Dans la salle de conférence attenante à son bureau, Louis Vachon est affable et de bonne humeur. La Banque Nationale a publié d'excellents résultats quelques jours avant notre rencontre, ce qui ne nuit sûrement pas au moral. Pourtant, une question le fait grimacer. «La taille de la Nationale risque-t-elle de nuire à sa croissance future ?» Visiblement, le dirigeant en a soupé de se faire rappeler que ses concurrentes sont beaucoup plus grandes - la Banque Nationale affiche une valeur boursière de 16,7 milliards de dollars, par rapport à 115,4 G$ pour la Banque Royale et à 99,7 G$ pour la TD.
«Si la taille était tout, Madame, l'action de Citigroup aurait affiché la meilleure performance sur la planète.» Au lieu de ça, rappelle-t-il, ce sont plutôt les banques suprarégionales qui ont le mieux tiré leur épingle du jeu ces vingt dernières années. Pas étonnant, donc, qu'il utilise ce qualificatif sans rougir. «La grosseur n'est pas tout en finance. Oui, il y a des économies d'échelle. Mais à un moment donné, la taille a un effet négatif : les banques deviennent tellement grosses qu'elles ne sont plus capables de contrôler les risques. Nous ne sommes donc pas complexés pantoute !» Le grand patron de la sixième banque du pays est conscient qu'une institution financière doit avoir une masse critique minimale, nécessaire pour investir en technologies, par exemple, mais il juge qu'avec 200 G$ d'actifs et 1,5 G$ de bénéfices, ce seuil est atteint.
Pas de folies
La clé, selon Louis Vachon, est de grandir en se concentrant sur certains marchés géographiques et quelques créneaux ciblés. Il vise ainsi une «croissance équilibrée» dans les trois «pôles de métier» de la banque québécoise : les services bancaires traditionnels (aux particuliers et aux entreprises), la gestion de patrimoine et les marchés financiers.
L'expansion des activités en gestion de patrimoine a particulièrement retenu l'attention ces dernières années. L'institution était à la chasse aux acquisitions : Wellington West en mai 2011 (273 M$), la division des services-conseils en placement de plein exercice de Valeurs mobilières HSBC Canada en septembre 2011 (206 M$), 35 % de Fiera Capital en mars 2012 et Services institutionnels TD Waterhouse en août 2013 (260 M$). Résultat, ce secteur d'activité a représenté en moyenne 20 % des bénéfices de la banque au cours des derniers trimestres. Et cette proportion pourrait «facilement monter jusqu'à 20 % ou 25 %», indique le pdg, soulignant les tendances démographiques favorables.Le financier aimerait bien réaliser d'autres acquisitions en gestion de patrimoine, mais modère ses attentes. «Il y a beaucoup moins de cibles intéressantes et abordables qu'il y en avait», dit-il. La consolidation n'est pas terminée, mais elle est avancée. Les assureurs, comme l'Industrielle Alliance, ainsi que les autres banques ont en effet conclu plusieurs transactions dans ce secteur depuis trois ans. Dans ce contexte, la croissance future de ce créneau risque d'être majoritairement interne.
L'offensive de la Nationale en gestion de patrimoine plaît aux investisseurs. «Ça vient contrebalancer la volatilité des marchés des capitaux», explique Steve Belisle, gestionnaire chez Investissements Standard Life. Cette diversification explique en partie l'appréciation récente du multiple d'évaluation accordé au titre, quoique M. Belisle juge que la dernière élection provinciale, en diminuant les risques d'affaires, a joué un plus grand rôle dans cette bonification.
La croissance récente en gestion de patrimoine devrait également profiter aux services aux particuliers. La Financière Banque Nationale compte maintenant près d'une quarantaine de succursales à l'extérieur du Québec, comparativement à seulement neuf pour la Banque Nationale. Une belle occasion de ventes croisées aux yeux de Louis Vachon . Pour tester le potentiel, l'institution mène un projet-pilote à White Rock, près de Vancouver. «La Financière avait un très grand bureau ; nous y avons ouvert une succursale bancaire, avec trois employés, afin de vérifier si nous pouvons offrir plus de services bancaires à nos clients en gestion de patrimoine [majoritairement des courtiers indépendants, qui utilisent les services de l'ancienne division de TD Waterhouse]», précise le diplômé en économie et en finance internationale.
