Il n'y a pas d'enjeux d'affaires féminins. Il n'y a que des enjeux d'affaires complexes qui profiteraient d'un point de vue diversifié. Et cette diversité inclut le point de vue des femmes. En octobre, Les Affaires a asssité à le 10e édition du Women's Forum à Deauville. Un événement rassemblant 1 300 femmes de tous les continents, pour que ce point de vue soit présent dans l'économie et la société.
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À quoi ressembleraient l'économie et la société si on y intégrait complètement les femmes ? L'Organisation de coopération et de développement économiques (OCDE) y répond dans son étude annuelle, «Closing the Gender Gap». Si les femmes avaient le même accès que les hommes à la santé, à l'éducation, à l'emploi et à l'entrepreneuriat, le revenu par habitant de chaque pays augmenterait de 3 à 23 %. Les gains varient selon le fossé à combler. «Les pays qui s'approchent le plus de l'égalité politique, économique et sociale des sexes sont ceux dont les économies sont les plus concurrentielles», souligne Melanne Verveer, ex-chef de cabinet de Hillary Clinton et présidente de Vital Voices Global Partnership, qui promeut les femmes dirigeantes dans les pays émergents.
Les retombées de la participation des femmes à l'économie sont multiples. D'abord, elles représentent un marché. «Les femmes forment le nouveau marché émergent, souligne Monica Dodi, fondatrice du Women's Venture Capital Fund, qui investit uniquement dans des entreprises comptant des femmes parmi leurs dirigeants ou dans leur conseil d'administration. Un marché plus important que le Brésil, la Chine et l'Inde réunis.» Les constructeurs automobiles, entre autres, découvrent les occasions d'affaires qu'ils ont ratées en négligeant le point de vue des consommatrices. Celles-ci représentent aussi une source de revenu. Lorsqu'elles travaillent, elles paient des impôts. Et lorsqu'elles démarrent des entreprises, elles créent des emplois. Ce sont aussi des sources d'idées, donc d'innovation.
C'est dans cet esprit qu'a été lancé le Women's Forum, il y a 10 ans. Cette organisation française tient chaque année un grand rassemblement à Deauville, en France. Le thème : bâtir le futur en y injectant la vision et le point de vue des femmes. «Au Women's Forum, on ne traite pas d'enjeux féminins. Il est plutôt question d'ajouter la voix des femmes à tous les enjeux importants», résume Patricia Barbizet, cofondatrice du Women's Forum et pdg du Groupe Artémis, le holding de la famille Pinault. On y parle cybersécurité, génération Y, risque géopolitique, leadership, entrepreneuriat, gouvernance, etc.
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De nombreux défis économiques et sociaux profiteraient d'une diversité de compétences et d'opinions. Soit parce qu'il s'agit de nouveaux problèmes pour lesquels les acteurs traditionnels ne sont pas formés. Soit en raison de problèmes récurrents qu'on pourrait mieux dénouer en y ajoutant un regard neuf.
On a longtemps réclamé l'inclusion des femmes au nom de l'équité et de la justice sociale. L'argument a peu porté. Aujourd'hui, de nombreuses organisations internationales et des chercheurs de plusieurs pays ont prouvé qu'il en va du développement économique et de la richesse collective. Cette fois, les chefs d'État et les chefs d'entreprise écoutent, comme Les Affaires a pu le constater au Women's Forum.
Entrepreneuriat : et si on essayait les femmes ?
Walmart, Goldman Sachs, Coca-Cola... ces firmes ont toutes un point commun : elles ont décidé d'investir dans l'entrepreneuriat féminin. Walmart et Coca-Cola le font par l'intermédiaire de leur chaîne d'approvisionnement. De 2011 à 2016, le détaillant de Bentonville aura accordé des contrats d'une valeur de 20 milliards de dollars américains à des entreprises appartenant à des femmes. Il a aussi l'intention de doubler ses approvisionnements internationaux auprès d'entrepreneures. Quant à l'embouteilleur, il se donne jusqu'en 2020 pour contribuer au développement de cinq millions de PME dirigées par des femmes. C'est le programme 5by20. Coca-Cola accordera des contrats aux femmes et surtout, il leur donnera accès à de la formation en gestion, en production, en finance et en ressources humaines, afin que leur PME puisse relever les défis d'un fournisseur de grande entreprise. Quant à Goldman Sachs, il amorce la deuxième phase de son programme 10 000 femmes, lancé en 2008. Le financier s'est associé à 90 maisons d'enseignement et ONG pour former des entrepreneures. Parmi les retombées, très concrètes, 82 % des diplômées ont vu leur revenu augmenter et 71 % ont créé des emplois.
Pourquoi ces entreprises s'intéressent-elles à l'entrepreneuriat féminin ? «Parce que toutes les économies du monde ont cruellement besoin d'accélérateurs de croissance, répond Melanne Verveer. Et il a été prouvé que ce sont les PME qui mènent la croissance et l'emploi. Sur tous les continents, les gouvernements incluent l'entrepreneuriat dans leur plan de développement économique. Pourtant, l'entrepreneuriat féminin constitue l'occasion inexploitée des pays en développement et l'occasion sous- exploitée des pays avancés.»
