Encore trop peu nombreuses, les dirigeantes féminines ? Difficile de prétendre le contraire. En 2012, elles ne représentaient que 18,1 % des cadres supérieurs des 500 plus grandes sociétés canadiennes, selon Catalyst. Les femmes que nous vous présentons prouvent toutefois qu'il est possible de se frayer un chemin jusqu'au sommet, y compris dans des services gorgés de testostérone. De quoi inspirer nos lectrices (et lecteurs !) à viser, eux aussi, les hautes sphères... et à les atteindre !
Josée Perreault : accepter d'être mutée partout sur la planète
Elle jure n'avoir jamais rêvé d'être pdg. Pourtant, le poste qu'occupe Josée Perreault en ferait baver plusieurs d'envie. Vice-présidente principale aux affaires mondiales, elle gère de Californie toutes les unités d'affaires d'Oakley, mis à part les activités américaines. C'est d'elle que relèvent les cinq vice-présidents régionaux... et que dépendent les trois quarts du chiffre d'affaires de 1,5 G $US de la célèbre marque de lunettes.
Mais tout ça, il faut lui tordre un peu le bras pour qu'elle le précise. «Je m'en fous du titre. L'important est ce que tu fais de la job, comment tu prends des initiatives et à quel point tu penses outside the box», dit Josée Perreault en entrevue téléphonique.
Lorsque des femmes lui demandent conseil, elle les exhorte à calmer leur soif de grimper les échelons. «Quand tu es passionnée et que tu produis des résultats, ça arrivera puisque tu vas te faire découvrir.»
La Montréalaise d'origine est bien placée pour parler. En août, elle fêtera ses 20 ans avec la marque américaine, propriété du groupe italien Luxottica depuis 2007. Elle a d'abord été embauchée par le distributeur canadien d'Oakley, puis a été nommée directrice générale de la filiale canadienne lorsque, deux ans plus tard, la multinationale a internalisé la distribution.
De là, elle a fait son chemin. «Je suis arrivée où je suis maintenant en voyageant un peu partout dans le monde pour développer la marque et construire des équipes.» Envoyée trois ans à Paris pour «restructurer une partie de l'Europe», elle est revenue quelque temps au Canada pour des raisons personnelles, puis s'est installée à Zurich au début de 2008. Elle y a été pendant trois ans responsable de l'Europe, du Moyen-Orient et de l'Afrique. «Durant mon séjour à Zurich, la direction a décidé de m'envoyer en Californie [au siège social] et de me créer un rôle mondial.» Elle y collabore de très près avec le pdg, tout en passant au moins la moitié de l'année en déplacement.
Même si elle ne regrette rien, Josée Perreault avoue que ces décisions ont toujours été déchirantes. «C'est stressant au boutte une expatriation, et ça a des implications importantes pour la vie personnelle et familiale. Quand tu en as vécu une, tu hésites encore plus.» Surtout que son mari, le député caquiste Christian Dubé, vit toujours au Québec. Leur fils de 16 ans, par contre, l'a toujours suivie. «Ça a fait de lui un enfant hyper adaptable et super mature, qui connaît le monde», se félicite la femme de 50 ans, pour qui «tout rentre dans l'ordre quand on arrête de se sentir coupable».
À l'écouter, on se dit que Josée Perreault déborde de confiance. «Tu penses ça, hein ? Eh bien non», dément-elle vivement. Chaque fois qu'elle s'est fait offrir un gros poste, elle a douté d'être à la hauteur. Pourtant, elle a toujours dit oui. «Je n'ai jamais refusé de mandat, mais j'ai toujours défini très clairement les attentes, comment j'allais les atteindre et ce dont j'avais besoin pour y arriver», dit celle qui a «de grandes aspirations de croissance» pour la marque.
La confiance de Mme Perreault a d'ailleurs été vivement ébranlée récemment par l'arrivée d'un nouveau collègue, «brusque, intimidant et agressif». «J'ai vraiment mal réagi, perdant complètement confiance et me refermant sur moi-même.» La situation s'est envenimée au point où elle a dû demander l'aide de son pdg. «Je n'étais pas capable de m'en sortir toute seule», dit-elle, consciente que tous n'ont pas la chance d'avoir une telle confiance en leur supérieur. Mme Perreault raconte cet épisode sans amertume. Elle en ressort grandie, et c'est ce qu'elle a décidé de retenir. «C'est normal de frapper des murs. L'important, c'est d'apprendre de ces expériences.»