Quant à la division Marchés financiers (émissions d'actions et d'obligations, négociation, etc.), bien malin qui pourrait prédire les résultats à venir. Le pdg en parlera d'ailleurs peu en entrevue, se contentant de dire que les marchés sont dans «une période anormalement basse de volatilité». Il reconnaît cependant que sa firme profite de l'expansion internationale d'entreprises québécoises, propulsées par la Caisse de dépôt et placement du Québec. La Nationale a en effet piloté plusieurs de ces émissions d'actions, en plus d'agir comme conseillère et d'émettre des prêts. Mais elle ne dépend pas de ses relations avec la Caisse de dépôt, même si elles sont «excellentes», se défend l'homme de 52 ans. «Nous avions déjà des relations avec ces clients, bien avant l'implication de la Caisse.»Le Québec restera central
Dans cinq ans, espère Louis Vachon, la Banque Nationale réalisera 40 % à 45 % de ses bénéfices hors Québec, comparativement à 35 % actuellement. Une expansion géographique qui résultera d'un mélange d'acquisitions et de croissance interne. Cet objectif peut paraître peu élevé vu les visées pancanadiennes de l'institution. «Je reste positif par rapport à l'économie du Québec ; donc, l'expansion dans le reste du Canada est un complément et non un substitut à notre croissance au Québec», explique celui qui siège au conseil d'administration de Finance Montréal.
Étant donné que la Banque Nationale est déjà numéro deux dans la Belle Province, ne craint-il pas que sa croissance y soit limitée ? «Pantoute !» répond du tac au tac la Personnalité financière de l'année 2012 du journal Finance et Investissement [publié par le Groupe Les Affaires]. Le Mouvement Desjardins est bien installé partout en province, reconnaît-il, «mais c'est une saine concurrence». Quant aux grandes banques canadiennes, si certaines ont accru leur présence à Montréal, elles restent «carrément absentes en région». Le fait que le centre décisionnel de ses rivales est à Toronto joue contre elles, estime celui qui est maintenant un des pdg les plus expérimentés parmi les six grandes banques. «La proximité reste extrêmement importante pour les clients.»
De toute façon, ajoute Louis Vachon avec un brin de fierté, la Banque Nationale affiche la plus forte croissance du volume d'affaires dans les services aux particuliers et aux entreprises. «Nous n'avons pas l'air d'une firme qui a beaucoup souffert de la compétition, dit-il, sourire en coin. Nous nous défendons très, très bien et n'avons aucun complexe.»
Contrairement à d'autres institutions financières canadiennes, la Nationale ne lorgne pas les cibles d'acquisition au pays de l'oncle Sam. «La réglementation s'y est politisée et il y a encore beaucoup trop de banques», dit le fils de Beaucerons. De toute façon, puisque la Nationale n'a pas encore déployé sa stratégie «un client, une banque» partout au pays, il préfère rester focalisé sur le Canada à court terme. Une stratégie qu'approuve Barry Schwartz, vice-président de Baskin Financial Services. «La Nationale a beaucoup plus d'occasions de croissance au Canada que n'importe quelle autre banque.» La gestion de patrimoine offre, selon lui, une belle plateforme pour le futur.
La banque québécoise continuera tout de même de se faire la main à la gestion d'activités internationales, avec sa filiale américaine Credigy [spécialisée en recouvrement] et de «possibles petits investissements ici et là». Mais l'international ne sera pas une priorité pour les trois à cinq prochaines années, assure Louis Vachon. «À moyen terme, par contre, nous pourrions regarder les pays émergents.» Le dirigeant y apprécie la croissance démographique, qui diversifierait le profil de sa banque.Boudée des analystes, mais pas du marché
Le titre de la banque fondée en 1859 a gagné 19 % au cours de la dernière année et 48 % pendant les trois dernières années. Il a même atteint un nouveau sommet historique de 54 $ après l'annonce des derniers résultats trimestriels fin août, supérieurs aux attentes - le titre a depuis légèrement redescendu, à 50,81 $.