Des initiatives prometteuses, certes, mais tout n'est pas gagné. Walmart et Coca-Cola doivent s'adapter à ces fournisseuses inexpérimentées. Quant à ces dernières, elles doivent s'engager dans une courbe d'apprentissage fort abrupte. De part et d'autre, il faudra s'apprivoiser.
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Les clients changent de visage, les employés aussi
La croissance serait plus vigoureuse si les entrepreneures s'ajoutaient au nombre des entrepreneurs. Et les entreprises, elles, gagneraient à ce que leurs employés reflètent davantage leur base de clients. «La richesse a changé de visage, constate Pamela Thomas-Graham, chef du marketing et des talents chez Credit Suisse. Elle n'est plus uniquement blanche ni masculine. Les institutions financières doivent s'adapter pour servir ces nouveaux clients.» Credit Suisse a créé le concept de «stage de retour» (returnship). Ce programme est offert aux professionnelles qui désirent réintégrer le marché du travail après une pause. Il comprend un stage d'une durée de 8 à 10 semaines lié aux compétences et intérêts de la candidate, du mentorat, ainsi que des activités de réseautage.
Il n'y a pas que le secteur financier qui soit engagé dans cette voie. Les constructeurs automobiles aussi ont besoin des femmes. «La diversité, c'est très utile pour le business», estime Marie-Françoise Damesin, vice-présidente des ressources humaines chez Alliance Renault- Nissan. C'est utile pour innover. La Renault Captur, lancée en janvier 2013, est le fruit d'une équipe composée à parts égales d'hommes et de femmes. Elle se classe au septième rang des voitures les plus vendues en France, plaisant également aux clients des deux sexes. Les femmes de l'équipe de conception ont fait ajouter, entre autres, un tiroir de rangement coulissant, des housses que l'on peut enlever pour les laver et des tissus qui empêchent les collants de filer.
Les femmes sont utiles aussi pour vendre. «Près de 80 % des femmes et la moitié des hommes préfèrent qu'une femme plutôt qu'un homme leur vende un véhicule, ajoute Marie-Françoise Damesin. Leur approche de vente serait plus holistique.»
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Diversité , mode d'emploi
Les entreprises débutent souvent avec de bonnes intentions. L'équipe d'idéation s'avère relativement diversifiée. Mais cela se gâte à l'étape du design et de la fabrication. Conserver la diversité de l'idéation jusqu'à la livraison pose un défi. «Vous avez raison, concède Mme Damesin. Renault emploie 17 % de femmes. Nous tentons de nous approcher de cette proportion dans tous nos métiers. Ainsi, nous avons 18 % de femmes managers et 20 % au comité exécutif. Pour les autres métiers, c'est une lutte constante.»
Monter une équipe diversifiée pose un défi. La faire fonctionner en représente un autre. Gina Qiao, vice-présidente sénior chez Lenovo, en sait quelque chose. En 2005, sa vie a été complètement bouleversée. Cette année-là, la chinoise Lenovo achetait la division PC d'IBM. C'était bien plus qu'une acquisition. C'était le début de l'internationalisation de Lenovo. Depuis, cette société techno chinoise a réalisé sept autres acquisitions. Et elle a fait de la diversité son avantage concurrentiel. Sur papier et dans un discours, ça sonne bien. Mais lorsqu'on ne parle pas un mot d'anglais et qu'on se retrouve du jour au lendemain avec un patron américain, c'est autre chose. «J'en avais marre de ne pas me faire comprendre, confie Gina Qiao. Alors j'ai pris l'avion pour New York et j'ai débarqué dans son bureau. Là, je lui ai parlé par dessins. Les premiers mois furent très frustrants.» Elle a rapidement appris l'anglais. Et que dire des différences culturelles. «Après la première réunion, les Américains ont conclu que les Chinois n'étaient pas très dégourdis, parce que nous n'avions pas dit un mot. J'étais blessée», poursuit Gina Qiao. L'équipe d'IBM ignorait qu'en réunion, un Chinois attend qu'on le sollicite pour intervenir. Or, aucun Américain n'avait sollicité l'opinion de l'équipe de Lenovo.
La diversité harmonieuse prend du temps. Mais le temps n'est pas un magicien. Il faut aussi former. Chez Lenovo aussi bien que chez Renault-Nissan, on multiplie les ateliers pour apprendre à travailler ensemble. «Renault-Nissan aide et encourage les femmes à grandir dans l'entreprise, dit Marie-François Damesin. Mais elle aide aussi les hommes à accepter l'existence d'équipes diversifiées. On leur apprend, par exemple, comment intégrer le point de vue des autres.