La dirigeante aura une nouvelle occasion d'apprendre cette année, puisqu'elle est devenue administratrice de WSP (anciennement Genivar) en janvier. La «rookie des conseils» compte bien y apporter son expertise en gestion de marque et en développement international. «Ils cherchaient quelqu'un de différent», dit-elle. Ils l'ont.
Corinne Charette : sortir sans relâche de sa zone de confort
Corinne Charette est ni plus ni moins la grande patronne de tout ce qui touche l'informatique et l'information au gouvernement fédéral. Depuis cinq ans, elle est responsable des stratégies et des politiques en matière d'informatique, mais aussi de la protection des renseignements personnels, de l'accès à l'information et des politiques de service gouvernemental. Son équipe compte 180 personnes, mais son ascendant est beaucoup plus grand, puisque tous les ministères et agences doivent se conformer aux consignes émises par son service.
Un rôle exigeant, mais passionnant pour celle qui a passé presque toute sa vie au Québec. «Il n'y a pas de meilleur rôle de dirigeante principale de l'information au Canada ! Ici, j'ai vraiment un impact direct sur les Canadiens, ce qui est très valorisant et super intéressant», dit Corinne Charette avec ardeur au bout du fil.
L'ampleur de ces responsabilités en effraierait probablement plusieurs, mais pas cette ingénieure de formation. Grâce à ses «relativement fréquents» changements d'emploi, elle savait qu'elle serait capable de relever le défi lorsque le gouvernement lui a offert le poste.
Depuis le début de sa carrière, Mme Charette cherche en effet de nouvelles responsabilités dès que son tour du jardin est terminé. Cela l'a amenée à travailler chez IBM, KPMG, Via Rail, CIBC, ainsi qu'au Centre d'analyse des opérations et déclarations financières du Canada (CANAFE) et chez Transat. Des mouvements qu'elle est loin de regretter ! «Chaque fois que j'ai changé d'emploi, j'ai trouvé ça bénéfique pour mon bagage professionnel.»
Elle y a gagné des compétences, mais aussi une solide confiance dans sa capacité d'adaptation et d'intégration. «Me lancer dans un nouvel environnement ne m'a jamais vraiment préoccupée. Avec le temps, on apprend qu'on a beaucoup plus à apprendre qu'à perdre.» Elle s'est toutefois fait un point d'honneur de toujours quitter en bons termes. À preuve, elle a effectué deux passages chez IBM et KPMG, et en est à son deuxième séjour au Gouvernement du Canada (dont fait partie le CANAFE).
La recette de la dirigeante pour s'intégrer dans tous ces milieux de travail ? Faire ses devoirs afin de comprendre les enjeux de l'industrie et de l'organisation ; arriver avec les oreilles et les yeux ouverts, sans idées préconçues ; établir de bonnes relations avec ses collègues, patrons et subalternes ; et ouvrir son esprit à d'autres façons de faire.
Ces compétences lui servent constamment dans son poste actuel. Elle doit, par exemple, gérer la consolidation de tous les sites Web du gouvernement fédéral à une seule adresse (canada.ca), ce qui nécessite une mobilisation à tous les niveaux. «C'est un exercice de consultation et de collaboration à échelle massive», explique la dirigeante, qui mise sur la communication et la reconnaissance de l'expertise des différents services pour mener à bien ce projet.
Ce n'est là qu'un des projets qu'énumère avec enthousiasme Corinne Charette. À l'entendre, on a l'impression que les défis qui l'attendent suffiront à la faire rompre avec son habitude de changer régulièrement de boulot. Dans son bureau d'Ottawa, la principale intéressée échappe un rire. «J'adore ce que je fais !» reconnaît-elle simplement.
Paula Keays : savoir communiquer au-delà des chiffres
L'employeur de Paula Keays, McKesson Canada, est bien peu connu du grand public. Pourtant, la vice-présidente principale et chef de la direction financière est à la tête d'une équipe de... 250 personnes ! Le grossiste en médicaments, propriétaire d'enseignes (dont Proxim) et fournisseur de robots distributeurs aux hôpitaux et pharmacies, entre autres activités, génère en effet des revenus annuels de plus 10 milliards de dollars.
Pour Mme Keays, l'aventure chez McKesson a commencé il y a 13 ans à titre de contrôleur corporatif. Un «gros move» que celle qui avait auparavant occupé des postes comptables chez Lafarge et aux stations de télévision montréalaises CFCF 12 et CJMT doit à une chasseuse de têtes enthousiaste. «C'était un gros poste par rapport au reste de ma carrière, mais comme elle ne m'a pas laissé le temps de dire que je n'étais pas capable, je me suis retrouvée à aller à l'entrevue. C'est la meilleure chose que j'aie faite de ma vie !»
