J'ai entendu récemment que le signe d'une grande métropole est qu'elle agit un peu comme un tourniquet. Les travailleurs talentueux et ambitieux y déménagent pour y trouver des occasions et accélérer leur carrière. Toutefois, ils finissent par en sortir, plus riches, pour regagner leurs villes d'origine ou se mettre en quête d'autres occasions ailleurs. Il y a un roulement naturel. New York et Silicon Valley sont deux excellents exemples.
La grande valeur des immigrants
Aujourd'hui, plus de 3 millions d'habitants de New York ne sont pas nés aux États-Unis, soit environ 37 % de sa population totale. Il s'agit là d'une population immigrante qui est supérieure à la population totale de Chicago. C'est aussi la plus forte densité d'immigrants à New York en plus d'un siècle, une ville reconnue historiquement comme un havre d'immigration. À cela s'ajoutent tous ceux qui s'installent chaque année dans la ville en provenance de tous les autres États américains.
Ces statistiques remarquables doivent être comprises comme le signe indéniable d'une perception forte : il y a des occasions à New York qui justifient qu'on y emménage, ne serait-ce que pour quelques années.
Les immigrants continuent de jouer un rôle majeur à Silicon Valley où, là aussi, 37 % des habitants ne sont pas originaires des États-Unis ; 60 % de ceux-ci sont nés en Asie. Selon la Fondation Kauffman, les immigrants sont en fait deux fois plus susceptibles de devenir entrepreneurs que les Américains de souche. De plus, l'historien Leslie Berlin, de l'université Stanford, estime que plus de 50 % des fondateurs d'entreprises technologiques fondées entre 1995 et 2005 ne sont pas nés aux Etats-Unis. Certaines de ces entreprises, comme Google et eBay, ont généré des milliards de bénéfices. J'ai été en mesure de voir les bienfaits de cette grande diversité quand j'habitais à Silicon Valley.
L'afflux d'immigrants est un cercle vertueux. Après que le nouvel arrivant a fait une expérience positive d'une de ces villes, il passe le mot autour de lui à son retour. Cette pollinisation entraîne les plus déterminés à quitter leur ville d'origine pour émigrer à leur tour. C'est comme cela que New York et Silicon Valley continuent d'attirer chaque année des quantités impressionnantes de gens talentueux prêts à mettre la main à la pâte. Il est intéressant de réfléchir à cette dynamique dans le contexte du futur de Montréal et du Québec.
Garder la crème de la crème au Québec
Dans le cadre de l'événement «Philagora» célébrant les 50 ans de la Fondation J. Armand Bombardier, le 13 mai, j'ai eu la chance de participer à une entrevue avec Gabriel Bran Lopez, président fondateur de l'organisme Fusion Jeunesse. Gabriel m'a posé une question plutôt intéressante : «Si tu étais un entrepreneur social, sur quel enjeu unique choisirais-tu de travailler ?» Je lui ai répondu «le talent».
Les défis sociaux - dans les secteurs de la santé, l'environnement ou l'éducation - sont nombreux autour de nous. Comme je l'ai souligné dans mon allocution à C2 Montréal l'an passé, il y a encore beaucoup d'expériences «cassées» dans tous ces domaines. Traduction dans le langage de l'entrepreneur : des occasions un peu partout.
Cela dit, je pense que l'acquisition et la rétention du talent constituent un enjeu transversal et potentiellement transcendant par rapport aux problèmes spécifiques de ces domaines particuliers. La raison est simple, selon moi : si nous réussissons à attirer et à retenir les meilleurs à Montréal, je pense que la majorité de ces situations aura tendance à se régler à un rythme beaucoup plus rapide.
Alors que faut-il pour que le Québec devienne véritablement un aimant pour le talent ? Certaines révisions aux politiques de visa et d'immigration pourraient y contribuer. On peut aussi encourager certains expatriés talentueux à retrouver le Québec. Cependant, selon moi, il faut commencer par regarder du côté de l'éducation.
Le rôle clé des universités
On le répète souvent : avec environ 220 000 étudiants, Montréal est la deuxième ville en Amérique du Nord en matière de densité d'étudiants universitaires après Boston. Nous avons là un avantage absolu que nous devons exploiter.
Ainsi, au-delà de la qualité de vie exceptionnelle au Québec (y compris notamment un coût de la vie relativement bas et une panoplie de services sociaux), avons-nous les bonnes occasions pour attirer et garder les meilleurs jeunes diplômés à Montréal, autant dans nos grandes entreprises québécoises que dans nos start-up en forte croissance ? Les postes sont-ils rémunérés de manière concurrentielle par rapport à ceux de l'Ontario ou des États-Unis ? Y a-t-il autant de projets scientifiques porteurs qui encouragent les diplômés à rester pour quelques années ? L'ensemble des occasions d'avancement offertes est-il d'envergure internationale ?Avant le diplôme, comment nos universités peuvent-elles s'afficher encore davantage à l'échelle mondiale pour attirer les meilleurs ?
Dans un article où il décortique les ingrédients clés de Silicon Valley, l'investisseur américain Paul Graham avance qu'avoir une université d'envergure mondiale (pouvant rivaliser avec MIT, Stanford ou Harvard) est un facteur indispensable pour amorcer la «réaction en chaîne» nécessaire afin de créer une plaque tournante technologique telle que Silicon Valley. Dans un article classique de 2006, Graham y va même d'une proposition assez intéressante : il suggère d'offrir un bonus de signature de trois millions de dollars aux 200 professeurs les plus doués du monde pour les inciter à déménager dans une université, attirant par la suite indirectement leurs assistants de recherche et les meilleurs étudiants. Pour 600 M$, on aurait une des universités les plus réputées du monde et un véritable aimant à talent qui se régénérerait au fil des années. Il s'agit d'une idée assez extrême, mais nous en aurons besoin pour nous démarquer sur la scène mondiale.
Nous voulons être une métropole vibrante à l'échelle mondiale ? Nous voulons débloquer nos problèmes de société ? Selon moi, ça commence tout d'abord par une stratégie de séduction du talent qui soit créative, ambitieuse et surtout d'envergure internationale.
Biographie
LP Maurice est le pdg et cofondateur de Busbud, une entreprise de commerce électronique spécialisée dans le voyage en autobus interurbain partout dans le monde. Il a été le lauréat du prix Arista « Entrepreneur de l’année » (démarrage) en 2014. Précédemment, M. Maurice a travaillé à Silicon Valley chez Yahoo et LinkedIn, et possède un MBA de l’université Harvard. LP Maurice est un ange investisseur et un mentor actif dans la communauté start-up montréalaise. Il est aussi associé de Credo, un accélérateur de projets, ainsi qu’un des instigateurs de La Gare, un espace collaboratif dans le Mile-End, à Montréal. Pour le suivre sur Twitter: @lpmo