Série 2 de 3. Le transfert d'une entreprise familiale pose plusieurs défis. Des dirigeants qui ont négocié le virage témoignent de leur expérience vécue.
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Des hommes. Sur trois générations. Marina Fortin, à Saint-Paul-de-l'Île-aux-Noix en Montérégie, se transmet de père en fils depuis la fin des années 1970. Le grand-père a creusé les premiers canaux en 1955. Ses petits-fils, dans l'entreprise depuis leur tendre enfance, gèrent aujourd'hui une marina qui a pignon sur rue.
Il passe encore deux ou trois fois par semaine prendre des nouvelles, ouvrir le livre de comptes. Comme ça, pour le plaisir. Gilles Fortin, fils aîné du fondateur, est parti à la retraite il y a trois ans laissant ses fils, Pierre, 45 ans, président, et Luc, 42 ans, vice-président, mener la barque. Celle qu'il menait de concert avec son frère, Denis. Celle créée par son père quand personne ne croyait encore à la démocratisation de la plaisance.
Le passage à la troisième génération n'a toutefois pas bousculé la situation. La relève a été préparée. «Ça s'est fait très naturellement» et sans heurt, indique Pierre Fortin, le fils aîné. Luc souligne quant à lui une forme de continuité. «Quand on a des décisions à prendre au sujet desquelles on n'est pas sûrs, on continue de consulter notre père», dit-il.
Engagés dans l'entreprise depuis leur adolescence, les deux releveurs sont entrés dans l'actionnariat en 1992. Ils ont acquis la totalité des parts de leur père et de leur oncle au moment du départ à la retraite de Gilles Fortin.
«Ça fait 20 ans qu'ils sont là tous les week-ends. C'est normal de leur passer le flambeau, c'était leur tour», explique Denis Fortin, 62 ans, qui travaille toujours au service des pièces et du service à temps plein. «Tant que j'ai la santé, je veux continuer, affirme-t-il. Si c'était pour des étrangers, j'aurais peut-être déjà arrêté. Mais là, ce sont mes neveux...»
Transition en douceur
Les deux frères se sont réparti les responsabilités très simplement : Pierre Fortin, diplômé en marketing, s'occupe des ventes et de la gestion de l'entreprise. Son frère, Luc, qui a toujours aimé «avoir les mains dedans», s'occupe des pièces et du service.
«On se complète et on s'entend bien. On a toujours vu nos aînés prendre les décisions en discutant, on a grandi dans cette ambiance. Aujourd'hui, chacun prend les décisions dans son domaine et l'autre le suit. Quand les avis divergent, il suffit qu'on en parle sur un coin de bureau pour trouver une entente», dit le président.
Depuis sa création, l'entreprise a pris un essor considérable. Dans les années 1980, avec le boom de la plaisance, l'affaire est devenue très rentable. Mais le patriarche n'en saura jamais rien : il est mort d'une crise cardiaque à l'âge de 59 ans, en 1979. «La transition a été naturelle, car mon père, alors âgé de 34 ans, et mon oncle avaient commencé à gérer l'entreprise, et leurs trois soeurs n'étaient pas intéressées», rapporte le président. Pas de dispute entre les frères qui, vu la croissance de l'activité, avaient tous deux de quoi s'occuper et partageaient la même vision. Ils sont devenus représentants exclusifs de marques de bateau, ont construit des hangars, une salle d'exposition, creusé d'autres canaux.
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Une relève féminine à l'horizon ?
Aujourd'hui, la marina de Saint-Paul-de-l'Île-aux-Noix compte 265 places à quai généralement occupées à 90 %. En hiver, 600 bateaux sont entreposés et Marina Fortin est obligée de privilégier ses clients, «car on a trop de demandes», poursuit Pierre Fortin. La marina offre maintenant l'intégralité de la chaîne : de la vente du bateau à la location de l'emplacement, en passant par le magasin d'outillage et le service de réparation. L'entreprise réalise, bon an mal an, un chiffre d'affaires d'une dizaine de millions de dollars.
Le passage à la quatrième génération coulera-t-il autant de soi que les deux premiers ? Pierre et Luc sont parents de cinq filles. Les deux aînées, dans la vingtaine, ne participent pas pour le moment aux activités de la marina, même si elles y ont occupé de petits emplois. Les trois autres n'ont que 9 et 14 ans. «C'est un sujet qui n'est pas tabou, mais on en parle rarement. On ne prévoit rien et on ne pousse personne même si, bien sûr, on aimerait que l'entreprise reste dans la famille, reconnaît Pierre Fortin. C'est trop loin. On planifiera quand on atteindra le début de la cinquantaine.»
Les deux frères sont, pour le moment, heureux du fonctionnement de leur entreprise et ont en tête sa pérennité dans un marché concurrentiel. Tout en laissant leurs filles grandir et en donnant au temps une chance de régler naturellement, une fois encore, la question de la relève.
Profil
Effectif: 27 employés
Siège social: Saint-Paul-de-l'Île-aux-Noix
Chiffre d'affaires: 10 millions de dollars
Quand préparer la relève ?
L'avis de Sylvie Huard, coach en relève, fondatrice du Groupe Relève Québec
- Le plus tôt possible, se faire accompagner par un coach de relève - 40 ou 45 ans n'est pas trop tôt - et organiser une rencontre annuelle pour réfléchir à la relève.
- Déterminer les intentions des propriétaires actuels, tant sur le plan de l'avenir de l'entreprise (dans cinq ans, veut-on une relève familiale ?) que sur celui de leurs projets personnels de retraite (à quel âge pensent-ils partir ?).
- La vision du développement de l'entreprise sur les prochaines années pose un grand défi, à la suite duquel il faut définir le profil du releveur idéal et se demander si un membre de la famille y correspond.
- Une fois le releveur déterminé, il faut prévoir 10 ans pour préparer une relève familiale.
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