Force est d'admettre que le recruteur a eu raison : Mme Keays a été promue vice-présidente en 2005, puis chef de la direction financière en 2007 et enfin vice-présidente principale, chef de la direction financière et Six Sigma.
Son principal atout pour gravir les échelons ? «Mon entregent», répond sans hésiter la femme de 54 ans, qui avait commencé ses études en ressources humaines avant de bifurquer vers la comptabilité. «C'est ce qui m'a permis de survivre aux défis», dit-elle en riant. Comme cette fois, en début de carrière, où elle a dû remplacer au pied levé son patron chez Lafarge pour présenter les budgets. «Je n'étais là que depuis quatre mois ! Et, en plus, il n'y avait alors que des hommes dans les usines.» Heureusement, elle a su établir un bon contact avec ses interlocuteurs. «C'est un moment marquant de ma carrière, parce qu'il m'a donné le courage de faire face aux défis, même ceux où je ne connais pas tout.»
Cet entregent sert aussi Paula Keays quand vient le temps de faire accepter ses projets chez McKesson. La dirigeante reconnaît en effet que, même si elle est peu portée sur la «game politique», il lui est parfois impossible d'y échapper. «Si j'essaie d'amener un changement, c'est certain que je vais faire de la prévente auprès de mes alliés. Je n'irais jamais devant le comité de direction sans ça !» Les gens, dit-elle, n'aiment pas les surprises. «Ils veulent savoir où tu vas et pourquoi.» Elle fait donc collaborer en amont ceux qui sont susceptibles de l'aider, question qu'ils comprennent le but du projet et ce qu'il leur apportera.
Pour l'aider à avancer, la native de Chandler, en Gaspésie, s'est aussi alliée à une coach il y a deux ans. Cette dernière n'appartient pas au milieu de la finance, mais le comprend assez pour la mettre au défi. «Je l'adore ! Je suis très à l'aise avec elle, entre autres parce que j'ai confiance à 100 % en sa confidentialité.»
Mme Keays aime beaucoup ce regard extérieur, d'autant qu'elle n'a personne au-dessus d'elle en finance chez McKesson, du moins au Canada. «J'y vois maintenant un outil indispensable, auquel je compte avoir recours encore longtemps», dit celle qui trouve quand même le temps de servir de mentor à deux femmes de son service et à une autre chez ses vis-à-vis américains.
Puisque McKesson vise une forte croissance, Mme Keays voit encore beaucoup de beaux défis se profiler à l'horizon. Elle compte notamment s'impliquer davantage dans les volets opérationnels et stratégiques, ce qu'elle fait déjà avec Six Sigma et qu'elle fera bientôt en veille stratégique (intelligence d'affaires).
À plus long terme, lorsque ses garçons de 16 et 18 ans seront un peu plus vieux, elle aimerait bien aussi siéger à des conseils d'administration. Une autre chasseuse de têtes enthousiaste saura-t-elle alors la convaincre de viser haut ? Parions que oui.
Chantal Belzile : grimper sans complexe
À 26 ans, Chantal Belzile gérait déjà une équipe de cinq personnes. Vingt-cinq ans plus tard, elle est à la tête d'un groupe de 150 employés et est responsable de l'ensemble des technologies utilisées par la Banque de développement du Canada.
Première vice-présidente et chef des technologies de l'information de l'institution depuis six ans, Mme Belzile est un oiseau plutôt rare dans son domaine, mais cela ne l'a jamais intimidée. «L'important est de ne pas jouer à la victime. Lorsqu'on a confiance en soi et que notre attitude le reflète, on peut avoir des discussions qui ne font pas de différence entre les hommes et les femmes», dit celle qui gère un budget annuel d'environ 50 millions de dollars.
De plus, les organisations encouragent le travail d'équipe à leur tête, ce qui diminue un peu les jeux de coulisses - avec lequel les femmes sont moins à l'aise - tout en maintenant l'importance de l'écoute. «C'est sûr qu'on doit être ambitieux pour arriver à ces niveaux, il faut aussi bien comprendre ce que ses collègues recherchent», dit Mme Belzile, soulignant la parité hommes-femmes du comité de direction de la BDC.
Fille d'un entrepreneur d'Edmundston, au Nouveau-Brunswick, la dirigeante de 50 ans a appris tôt à s'intéresser aux gens. Dans l'entreprise de transformation laitière de son père, le client était roi ! Cette attitude lui a été bien utile lorsqu'elle a commencé à travailler chez CGI dans le milieu des années 1980. «Les clients ont des attentes élevées en consultation et on doit performer rapidement.»
