Camoplast Solideal n'est plus, vive Camso ! Forte d'une nouvelle image de marque, la multinationale de Magog vise la position de tête dans son marché, unique et pointu : les pneus et les chenilles hors route.
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Plus de 95 % des territoires non submergés de cette planète n'ont pas de route. C'est le terrain de jeu de Camso, qui conçoit et fabrique les pneus et les chenilles nécessaires pour aller s'y amuser, s'y déplacer ou y travailler.
Un marché sans frontières, qui commence là où la route finit, dans les déserts, les forêts, les terres labourées, les chantiers de construction ou les mines. Un marché de travailleurs, d'agriculteurs et de passionnés de sensations fortes. Un marché de boue, de foin, de neige, de poussière et de terre.
On est loin des créations du Cirque du Soleil. Et de ses projecteurs. Camso est sous le radar. Mais, comme c'est le cas de l'autre multinationale à capital fermé milliardaire issue du Québec, le soleil ne se couche jamais sur son empire. Un empire développé avec intelligence et brio par son président du conseil et chef de la direction, Pierre Marcouiller.
C'est sous la conduite de ce fin stratège que la PME de Magog est passée d'un chiffre d'affaires de 95 millions de dollars à son arrivée, en 2000, à 1 milliard de dollars, 12 ans plus tard.
Et ce n'est qu'un début. «On veut être le numéro un mondial», explique Pierre Marcouiller.
Camso n'est pour l'instant dépassée que par l'américaine Titan International, dont le siège social est en Illinois. «Notre marché a un potentiel de 20 G $. On vise entre 3 et 4 G$ de ce chiffre», soutient le pdg.
Le dirigeant de 59 ans, un grand mince aux yeux bleus, nous reçoit dans le bâtiment de 40 000 pi2 que Camso vient d'inaugurer à son siège social de Magog, triplant ainsi sa superficie. Lumineux et moderne, avec des espaces ouverts et conviviaux, il est fait de béton, de verre, d'acier et de bois, des matériaux qui reflètent bien ce qu'est Camso, souligne M. Marcouiller.
Une série de photos sur les murs le rappelle aussi. Au premier coup d'oeil, on jurerait des tableaux d'art contemporain. La firme Cossette, qui a le mandat de l'image de marque de la nouvelle Camso, a réussi à transformer roues, chenilles, jantes, tringles et sculptures de pneu en véritables oeuvres artistiques. Qui eût cru qu'un pneu pouvait être aussi esthétique ?
Pierre Marcouiller n'en a jamais douté. Lorsqu'il prend la direction de Camoplast, en 2000, l'entreprise est une PME en excellente santé, créée à la suite du rachat de trois divisions de Bombardier, en 1982. Mais elle avait besoin d'un second souffle.
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«C'est fréquent, précise Luc Ménard, vice-président principal, investissement, chez Desjardins entreprises Capital régional et coopératif, partenaire de la première heure de Camso, tout comme la Caisse de dépôt et placement du Québec, son principal actionnaire. On débute avec des entrepreneurs qui ont un rêve, on les amène à un certain stade, puis ils lèvent la main pour dire : on souhaite du renfort !»
Ce renfort s'appelait Pierre Marcouiller. Celui-ci siégeait alors à des conseils d'administration, après la vente, en 1996, de ses parts de Venmar Ventilation, de Drummondville, dont il avait fait l'acquisition en 1986. Son rôle d'actionnaire minoritaire dans de petites entreprises ne le satisfaisait plus. «J'étais gérant d'estrade, dit-il. Cependant, je voulais être sur la glace et continuer à jouer. Quand Camoplast et Desjardins sont venus me voir, j'ai d'abord regardé l'entreprise, une superbe de bonne entreprise, et j'ai dit "oui !"»
Sa femme lui a lancé, en boutade, que le fait qu'il habitait déjà Magog, à cette époque, avait joué dans sa décision.
