraient, il le savait, et les concurrents comme Heinz, Danone et Gerber chez Nestlé avaient des coffres bien garnis. Il devait donc agir vite. La vente de la société, sept ans après sa création, à un acheteur bénéficiant d’une forte présence sur le marché et de ressources qu’il n’avait pas lui-même était une décision avisée, qui a donné à Paul Lindley et à son équipe britannique la latitude voulue pour être concurrentiels sur le marché mondial. « Le but n’a jamais été de vendre la société, dit-il, mais d’utiliser nos produits pour améliorer la santé des enfants. »
Pourquoi mon idée fonctionnera-t-elle ?
La bonne nouvelle, c’est que les occasions ne sont pas statiques : elles peuvent prendre bien des formes. Les failles fatales en apparence peuvent parfois être colmatées. On peut opter pour un marché cible différent, plus réceptif au produit proposé. On peut adapter le produit aux besoins du marché. On peut lancer son projet à un niveau différent de la chaîne de valeur – en tant que distributeur, plutôt qu’en tant que détaillant ou fabricant, par exemple – si un secteur d’activité s’avère plus prometteur. On peut renforcer l’équipe entrepreneuriale en y associant des personnes aptes à contribuer aux principaux facteurs de réussite de l’entreprise ou à favoriser la communication tout au long de la chaîne de valeur.
Pour espérer lancer une start-up efficace, il vaut mieux commencer par tester son rêve. S’il passe le test des sept domaines, on peut démarrer le processus en ayant réuni des éléments probants qui serviront de guides à l’entreprise. En cas de faille fatale, rien n’est perdu ! Pourquoi ne pas mettre à profit ses talents d’entrepreneur et miser sur une autre occasion plus attrayante ? Et … bonne route !
John Mullins est professeur associé de gestion appliquée en marketing et entrepreneuriat.
ADAPTÉ DE BUSINESS STRATEGY REVIEW