«Ce n'est pas parce qu'une équipe est diversifiée qu'il y a diversité, poursuit Marie-Hélène Therre, ex-présidente du réseau français Femmes ingénieurs, consultante auprès de la Commission européenne et fondatrice d'Inclusive Innovation, une firme de consultation pour la diversité des genres. On peut museler la diversité et ne pas tirer profit des idées de tous.» Elle ajoute : «Par exemple, si une équipe ne compte qu'une ou deux femmes, la parole de la femme disparaît souvent. Elle réapparaît 10 minutes plus tard dans la bouche d'un homme et là, elle devient intéressante». Comment donner une voix à tous, s'assurer que tout le groupe rebondit sur les idées de chacun ? «Il faut du temps et un espace, répond Marie-Hélène Therre. C'est dans les petites choses que l'on pose un cadre où la parole est acceptable. Avant de passer au point suivant, on sollicite les nouvelles idées inspirées de la discussion. Et surtout, on prend soin de donner une même valeur à toutes les paroles.» La diversité devient productive s'il y a égalité des interactions.
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Les CA : l'ultime défi de la diversité
Le dernier bastion de la non-diversité, c'est le conseil d'administration. Le fameux «boy's club» où la pensée de troupeau est souvent la norme. Certains pays ont imposé des lois pour forcer l'ouverture. D'autres ont opté pour des mesures volontaires. Mais c'est probablement le principe de réalité qui sera décisif. «Les conseils d'administration affrontent des défis auxquels la plupart des administrateurs en poste n'ont jamais fait face, souligne Isabelle Allen, directrice des ventes et marchés mondiaux pour KPMG International. Seule une diversité de points de vue permettra de relever ces défis.» KMPG a répertorié quatre nouveaux défis pour les CA.
D'abord, les impôts et l'éthique. De plus en plus de sociétés défilent devant les tribunaux pour répondre de leur «créativité fiscale». «Il y a cinq ans, les CA ne demandaient aux entreprises que de s'assurer de ne pas payer plus d'impôts que leurs concurrentes, résume Isabelle Allen. Aujourd'hui, les CA doivent se soucier d'éthique et de gestion de risque. Est-ce que la société se comporte en bon citoyen corporatif ? Ses stratégies fiscales la mettent-elles à risque ?»
Ensuite, la cybersécurité. «Les CA n'ont jamais discuté de cybersécurité», souligne Isabelle Allen. En fait, le responsable de la cybersécurité se trouvait trois niveaux sous le directeur des TI. Bien loin de la direction et encore plus loin du CA. Les administrateurs n'ont pas à se transformer en pirates informatiques et tenter d'infiltrer les réseaux pour en vérifier la robustesse. Par contre... «Il sera sage de recruter des gens qui sont capables de le faire et qui comprennent la psyché des pirates informatiques, ajoute Isabelle Allen. Et ces gens-là ne correspondent pas au portrait-robot de l'administrateur typique...» Pourquoi pas des femmes ?
Et que dire des mégadonnées, ou big data ? «Il faut gratter sous la surface, dit Estelle Métayer, administratrice et présidente de la firme de consultation en stratégie Competia. Les big data représentent un risque de sécurité. Mais elles sont aussi source d'occasions d'affaires. Des occasions d'affaires à côté desquelles le CA passe souvent, faute de connaissances.»
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Finalement, l'arrivée de la génération Millenium comporte son lot de défis pour un CA habitué à une main-d'oeuvre plus mature, aux valeurs plus proches des siennes. Nous pourrions ajouter le risque géopolitique. «Une fois par année, un conseil devrait faire le tour du monde pour vérifier les menaces et les occasions dans les différentes régions», suggère Isabelle Allen.
Les CA en poste n'ont jamais affronté les enjeux précédents. Leurs administrateurs n'ont pas été choisis pour cela. Seule une diversité de points de vue, d'expertises et de compétences pourra venir à bout d'un tel niveau de complexité. Les femmes font partie du bassin de candidats diversifiés qu'on n'a pas encore sollicité, souligne Isabelle Allen.
Un monde plus inclusif est un monde plus prospère. L'idée fait son chemin. Peut-on accélérer le processus ? Il y a des lois, bien sûr. Mais «ajouter de nouvelles lois compte peu si l'on ne s'assure pas du respect de celles qui sont en place, déplore Virginie Morgon, pdg de la société d'investissement Eurazeo et membre du conseil de L'Oréal et de Vivendi. Il faut se méfier de l'attrait de la nouveauté. Assurons-nous que ce qui a été adopté est implanté et que ce qui a été implanté est maintenu». Et, au-delà des lois, il y a les comportements. De petites choses qui, additionnées, produisent de gros effets. «Il faut être constamment sur nos gardes, conclut Anne-Gabrielle Heilbronner, secrétaire générale du Publicis Groupe. Être conscients que chacune de nos actions a une conséquence. Ainsi, chaque fois que vous envoyez une équipe visiter un client, celle-ci doit absolument être diversifiée. C'est la seule façon de vraiment saisir la réalité du client et de générer des idées qui vous distingueront de vos concurrents.»
19: Dans l’univers pourtant si féminin de la mode, on compte 19 femmes cadres influentes pour 85 hommes ; 43 femmes designers pour 73 hommes ; et 22 « créatives » influentes pour 75 « créatifs » influents. Source : Bof500 du site britannique Business of Fashion (BoF) pour l’année 2014
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