Il n'est pas venu pour l'argent, souligne-t-il. Ni pour le prestige. «Je suis un passionné, un gars qui s'identifie beaucoup à l'entreprise. J'ai besoin de me sentir connecté. Ce qui m'allume, c'est de pouvoir créer quelque chose de plus grand que ce que l'on est.»
Et c'est ce qu'il a fait.
Se concentrer, et réussir
L'une de ses premières actions comme pdg a été de mettre fin à l'éparpillement et de concentrer les activités de Camso dans un seul secteur : le hors route. Et de viser à devenir le meilleur du monde. «La recette du succès, c'est le focus», dit Pierre Marcouiller. Camso se consacre aujourd'hui entièrement au marché des chenilles et pneus circulant hors routes, qui représente 11 % du marché global des pneus et des chenilles.
«Ça a été une décision d'équipe, dit Pierre Marcouiller. On était alors essentiellement en Amérique du Nord et on voulait devenir une entreprise mondiale. On sentait que l'avenir était là, mais pour cela, il fallait être plus niché.»
«Quand on fait de tout, on ne fait de rien», dit Louis Hébert, directeur du MBA à HEC Montréal et codirecteur de l'EMBA McGill-HEC Montréal. Pierre Marcouiller a fait un diagnostic très juste d'où en était Camoplast. «Il s'est concentré sur le hors route en disant : "Je vais devenir le champion". Et il a utilisé tous les moyens disponibles pour y arriver», explique le professeur de stratégie à HEC.
Les risques d'erreur sont élevés à toutes les étapes, ajoute M. Hébert. «Il faut rester cohérent et avoir beaucoup de jugement.»
Camso a ainsi décidé de se départir d'éléments d'actif non stratégiques, de très bonnes divisions, très rentables. «Camoplast est issue de cette stratégie de Bombardier, et de futurs Camoplast naissent aujourd'hui de la même façon», indique Luc Ménard.
Desjardins Capital de risque a ainsi aidé à financer une entreprise essaimée (spin-off) de Camoplast, Exo-s, qui a vu le jour en septembre 2012. Cette division faisait de l'injection et du soufflage de pièces plastiques, destinées à différents usages. Elle était dirigée par Emmanuel Duchesne. «Les projets d'expansion ne passaient pas en priorité, dit ce dernier. Notre groupe n'était plus stratégique.» La suite logique était l'achat. «J'ai rencontré Pierre Marcouiller et je lui ai demandé s'il y était ouvert. Il m'a dit oui. Il a travaillé avec nous à la recherche du financement.»
Exo-s a débuté avec huit ex-employés de la société mère, devenus actionnaires. L'entreprise a maintenant 750 employés et 4 usines.
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Des acquisitions très ciblées
Les acquisitions font partie des stratégies de croissance de Camso. Plus d'une douzaine ont été réalisées partout dans le monde depuis l'arrivée de Pierre Marcouiller, de Shawinigan au Kansas, en passant par la Corée du Sud et l'Italie. Le hors route est un marché fragmenté, composé de nombreux acteurs. «Nous faisons des acquisitions dans un seul but, dit Pierre Marcouiller : rechercher le leadership dans un marché. Chaque acquisition doit cadrer avec notre vision.»
Aucune ne découle d'une sollicitation. Chacune a été une initiative de Camso. «C'est nous qui repérons les entreprises», souligne M. Marcouiller. Et la plupart ne sont pas en vente. Comme Solideal, dont l'acquisition en 2010 a propulsé Camso dans une autre galaxie.
L'entreprise belge, fondée en 1984, était quatre fois plus grosse que Camoplast et était très présente en Asie. Sa spécialité était le pneu hors route, tandis que celle de Camoplast était les chenilles. «Solideal était, de loin, l'entreprise la plus intéressante à acquérir», affirme Pierre Marcouiller. Ça n'a pas été facile. Le pdg a dû séduire les propriétaires, une famille sri lankaise et deux Belges. «Ça a été une longue fréquentation, dit-il. Quatre ans, et beaucoup de communication, avant d'arriver à créer un intérêt pour nous.»