Chantal Belzile y a appris à vite cerner l'essentiel et à se concentrer sur l'atteinte des résultats. «La perfection peut être ennemie de la qualité», dit la mère de deux garçons âgés de 20 et 22 ans. Une philosophie qu'elle essaie d'appliquer tant au bureau qu'à la maison. «On doit arrêter de se flageller !» s'exclame-t-elle. Non, elle ne fait pas tout parfaitement à la maison, mais cela aura des répercussions positives sur ses garçons... et leurs futures conjointes ! «Il comprennent très bien que les femmes sont égales aux hommes et ils s'attendront à ce qu'il y ait un partage des tâches.»
Isabelle Perron : apprendre et innover
Détentrice d'un DEC en bureautique, Isabelle Perron est entrée sur le marché du travail comme secrétaire-réceptionniste chez un entrepreneur général de Montréal. Aujourd'hui, elle est directrice des finances et de l'administration de Construction de la Croisette, une entreprise de Rosemère comptant une vingtaine d'employés en période de pointe. Ah, et elle est aussi la relève pressentie du propriétaire Marc L'Heureux !
«Je suis une femme d'affaires dans l'âme», dit la dame de 38 ans, qui fréquente l'École d'entrepreneurship de Beauce en vue de reprendre l'entreprise pour laquelle elle travaille depuis 2000. Ces dernières années, Mme Perron a suivi plusieurs formations pour parfaire ses connaissances, dont un certificat en gestion d'entreprise à HEC Montréal et du coaching axé sur les ressources humaines. Elle dévore aussi tout ce qui touche sa région et son industrie, ce qui lui permet d'«apporter de plus en plus [sa] touche de créativité» à l'entreprise fondée il y a 25 ans.
Mme Perron dit ne pas avoir vraiment ressenti de résistance quant à ses responsabilités croissantes. «Ça s'est fait naturellement, probablement parce que j'arrive avec beaucoup de nouvelles idées et que je réussis à rassembler les gens.»
Isabelle Perron sait aussi tisser des liens à l'externe. Elle a notamment fondé le réseau Les Elles de la Construction en 2010, au sein duquel elle continue de s'investir. Elle siège également depuis l'an dernier à la Table d'employabilité femmes des Basses-Laurentides. «Ça me donne des informations globales et m'ouvre à ce qui se passe dans notre région», apprécie celle qui s'est donné comme mission d'embaucher régulièrement des stagiaires immigrants ou en situation de pauvreté.
Et la relève, c'est pour quand ? «Nous n'avons pas établi d'échéancier, mais je me sens déjà très engagée et impliquée», dit Isabelle Perron avec assurance.
Rana Ghorayeb : profiter d'une vision macro
Vice-présidente à la Caisse de dépôt et placement du Québec, Rana Ghorayeb est responsable des transactions en infrastructures. Avec son équipe, elle réalise, un peu partout dans le monde, des acquisitions et des partenariats dont la valeur approche le milliard de dollars.
«J'adore mon travail ! Il me permet d'aider des gens en construisant des infrastructures et de redonner aux Québécois en investissant dans leur fonds de retraite», dit fièrement la Libanaise d'origine, arrivée au Québec à cinq ans.
Le parcours de Mme Ghorayeb est plutôt atypique. Après un baccalauréat en urbanisme, elle a effectué une maîtrise en ingénierie, puis a travaillé quatre ans en construction. Constatant que, «sans argent, les projets ne se font pas», elle a fait une maîtrise en finance à l'université de New York.
Ce cheminement a bien servi la femme de 40 ans. «J'ai une vision beaucoup plus globale que si je n'avais étudié qu'en ingénierie.» Avant de se joindre à la Caisse il y a un an et demi, Mme Ghorayeb a notamment été vice-présidente chez J.P. Morgan, où elle réalisait de Londres des transactions partout en Europe.
Si elle se qualifie de cartésienne, Rana Ghorayeb croit toutefois qu'elle ne serait pas parvenue où elle est sans ses habiletés sociales. «Nous travaillons toujours avec des humains, que ce soit des partenaires ou des vendeurs. Si nous ne sommes pas commodes, ils ne voudront pas négocier avec nous !»
Mère d'un garçon de trois ans et demi, elle refuse de voir dans la maternité un frein à la carrière des femmes. «Il faut juste jongler avec un peu plus de balles en même temps. Quand on veut, on peut !