«Il ne sera pas dit que nous vivrons pauvrement sur une terre aussi riche !»
C'est en ces termes que, le 30 avril 1971, le premier ministre Robert Bourassa lança le «projet du siècle», l'aménagement hydroélectrique de la Baie-James. Comme la plupart de ses prédécesseurs, et comme nombre de ses successeurs, M. Bourassa contribua ainsi à entretenir un mythe québécois tenace : que notre prospérité repose sur l'abondance de nos richesses naturelles - notre «terre aussi riche».
Je n'oserais pas réduire la pensée économique de M. Bourassa à cette formule-choc, sortie tout droit d'un discours politique. Lui, mieux que quiconque, savait que notre prospérité tenait à bien plus qu'à la proverbiale générosité de notre territoire.
En effet, aujourd'hui, la valeur économique de la Baie-James ne tient pas aux rivières, n'en déplaise aux pêcheurs. La valeur économique de la Baie-James provient des barrages, des centrales et des lignes de transport d'électricité qu'on y a érigés. Un complexe d'ouvrages de béton, de terre et d'acier, qui produit chaque année plus de 80 milliards de kilowattheures et les achemine vers les marchés du Sud. Ces ouvrages ne sont pas sortis de terre, mais bien du cerveau de femmes et d'hommes - ingénieurs, techniciens, entrepreneurs, gestionnaires, financiers.
Même quand il s'agit de ressources naturelles, c'est dans la tête que commence la prospérité.
Certes, dans une perspective planétaire, les ressources naturelles restent essentielles à la création de richesse. Tout ce qui nous entoure, même nos prodigieux outils technologiques, est fabriqué à partir de ressources naturelles - si ça n'a pas poussé dans la terre, on l'a forcément extrait du sous-sol.Mais nous sommes au 21e siècle. Le siècle du libre-échange, des transports efficaces et des communications. La disponibilité des ressources sur un territoire donné ne détermine plus sa capacité de créer de la prospérité. Selon les derniers chiffres publiés par l'Institut de la statistique du Québec, des dix États les plus riches de la planète, cinq - le Luxembourg, Macao, Singapour, la Suisse et Hong Kong - n'ont pas ou peu de ressources naturelles. Les habitants de l'Irlande, des Pays-Bas, de la Belgique, de Taïwan ou du Japon ont un pouvoir d'achat supérieur au nôtre, qui vivons pourtant sur cette «terre aussi riche».
La richesse vient de la valeur ajoutée. Pas de la valeur prélevée. Le kilowattheure n'est pas prélevé du bassin de la Baie-James. Il est tiré de la rivière grâce aux savoirs, au savoir-faire et aux capitaux qu'on y a investis.
Ce qui détermine la prospérité, c'est la capacité des êtres humains de créer de la valeur par l'innovation. C'est une combinaison du temps de travail et de la productivité avec laquelle ont utilise les ressources, le capital et le travail.
Ah, la productivité !
Évitons tout malentendu. Être productif, ce n'est ni travailler plus fort ni travailler plus longtemps. C'est produire beaucoup par heure travaillée. Selon les chiffres de l'OCDE, les travailleurs les plus productifs sont, dans l'ordre, les Norvégiens, les Luxembourgeois et les Américains. Pas exactement des esclaves, ni du cheap labour. Les Belges, les Hollandais et les Suédois notamment sont plus productifs que les Canadiens. Les Français sont plus productifs que les Allemands. S'ils sont moins riches, c'est qu'en moyenne, ils travaillent moins - reflet, sans doute, de leur structure démographique et d'un choix de société - de leurs valeurs, en somme. Si on veut s'enrichir sans travailler davantage, il faut être plus productif.Un paradigme bon pour la société
Comment devenir plus productif ? Par l'investissement dans des machines, dans la technologie, dans des procédés plus performants ; par la migration de la production vers les portions à forte valeur ajoutée de la chaîne de production ; par l'innovation, la recherche de nouvelles façons de faire. Et pour accomplir tout cela, par l'investissement dans l'éducation, la formation permanente de la main-d'oeuvre, le maintien des savoir-faire de pointe. Et la boucle est bouclée : nous voici revenus au cerveau comme socle de la prospérité. À la tête, mais surtout, à son contenu.
La tête, c'est plus que des savoirs, plus que des savoir-faire. C'est aussi des attitudes, des valeurs - bref, une culture.
Dans un article publié en 2000, le professeur à la Harvard Business School, Michael Porter, écrit qu'il existe des nations à la «culture improductive». Selon lui, l'aptitude collective à la prospérité repose sur deux convictions : d'abord, que c'est la productivité qui est à la base de la prospérité, et non le contrôle des ressources, la protection du gouvernement ou la puissance militaire, et que le «paradigme de la productivité» est bon pour la société ; ensuite, que le potentiel d'enrichissement est sans limites, puisqu'il se fonde sur les idées, la perspicacité et l'imagination. Selon M. Porter, la conviction que la richesse potentielle est fixe mène les gens à se battre pour maximiser leur part du gâteau, plutôt que de chercher à le faire grossir au bénéfice de tous. D'où une «culture improductive».
Valeurs, savoirs, savoir-faire. La prospérité commence par là. Dans la tête.
Robert Dutton est le tout premier entraîneur en résidence de l'École d'entrepreneurship de Beauce (EEB). Pendant 20 ans, il a assuré la direction de Rona à titre de président et chef de la direction. Sous sa gouverne, l'entreprise a connu une croissance soutenue et est devenue le plus important distributeur et détaillant canadien de produits de quincaillerie, de rénovation et de jardinage. Après un passage aussi marquant que remarquable comme entrepreneur-entraîneur, Robert Dutton a décidé d'accompagner les entrepreneurs-athlètes de façon plus assidue, au sein de l'EEB.