«La Banque Nationale a une très, très bonne profitabilité, parmi les meilleures des banques à charte», souligne Stephen Gauthier, gestionnaire chez Fin-XO Valeurs mobilières. Ce dernier évite le secteur bancaire en ce moment, à cause des risques du marché immobilier, mais achèterait le titre de la Nationale s'il était plombé par une correction générale de marché.
Marc-André Robitaille, chez AGF, juge lui aussi le titre intéressant de façon relative. «Je ne serais pas surpris que la Nationale dépasse encore les attentes dans le futur», dit-il. Étant donné le potentiel de croissance supérieur à celui de la moyenne des banques canadiennes et le rendement du dividende similaire aux institutions comparables, M. Robitaille juge correcte l'évaluation actuelle.
Malgré cela, la Banque Nationale ne fait l'objet que d'une recommandation d'achat parmi les seize analystes sondés par Bloomberg ; douze recommandent plutôt de conserver le titre, et trois suggèrent carrément de le vendre.
«Que voulez-vous !» commente d'un ton résigné Louis Vachon. Installés à Toronto, les analystes financiers ont selon lui une vision trop pessimiste de l'économie du Québec. Heureusement, ajoute-t-il, ni la direction ni les actionnaires ne partagent cette vision. Au contraire, ce fils et petit-fils d'entrepreneurs juge que le Québec «fait les bonnes choses», c'est-à-dire équilibrer les finances publiques et miser sur les exportations. «Je suis dans le camp de ceux qui voient le verre à moitié plein.»Le plus grand défi des institutions financières...
«Je veux m'assurer de léguer à mon successeur - même si je pense être là encore plusieurs années - une culture d'entreprise adaptée aux changements. Ces derniers s'accélèrent, et il faut que la culture organisationnelle, les processus et la technologie permettent de s'adapter aux changements.»
Pourquoi il encourage l'entrepreneuriat...
«J'ai grandi là-dedans, donc je suis très sensible à l'apport de l'entrepreneuriat. La création de richesse nous donne plus de choix comme société. Le succès entrepreneurial, en créant de l'emploi, est aussi un élément important pour préserver le fait français à long terme au Québec.»
L'endettement des ménages...
«Il est élevé, c'est un fait. Mais il ne causera pas de récession. Par contre, c'est un point de vulnérabilité si des phénomènes externes causaient une récession. Il faut trouver un moyen de diminuer tranquillement le ratio d'endettement des ménages et de faire en sorte que l'investissement privé prenne le relais de la consommation dans la croissance économique.»
Louis Vachon
Pdg depuis 2007 et âgé de seulement 52 ans, Louis Vachon se trouve beaucoup trop jeune pour rêver de retraite. «Tant que la santé, les résultats et le conseil d'administration me le permettront, je compte rester.» Mais s'il devait quitter la Banque Nationale, celui qui a vu son père prendre sa retraite un peu trop tôt irait faire autre chose. Et pourquoi ne se lancerait-il pas en affaires ? dit-il en riant. «Je vais arrêter de parler d'entrepreneuriat, baptême, et je vais le faire !» Amateur d'arts martiaux et de rugby, le père de deux enfants d'une vingtaine d'années s'adonne pour le moment à la boxe. «Contre un sac !» précise-t-il.
Une banque qui l'inspire...
«Wells Fargo, pour sa simplicité. Tout le monde comprend son modèle d'affaires, tant les employés que les actionnaires. Nous nous en sommes un peu inspirés pour ce qui est de la stratégie "un client, une banque".»
> 34 %: Les marchés des capitaux devraient représenter 34 % des bénéfices nets en 2015 selon Sohrab Movahedi, analyste chez BMO.
> 38 %: Le dividende génère un rendement de 3,8 %. « Le marché ne reconnaît pas suffisamment que la Nationale a été la première banque à hausser son dividende après la crise et qu’elle l’a depuis bonifié au rythme le plus soutenu », estime Barry Schwartz, de Baskin Financial Services.