Dans un texte intitulé «Sans carburant, pas d'élan» publié le 9 avril, deux économistes de l'Institut économique de Montréal mettent les Québécois en garde contre les périls économiques qui découleraient de l'abandon du pétrole au profit d'énergies plus propres. Les auteurs, Youri Chassin et Germain Belzile, réagissaient ainsi au «Manifeste pour un élan global», qui réclame un plan de sortie du pétrole au Québec.
Se basant sur un sondage commandé par leur institut à la firme Léger en 2014, ils plaident pour le respect du libre choix des Québécois de consommer du pétrole et affirment qu'un plan de sortie du pétrole relève de la pensée magique. Ce n'est pas la première fois qu'on oppose environnement et économie sur la place publique québécoise. Cela m'a amené à me pencher dans le détail sur les études de l'Institut économique qui soutiennent cette lettre ouverte.
Il convient d'abord de se demander comment une étude économique peut se fonder sur un sondage. Malgré les nombreux appels de personnalités économiques, politiques et scientifiques de tous horizons enjoignant aux sociétés d'agir sur le réchauffement climatique, faudrait-il s'abstenir de le faire parce qu'un sondage indique qu'une majorité de répondants ne désirent pas contribuer financièrement aux mesures qui permettraient de freiner le réchauffement ? Le même Institut économique prône un régime d'austérité depuis des années. Ses dirigeants avaient-ils consulté la population par sondage au préalable ?
Bien sûr, un sondage ne constitue pas un outil de planification stratégique pour l'économie d'une nation. Cette approche traduit une vision étroite suivant laquelle lorsqu'un virage énergétique représente un coût, mieux vaut ne rien faire et laisser mourir les écosystèmes dont nous dépendons. Selon le même raisonnement, faudrait-il également cesser toute rénovation de nos infrastructures, quitte à ce qu'elles nous tombent sur la tête dans 30 ans, pour éviter à tout prix les dépenses à court terme ?
L'énoncé de ces deux économistes voulant que la consommation de pétrole des Québécois relève d'un libre choix que l'on doit respecter à tout prix est tout aussi étonnant. Connaissez-vous plusieurs Québécois qui se réjouissent de leur libre choix au moment de dépenser 60 $ à la pompe ? De nombreuses procédures devant nos tribunaux et le bureau de la concurrence ont démontré l'existence de cartels dans l'industrie pétrolière. Ces cartels ont laissé peu de choix au consommateur et ne se sont pas gênés au cours des dernières années pour manipuler les prix à la hausse, engrangeant des profits record aux frais des consommateurs captifs.
Il existe d'autres solutions
En somme, le texte mise essentiellement sur la peur de ces coûts de transition et fait fi des solutions de rechange au pétrole et de la création de richesse qu'elles pourraient générer.
Pourtant, le temps où il fallait choisir entre économie et écologie est probablement révolu au Québec. En effet, ce débat sur le pétrole survient au moment où le Québec dispose de surplus d'électricité et où le constructeur automobile Tesla vient de commercialiser un modèle électrique doté d'une autonomie de 450 km. Les plans des voitures Tesla étant publics, rien n'empêche d'envisager la production de tels véhicules ici au Québec, comme l'a fait la Californie.
Plutôt que d'importer annuellement pour plus de 20 milliards de dollars en pétrole, le Québec n'aurait-il pas intérêt à se tourner vers une source d'énergie dont il dispose abondamment, qui est moins coûteuse et plus propre, créant ainsi de la richesse ici, au Québec ? Poser la question, c'est y répondre.
De nombreuses études économiques, publiées par des organisations comme Secor-KPMG, Desjardins et l'Institut de recherche en économie contemporaine (IREC), énoncent que l'un des plus grands défis du Québec est de s'attaquer à son déficit commercial, qui atteignait plus de 30 G$ en 2012. En réorientant sa politique de transport vers l'électricité, l'État québécois pourrait réduire considérablement ce déficit et s'enrichir, tout en permettant à ses contribuables de diminuer leurs dépenses en essence. Cela leur laisserait un revenu disponible supérieur, lequel stimulerait notre économie.
À l'instar du lobby des compagnies de tabac qui, dans les années 1990, invoquait le choix individuel des gens à fumer, minimisait les risques du tabac pour la santé et mettait en garde contre une réglementation excessive, le lobby du pétrole tentera de nous convaincre du libre choix des consommateurs, de l'aspect sécuritaire de son produit (depuis la catastrophe de Lac-Mégantic, plusieurs autres déraillements et déversements ont eu lieu au Canada) et prétendra que réglementer en la matière serait source d'appauvrissement.
Or, notre création de richesse découle de l'entrepreneuriat et de notre aptitude à saisir des occasions d'affaires. La transition du pétrole vers l'électricité, notamment en matière de transport, constitue une possibilité d'affaires qui enrichirait l'État, créerait de l'emploi et réduirait la facture en transport des consommateurs québécois : il suffit de démontrer un esprit d'entrepreneuriat et de saisir ces occasions.
Biographie
Paul St-Pierre Plamondon est vice-président de Delegatus services juridiques, une firme de 25 avocats issus des grands cabinets, dont la mission est de servir le Québec inc. Il est chroniqueur politique. En 2007, il a cofondé l'organisme Génération d'idées, qui se donne pour mission d'intéresser les 20 à 35 ans au débat public.