Comment relancer l'économie mondiale ? Les membres du World Entrepreneurship Forum, qui se sont réunis au début de novembre à Lyon, en France, parient sur l'entrepreneuriat.
" Le monde a besoin de super héros, surtout lorsque les temps sont durs ", explique le professeur Zoltan Acs, directeur du Center for Entrepreneurship and Public Policy de la George Mason University, en Virginie.
Aysen Zamanpur est une de ces superhéros. En Turquie, pas une semaine ne passe sans que cette jolie brunette de 49 ans n'apparaisse à la télé, dans les quotidiens ou dans une salle de cours devant un groupe d'étudiants. " Je répète toujours la même histoire : les débuts de mon entreprise, mes problèmes, mes réussites, mon quotidien, confie-t-elle en riant. Et on continue de m'inviter ! Probablement parce que je ne suis ni intelligente ni plus douée que la moyenne, ce qui rend mes réalisations accessibles. "
Aysen Zamanpur, qui a créé la marque Silk & Cashemere et la distribue dans 102 points de vente en Europe, en Asie et en Amérique, fait partie du groupe fondateur du World Entrepreurship Forum. " Le monde a besoin de plus d'entrepreneurs pour créer davantage d'entreprises et de richesse, insiste-t-elle. Nos économies sont fragiles, car elles reposent sur peu de sociétés et qu'il faut constamment se tourner vers les gouvernements pour obtenir de l'aide. "
Former des entrepreneurs
Comment accroître le taux d'entrepreneuriat dans une société ? Première piste explorée par le World Entrepreneurship Forum : l'éducation. Naît-on entrepreneur ou le devient-on ? " Notre Forum affirme que le monde a besoin de plus d'entrepreneurs, répond Patrick Molle, coprésident du Forum. Si nous ne croyons pas qu'on peut en former, alors nous avons un sérieux problème. "
La formation actuelle se divise en trois catégories, constate Alain Fayolle, directeur du Centre d'Entrepreneuriat d'EMLYON Business School, à Lyon. D'abord, les cours destinés à développer des compétences (stratégie, marketing, finance, etc.). Ensuite, ceux parlant d'entrepreneuriat et de son rôle dans la société. Enfin, les cours spécialisés : entreprises familiales, entrepreneuriat social, intrapreneuriat. Le grand absent ? Tout ce qui touche au comportement, constate Iqbal Khan, professeur d'économie à Lahore School of Economics, au Pakistan. On parle bien peu de créativité, de négociation, de réseautage, de gestion des émotions, de valeurs et d'éthique.
Ces cours atteignent-ils la bonne cible ? " Je n'en suis pas convaincu, répond M. Acs. Ils sont offerts dans les écoles de gestion, là où on forme des titulaires de MBA. Or, ce ne sont pas eux qui lancent des entreprises. "
Faut-il plutôt enseigner l'entrepreneuriat aux futurs ingénieurs, informaticiens et autres, comme l'avance Alain Fayolle. Rien n'est moins sûr... " L'entrepreneuriat, c'est comme le sexe, pour l'apprendre, il faut le faire ", réplique Elmar Mock, cocréateur de la montre Swatch et innovateur " en série ".
Fabriquer des intrapreneurs
Démarrer des entreprises, c'est bien. Les faire grandir, c'est mieux, affirme Vikas Joshi. Il a fondé le Groupe Harbiger, l'une des 50 sociétés indiennes à plus forte croissance depuis trois ans et l'une des 100 meilleures sociétés de technologies du monde, selon le magazine américain Red Herring. " Le défi de l'entrepreneur consiste à conserver l'ADN qui a permis de se rendre où il est pour transmettre l'esprit entrepreneurial chez ses employés. C'est ainsi qu'une entreprise grandit. "
Chez Harbiger, cela passe par le " Base Camp " où Vikas enrôle chaque année 40 cadres prometteurs. " On se fabrique nos leaders ", explique-t-il. Ces jeunes apprennent en échangeant entre eux, en planchant sur des cas et par l'intermédiaire d'une formation plus classique. Résultat ? " L'an dernier, les participants au Base Camp ont conçu un nouveau produit, pénétré le marché du cellulaire et créé une plateforme de partage de connaissances ", résume Vikas Joshi, radieux.
Tirer les plus pauvres vers le haut
L'entrepreneur crée de la richesse. Peut-il aussi créer de la justice ? Une société plus entrepreneuriale inclut-elle la base de la pyramide (BOP) ? D'abord, il y a eu BOP 0.0 : les pauvres sont des gens à qui on fait la charité. Puis, est apparu BOP 1.0 : les pauvres sont des consommateurs potentiels. On leur vend de plus petites quantités assorties de crédit sur mesure pour eux.
Voici l'ère BOP 2.0 : les pauvres sont des entrepreneurs en puissance qui peuvent participer à leur développement. Cependant, ils doivent avoir accès au même système organisé que les entrepreneurs au sommet de la pyramide, précise Fazle H. Abed, un pétillant Bangladais de 74 ans. Son organisation, BRAC, offre du financement et des services financiers, mais aussi des entrepôts réfrigérés, des canaux de distribution, des services de vétérinaires et d'agronomes, etc. Depuis 40 ans, les services de BRAC ne cessent de se raffiner.
Ceux d'Exim aussi. Cette banque tanzanienne voit grand. " Nous allons créer les premières entrepreneures millionnaires d'Afrique ", affirme la pdg, Sabetha Mwabenja, seule femme de son pays à diriger une institution financière. " Les femmes fuyaient les banques, explique-t-elle. Aujourd'hui, nous prêtons 12,4 millions de dollars américains (M$ US) et nos projets deviennent de plus en plus importants. L'un d'eux, un hôtel, atteint 1,8 M$ US. " La propriétaire de cet hôtel sera-t-elle la première millionnaire africaine ? Une superhéroïne et un modèle pour sa collectivité ?
Plus qu'un think tank, un do tank
" C'est une chose d'avoir une idée, c'en est une autre d'avoir un impact ", rappelle Patrick Molle, coprésident du Forum. C'est pourquoi le World Entrepreneurship Forum se termine par une session un peu spéciale : chacun des 110 membres défile sur la scène et présente le geste concret qu'il posera au cours de l'année pour faire progresser l'entrepreneuriat dans sa collectivité. C'est d'ailleurs la condition pour demeurer dans ce groupe : faire chaque année un geste et en témoigner l'année suivante.
Dès sa première édition, à Évian en novembre 2008, ce forum a combiné l'action et la réflexion. Ce qui reflète l'univers des deux fondateurs : EMLYON Business School et KPMG. Le Forum s'est donné une double mission : encourager l'entrepreneuriat sous toutes ses formes comme solution aux défis sociétaux et, cela, en conjuguant création de richesse et justice sociale.
C'est ainsi que la Tanzanienne Sabetha Mwabenja a annoncé la création d'une division de microcrédit chez Exim Bank, tandis que Krishnan Nair Nandakumar, de la société indienne SunTec, s'est engagé à lancer au moins deux fonds de capital de risque dans sa région, le Kerala. Fernando Moncayo Castillo démarrera le premier fonds d'anges financiers en Équateur, et les membres du Groupement des chefs d'entreprise du Québec ont promis de lancer au moins deux autres sections dans le monde.
Rendez-vous l'an prochain à Singapour pour mesurer l'impact de ces mesures.