Si la ténacité est la qualité représentative des entrepreneurs, alors Hugo Leclair, 42 ans, et René-Pierre Roussel, 43 ans, sont bien de cette trempe. Les deux hommes ont racheté en 2004 l'entreprise de sérigraphie industrielle Les reproductions BLB, de Boucherville, après un long parcours du combattant.
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Ils s'attendaient bien sûr à ce que leur programme de rachat d'une entreprise existante ne soit pas facile. Mais à force d'entendre parler de l'enjeu majeur de la relève entrepreneuriale au Québec, ils pensaient ne pas avoir tant de mal à trouver du financement pour réaliser la transaction. Au lieu des six mois prévus par René-Pierre Roussel, qui a travaillé plusieurs années à la Caisse de dépôt et placement du Québec, ils ont dû remuer ciel et terre pendant plus d'un an pour réussir à boucler le montage financier. Ils ont mobilisé famille et amis, fait le tour des institutions financières du pays pour finalement faire affaire avec, notamment, Desjardins Capital de risque.
Une mise de fonds demandée de 25 %
L'entreprise Les reproductions BLB, qui comptait alors 16 employés, était en vente pour 1,4 million de dollars. Une banque imposait trois conditions pour accepter d'aider les jeunes repreneurs à l'acheter : que le marché de l'entreprise soit porteur, que les repreneurs versent une importante mise de fonds, et qu'ils possèdent une expérience dans le secteur d'activité. «On n'avait rien de tout ça ! lance Hugo Leclair. Le système financier a des critères de rendement et de gestion du risque à respecter, mais peu de releveurs peuvent les remplir», souligne-t-il.
Le marché manufacturier n'était pas jugé comme un secteur prometteur. La mise de fonds exigée par les banques était d'environ 350 000 $, soit environ 25 % du prix de l'entreprise.
«Nous n'avions pas cet argent. Nous étions dans la trentaine, et nos femmes étaient en congé maternité», se souviennent les deux hommes dans un sourire. Un problème récurrent, selon Francis Belzile, conseiller en faisabilité de projets PME : «Les repreneurs sont généralement d'anciens salariés qui, avec leur épargne, ne peuvent payer des mises de fonds importantes.»
Autre écueil : leur inexpérience dans le domaine. «Nous ne sommes pas amoureux d'un produit, mais de la gestion d'entreprise», expliquent Hugo Leclair et René-Pierre Roussel qui se sont connus alors qu'ils étaient salariés dans une entreprise de multimédia.
Tous deux avaient déjà lancé de petites entreprises. Mais pas dans la sérigraphie. Une tare, aux yeux des prêteurs. «Un coach en relève nous a même conseillé d'acheter plutôt un dépanneur !» rappellent les entrepreneurs.
Ils ne se sont jamais découragés. «Quand on sortait d'un rendez-vous où notre dossier avait été refusé, on téléphonait à une autre institution financière dans les escaliers en repartant !» Ils ont aussi négocié avec les vendeurs qui ont accepté un crédit vendeur de 30 %. Une première ouverture qui leur a redonné espoir. Finalement, ils ont dû accepter le soutien du capital de risque et céder 33 % du capital. Les deux trentenaires avaient conservé 60 % et donné 7 % aux amis qui les avaient aidés.
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Une fois l'achat conclu, en juin 2004, ils ont pu mettre en place leur stratégie de consolidation du marché, constitué de nombreuses petites entreprises que la crise économique a fragilisées. Ainsi, les deux entrepreneurs ont racheté six entreprises en cinq ans, dont leurs concurrents. Ces acquisitions leur ont permis de diversifier leurs services - étiquettes autocollantes, faces graphiques (Lexan), plaques signalétiques, claviers à membrane, identification de boutiques et de véhicules, communications promotionnelles.
Du financement pour les entreprises rentables
Le chiffre d'affaires de l'entreprise - maintenant plutôt connue sous le nom d'Idenco (emplacement de Boucherville) ou de Décalcomanie Artistic (Montréal) - a été multiplié par 9 en 11 ans, et la croissance annuelle est de 15 à 20 %. Elle compte aujourd'hui 75 employés. Un succès qui a permis aux quadragénaires de racheter les parts des autres actionnaires à la fin de 2014. Ils détiennent désormais 90 % de l'entreprise, et un employé clé, 10 %.
Aujourd'hui, le parcours d'Hugo Leclair et de René-Pierre Roussel aurait peut-être été moins difficile. «Il existe plus de solutions de financement pour la relève qu'il y a 10 ans, et on voit plus de dossiers dont les mises de fonds sont plus petites et peuvent même atteindre 10 % du prix de vente, assure Francis Belzile. Mais il reste que les prêteurs sont surtout intéressés par des entreprises rentables.»
Quant à l'expérience dans le secteur d'activité de l'entreprise achetée, elle est toujours «évidemment un plus». Pour pallier ce manque, il existe néanmoins des solutions. «On peut par exemple engager le repreneur pendant un an, le temps qu'il fasse ses preuves et que les partenaires le connaissent. Ce sera ensuite sûrement plus facile pour lui de trouver le financement pour acheter l'entreprise», dit M. Belzile. D'ailleurs, une fois installés aux commandes de l'entreprise, les deux entrepreneurs n'ont eu aucun mal à financer leurs nombreuses acquisitions.
Francis Belzile insiste sur la nécessité de former à la gestion d'entreprise les repreneurs, mais aussi de sensibiliser les cédants à l'importance de préparer leur entreprise à la vente.
«En faisant un diagnostic sur l'efficacité, l'intérêt des actifs, la productivité, etc., et en prenant quelques mesures pour améliorer la situation et la performance de l'entreprise, le rachat sera plus facile à financer», précise l'expert. Une étape encore utile aujourd'hui pour rendre la société plus rentable et donc le dossier plus intéressant aux yeux des prêteurs.
Relève entrepreneuriale
Série 1 de 3. Ces articles présentent les défis de jeunes entrepreneurs qui se lancent en affaires en prenant la relève d'une entreprise déjà en activité.
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