Danone, Alstom, Sanofi-Aventis, Veolia, L'Oréal, Ubisoft : les grandes entreprises françaises ne sont pas arrivées hier dans le paysage québécois. Mais ces temps-ci, c'est une flopée de PME qui prennent d'assaut le Québec.
Elles s'appellent Ankama, LynkbyNet, Artelys, Adetel, Buff, Domain Therapeutics, Chocomod, Mikros Image, OVH... Elles oeuvrent dans les technologies de l'information et des communications, mais aussi dans le transport, l'agroalimentaire, les sciences de la vie et même l'énergie. Leur point commun : elles sont très innovantes. Et face à la détérioration des conditions économiques en France, elles choisissent de s'internationaliser sur le continent américain à partir d'ici.
Quittent-elles la France pour «s'évader du gouvernement Hollande» qui envoie, disent plusieurs à qui nous avons parlé, «un signal négatif» à la communauté d'affaires, en particulier aux PME ? Quoi qu'il en soit, ces nouvelles venues viennent densifier le tissu industriel du Québec et stimuler son dynamisme.
En guise de soutien aux PME françaises, la Chambre de commerce française au Canada a créé à Montréal un incubateur qui loue des bureaux de domiciliation. En un an, la demande a grimpé de 30 %, relate la directrice, Véronique Loiseau. Chez Investissement Québec, le nombre de dossiers d'accueil de sociétés françaises augmente de 50 % par année depuis deux ans.
Cela explose, affirme Laurence Monari, directrice de projet chez Investissement Québec, rencontrée lors de la Convention d'affaires France-Canada organisée par la Chambre de commerce française le mois dernier à Montréal et à laquelle participaient des gens d'affaires des deux côtés de l'Atlantique.
Le rôle de Mme Monari chez Investissement Québec est d'organiser des visites et des implantations de sociétés françaises en sol québécois. «Juste ce mois-ci [mars], cinq nouveaux studios de jeux vidéo français se sont installés à Montréal», relate-t-elle.
Les attraits du Québec pour les sociétés françaises varient selon les secteurs d'activité. Dans l'industrie du jeu vidéo, le Québec attire parce qu'il arrive au troisième rang dans monde, après le Japon et la Californie. Les studios français viennent ici pour le «cluster» (expression utilisée en France pour parler de grappe), la main-d'oeuvre, la créativité et bien sûr le crédit d'impôt pour affaires électroniques. Ce dernier, lorsqu'il est combiné au reste des dispositions fiscales et aides disponibles, est plus alléchant que celui qu'offre la France.
Les mêmes facteurs d'attraction motivent l'arrivée de PME françaises dans le secteur des technologies de l'information et des communications (TIC). «Ce qu'on vend au Québec, c'est notre bilinguisme, notre multiculturalisme, notre créativité, un coût de la vie moins cher, une main-d'oeuvre stable et des crédits d'impôt», résume André Petitclerc, directeur principal, développement des affaires en TI chez Investissement Québec. Sans parler de la possibilité qu'Investissement Québec fasse des prêts, des garanties de prêts, ou prenne des participations dans ces nouvelles entreprises, comme il l'a fait dans Ubisoft.
Les sociétés françaises viennent aussi combler les besoins «d'Internatisation» des sociétés canadiennes, ajoute Frédéric Kaplan, ministre conseiller économique à l'Ambassade de France à Ottawa. À son avis, le Canada accuse un peu de retard par rapport à l'Europe quant à son utilisation d'Internet en affaires.
Dans l'aérospatiale et le transport terrestre, les PME françaises s'installent ici à cause du marché et d'importants donneurs d'ordres (Bombardier, CAE, Bell Helicopter, Pratt & Whitney, Nova Bus, Alstom, Prévost, Paccar). En sciences de la vie, les biotechs ou pharmas françaises s'installent ici en raison de l'excellence des chercheurs et des infrastructures, ainsi que de la possibilité de nouer des partenariats avec des sociétés canadiennes et américaines, comme l'illustre l'implantation récente de la biotech française Domain Therapeutics au sein du centre d'excellence Neomed.
Dans le secteur agroalimentaire, l'attrait ne réside pas tant dans le marché québécois, relativement petit, que dans la capacité de production, les coûts d'intrants moins élevés (notamment pour le sucre) et un bon réseau d'approvisionnement. Saint-Hyacinthe et Laval s'ajoutent à Montréal et Québec comme régions de choix.
Investissement Québec cible présentement des entreprises françaises dans la fabrication de plats ethniques, de confiserie et de mets préparés, signale Mme Monari. Les efforts s'intensifient pour attirer des usines (comme Yoplait voilà quelques années) et des entreprises fortes en R-D, dans les aliments fonctionnels, par exemple.
Concurrence avec l'Ontario
Si traditionnellement, le Québec représente la porte d'entrée «naturelle» pour les sociétés françaises à cause de la langue commune, Frédéric Kaplan pense que le facteur d'attrait le plus important réside dans nos politiques fiscales et le haut degré d'accompagnement que la province offre aux PME étrangères. «Les entreprises françaises ne font pas de sentiment, affirme- t-il. Si l'Ontario offre plus et mieux, elles iront là.» D'ailleurs, l'Ontario redouble d'efforts pour concurrencer le Québec, notamment dans les TI, avec sa région de Waterloo, berceau du BlackBerry. M. Kaplan dit avoir récemment piloté les dossiers de deux entreprises françaises qui n'ont pas hésité à mettre en concurrence les deux provinces. Dans les deux cas, le Québec a gagné.
