L'Américain Brad Feld est un pionnier du capital de risque et un apôtre de l'entrepreneuriat. En 2006, il a cofondé l'un des premiers accélérateurs d'entreprises du monde, TechStars. Il a aussi contribué à l'éclosion de l'écosystème entrepreneurial de Boulder, au Colorado. Je l'ai rencontré à Montréal, dans les locaux de l'accélérateur Founder Fuel, pour la présentation de son livre Startup Communities.
DIANE BÉRARD - On compte désormais des centaines d'accélérateurs dans le monde. Quelle est la prochaine étape ?
Brad Feld - Nous sommes en train de développer une vision plus large de ce qui favorise le développement de communautés entrepreneuriales. Les accélérateurs d'entreprises sont efficaces, mais on peut faire plus. On voit émerger, entre autres, des accélérateurs universitaires, comme le MIT Founders' Skills Accelerator, qui s'étend sur un été et s'adresse aux étudiants du MIT et aux diplômés de l'année en cours. Des programmes liés à l'entrepreneuriat mais pas nécessairement aux entrepreneurs font aussi leur apparition. Je pense à celui de la Boston Startup School, qui s'adresse aux jeunes professionnels à l'emploi d'entreprises en démarrage. On les initie à la culture de la start-up et à ses défis, afin qu'ils s'intègrent mieux et plus rapidement. Dans tous les cas, il est question d'éducation à l'entrepreneuriat sous toutes ses formes.
D.B. - Les bulles éclatent, les technologies deviennent obsolètes, les start-ups sont achetées ou meurent. Comment une communauté d'entrepreneurs peut-elle survivre ?
B.F. - On survit en acceptant que les bouleversements fassent partie du paysage. Bâtir un écosystème entrepreneurial prend 20 ans. Trop souvent, les leaders de ces communautés perdent leur intérêt lorsque les conditions initiales changent. Parce que la technologie qui a porté les premières PME est dépassée, on conclut que la communauté n'a plus sa raison d'être. Il suffit que quelques pionnières soient vendues - ce qui fait partie du cycle normal - pour qu'on annonce la fin de l'écosystème.
D.B. - Selon vous, on va plus vite seul, mais plus loin en groupe. Pourquoi ?
B.F. - L'écosystème entrepreneurial doit être inclusif. Il faut accepter tous ceux qui manifestent le désir d'y appartenir. Surtout, ne vous demandez pas si telle ou telle personne est «rendue là». Ce type de communauté n'est pas une méritocratie. Elle n'a rien à voir avec la hiérarchie.
Votre carrière d'investisseur et d'entrepreneur a débuté sur la côte est, à Boston. Puis en 1995, vous vous êtes établi dans l'ouest, à Boulder au Colorado. Silicon Valley aurait été plus naturel, non ?
D.B. - Votre carrière d'investisseur et d'entrepreneur a débuté sur la côte est, à Boston. Puis en 1995, vous vous êtes établi dans l'ouest, à Boulder au Colorado. Silicon Valley aurait été plus naturel, non ?
B.F. - Ce n'est pas moi qui ai choisi Boulder, c'est ma femme. Elle a dit : «je déménage à Boulder». Je l'ai suivie. Nous n'avions pas d'emploi là-bas. Nous n'avons pas choisi de lieu où travailler, nous avons opté pour un milieu de vie. Il nous fallait un endroit progressiste, divertissant et facilement accessible par avion, car je voyage beaucoup.
D.B. - Boulder était alors loin d'être la fourmilière entrepreneuriale qu'elle est aujourd'hui, n'est-ce pas ?
B.F. - À mon arrivée, j'ai trouvé une petite communauté entrepreneuriale diffuse, qui n'était consciente ni de ses ressources ni de ses talents. Et qui faisait l'objet de certains préjugés de l'extérieur. On croyait, à tort, que Boulder regorgeait de talents techniques (ingénieurs), mais qu'elle manquait de bons vendeurs et de gestionnaires doués. Rien n'était moins vrai. Il fallait simplement que tous ces gens se parlent.
D.B. - Et que s'est-il passé ?
B.F. - De 1995 à 2000, les entrepreneurs ont commencé à échanger. Ils ont noué des liens entre eux. J'ai participé à la naissance de ce mouvement. Au milieu des années 1990, Boulder comptait une douzaine d'entrepreneurs. Aujourd'hui, on en trouve une centaine.
D.B. - Votre nouveau livre, Startup Communities, cite Boulder comme exemple d'écosystème entrepreneurial. Donnez-nous votre recette.
B.F. - D'abord, ne confondons pas capital de risque et communauté entrepreneuriale. Ce n'est pas l'argent ni le nombre de capital-risqueurs qui font l'écosystème entrepreneurial. Pas plus que le gouvernement ou les universités. Ce sont les entrepreneurs eux-mêmes. C'est à eux d'amorcer le mouvement et d'en assumer le leadership. Aucun autre acteur ne peut le faire à leur place.
Vous estimez que ce n'est pas en célébrant l'entrepreneuriat qu'on le stimule. Pourquoi ?
D.B. - Vous estimez que ce n'est pas en célébrant l'entrepreneuriat qu'on le stimule. Pourquoi ?
B.F. - Au mieux, les soirées hommage constituent un agréable divertissement. Au pire, elles sont carrément ennuyeuses. Dans un cas comme dans l'autre, ce n'est pas ainsi qu'on soude une communauté d'entrepreneurs. Il s'agit d'événements trop passifs. Il faut d'autres types d'activés qui permettent aux acteurs de travailler ensemble. Et, surtout, de bâtir ensemble. Je pense aux accélérateurs d'entreprises qui réunissent des entrepreneurs, des mentors et des investisseurs autour de projets concrets ; aux startup weeks, qui offrent des stimulations d'entreprises ; et aux séances de tech meetup, qui réunissent chaque mois la communauté.
D.B. - Vous proposez plutôt de célébrer les échecs des entrepreneurs...
B.F. - L'échec fait partie de la vie des écosystèmes entrepreneuriaux. Il ne faut pas en avoir honte. Au contraire. Lorsqu'une entreprise meurt, organisez-lui une veillée funéraire. Célébrez la fin, puis le recommencement.
D.B. - En appliquant votre recette, recréerons-nous un autre Boulder ?
B.F. - Non. Les communautés entrepreneuriales sont influencées par les villes, les régions et les pays qui les abritent. Les ressources intellectuelles, naturelles, culturelles de leur environnement les façonnent. Prenez Montréal. Votre ville est un carrefour de mode, de design et de techno. Votre écosystème entrepreneurial le reflète.
D.B. - Votre firme de capital de risque, Foundry Group, fait de l'investissement thématique. De quoi s'agit-il ?
B.F. - Nous nous sommes donné un cadre intellectuel pour guider nos choix. À nos débuts, notre grille d'évaluation était très cartésienne, mais elle obscurcissait notre jugement. Elle nous indiquait si un projet était bon, mais pas s'il correspondait à nos champs d'expertise. Aujourd'hui, nous limitons nos investissements à quelques thèmes que nous connaissons et dont l'importance, à notre avis, ira croissant. Ainsi, nous investissons dans les projets qui explorent l'interaction entre les humains et les machines. Nous optons aussi pour les projets de nouveaux protocoles.