Ces PME qui s'installent ici attirent et développent des talents - le nerf de la guerre en ce qui concerne la croissance économique. Pourtant, il y a actuellement pénurie de main-d'oeuvre dans les TIC. Une pénurie qui pourrait freiner le développement de cette industrie, notait André Petitclerc, à la Convention d'affaires. Mais là encore, le Québec se démarque en offrant un congé d'impôt pour les experts étrangers. Les sociétés françaises peuvent donc arriver ici avec leur personnel. Certaines exportent même leurs hauts dirigeants tentés par l'aventure canadienne. Et c'est ainsi qu'à Montréal, de 55 000 (chiffre officiel donné par le Consulat général de France à Montréal) à 100 000 (chiffre officieux) Français sillonnent la ville, avec leurs façons de brasser du business.
Pourquoi ont-elle choisi le Québec
LinkbyNet
En novembre 2010, cette société d'infogérance d'applications informatiques, de conseil et d'hébergement de serveurs, fondée à Saint-Denis, en banlieue de Paris, a ouvert à Montréal sa première filiale à l'étranger. D'abord pour accompagner ses clients en Amérique, ensuite pour y développer son marché. «Nous ne voulions pas nous établir aux États-Unis à cause du Patriot Act, explique Julien Trassard, cofondateur et directeur général de LinkbyNet. Entre Montréal et Toronto, Julien Trassard avait un petit faible pour le Québec, sa langue et sa culture. À Toronto, le marché est plus grand, mais les loyers sont plus élevés et les employés moins fidèles, parce que plus mobiles, plaide-t-il. «Il y a ici un sentiment d'appartenance, un esprit de famille que je ne suis pas sûr de trouver là-bas», nous a-t-il dit quand nous l'avons rencontré dans ses bureaux du Quartier des spectacles, tapissés de photos de matchs de hockey - une idée des employés. Cela n'empêchera pas LinkbyNet d'ouvrir un poste commercial dans la Ville reine cette année. Sauf que c'est à Montréal que l'effectif de production sera doublé à 100 employés en 2014.(Suzanne Dansereau)
Ankama
«Nous avons reçu ici une considération qui nous fait défaut en France. Là-bas, on nous considère comme des adolescents attardés.»
C'est ainsi qu'Olivier Comte, conférencier à la Convention d'affaires France-Canada, tenue fin mars à Montréal, a décrit une des raisons qui l'a poussé à ouvrir, l'automne dernier, une filiale du studio français Ankama dans la Cité du multimédia à Montréal.(Suzanne Dansereau)
Ankama, à la fois un studio de jeux vidéo, une maison d'édition de BD et de mangas ainsi qu'un studio d'animation, compte plus de 500 employés, dont 300 créatifs. À son siège social de Roubaix, près de Lille, elle n'ouvrira plus de postes de développeurs. À Montréal, elle prévoit l'embauche de 20 à 30 personnes d'ici la fin de 2014. «C'est ici que nous allons grandir», a déclaré M. Comte. La «simplicité d'action» au Canada lui plaît. «Ici, les organismes ne sont pas trop nombreux et ils se parlent». À cause des charges fiscales, Olivier Comte calcule que ses employés au Québec lui coûteront 40 % moins cher qu'en France. (Suzanne Dansereau)
Artelys
Le secteur d'activité d'Artelys est très niché : elle offre des logiciels et des services d'aide à la décision (optimisation mathématique, prévision, statistique, simulation) pour étudier et gérer les systèmes énergétiques. L'entreprise s'est établie à Chicago en 2009, dans le but de profiter des grandes mutations dans le marché de l'énergie en Amérique du Nord.
Avec les développements de projets au Québec, dans les Provinces maritimes, en Ontario et en Alberta, il fallait croître. Sauf qu'à Chicago, Artelys avait du mal à recruter de la main-d'oeuvre aux profils pointus - dans ce cas-ci, des experts en mathématiques appliquées. Une main-d'oeuvre qu'elle a trouvée à Montréal, parmi les diplômés de Polytechnique, de McGill et de l'UQAM. «Toronto aurait été aussi bien, mais notre premier employé voulait vivre au Québec», explique Guillaume Tarel, vice-président d'Artelys Canada. Impressionné par la rapidité avec laquelle Artelys a pu être incorporée ici, Guillaume Tarel s'est heurté à une seule difficulté, mineure : «Il a fallu prouver à l'Office de la langue française du Québec que notre nom était français». (Suzanne Dansereau)
OVH
En 2011, l'hébergeur Web français OVH cherchait à s'installer en Amérique du Nord et hésitait entre la côte est et la côte ouest américaine pour y implanter un premier centre de données de ce côté-ci de l'Atlantique.
«À ce moment, les dirigeants de Montréal International sont venus nous voir pour nous présenter les atouts de la région montréalaise en mettant l'accent sur le faible coût de l'électricité au Québec et sur son caractère écologique», raconte Germain Masse, directeur de l'exploitation chez OVH Canada.
Après avoir choisi le site de l'ancienne aluminerie de Rio Tinto Alcan à Beauharnois, OVH a lancé un projet d'investissement de 30 millions de dollars sur cinq ans en 2012, ce qui a permis la création de 60 emplois à ce jour.
«Nous profitons de la proximité du barrage de Beauharnois, mais aussi d'une main-d'oeuvre qualifiée qui peut communiquer avec le siège social de l'entreprise, situé à Roubaix, dans le nord de la France», dit M. Masse, ajoutant que la main-d'oeuvre bilingue et trilingue constituait un atout indéniable pour servir la clientèle nord-américaine de l'entreprise. (Denis Lalonde)