Solideal ajoutait 6 000 employés aux 1 400 de Camoplast, notamment en Chine et au Sri Lanka, où la main-d'oeuvre est moins chère qu'en Amérique du Nord. Elle apportait aussi un accès à la matière première de Camso, le caoutchouc, grâce à des ententes avec une vingtaine de propriétaires de plantations au Sri Lanka. (Camso utilise du caoutchouc tant naturel, issu de l'hévéa, que synthétique, fabriqué à partir du pétrole.)
Par ailleurs, Solideal apportait un autre élément fondamental dans la stratégie de Camoplast : son vaste réseau dans le marché des pièces de rechange. Camoplast était alors essentiellement un fabricant d'équipements d'origine, principalement pour le compte de ceux que Pierre Marcouiller qualifie de «donneurs d'ordres», soit les Yamaha, Toyota et autres John Deere de ce monde. Aujourd'hui, 65 % du chiffre d'affaires de Camso est dans le marché des pièces de rechange, très rentable, qui donne un accès direct aux clients.
L'acquisition de Solideal a été un coup de maître, dit Louis Hébert. «Quel levier ! Camoplast s'en est servie pour émerger et dominer son marché.»
Ses marchés, en fait, car on ne circule pas dans le désert comme dans la toundra. «Cela pousse Camso à se réinventer constamment», dit Pierre Marcouiller. Il faut prendre le temps de comprendre chacun des marchés, avec ses contraintes et ses particularités.
L'entreprise détient quelque 120 brevets et consacre 3 % de son chiffre d'affaires à la R-D, réalisée dans quatre centres, à Magog, en Belgique, au Sri Lanka et en Chine. «On l'a vu comme une nécessité, dit Pierre Marcouiller, comme un facteur de succès. Ça nous permet d'être un cycle à l'avance et d'offrir un meilleur rapport qualité-prix.»
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La victoire de la stratégie
Comme tous les pdg de multinationale, Pierre Marcouiller est toujours entre deux avions. Mais même à distance, il accorde un soin particulier à ses communications. Pour lui, il y a des choses qu'on ne peut transmettre ni par courriel ni par Skype. «Comme pdg, je suis porte-parole de la culture de l'entreprise. Je prends beaucoup de temps à dialoguer, à participer à des forums. Je vois l'enthousiasme des gens. C'est essentiel. Si on veut devenir une seule équipe, il faut communiquer en personne.»
L'union avec Solideal posait un sérieux défi à ce chapitre. Après la noce, comme le dit Louis Hébert, le mariage fonctionne-t-il ?
«Notre premier défi, dit Pierre Marcouiller, a été de devenir une seule équipe, de transmettre notre culture, nos valeurs et nos processus d'affaires, non négociables.»
Les unités d'affaires sont maintenant regroupées. «Tous travaillent ensemble, il y a intégration des équipes», affirme Pierre Marcouiller, qui se dit content des résultats. Content, surtout, «d'avoir géré l'humain avant la structure».
La réussite de cette intégration était essentielle pour la suite des choses, qui passe par une mondialisation encore accrue. L'Asie est toujours prioritaire, dit Pierre Marcouiller, tout comme le Moyen-Orient, l'Afrique et, surtout, l'Amérique du Sud, où Camso a fait une première incursion cette année avec des acquisitions au Brésil et en Argentine.
Le numéro deux mondial est désormais sur les écrans radars. «Son défi sera de consolider sa position, dit Louis Hébert. Et sa seule direction, c'est droit devant. Camso n'a pas d'autres choix que d'augmenter son envergure internationale, de pénétrer de nouveaux marchés.»
Cela dit, la croissance des marchés, ajoute le professeur, n'est qu'un des facteurs qui alimentent la croissance d'une entreprise : «Celles qui excellent sont celles qui ont une stratégie extraordinaire. Et c'est le cas de Camso».
Pour Pierre Marcouiller, l'essentiel reste de demeurer cohérent avec ce qu'est Camso, une entreprise qui dessert une multitude de petits marchés, où le one-size-fits-all ne fonctionne pas, pas plus que les complets-cravates des bureaux du centre-ville, dit Pierre Marcouiller. «Nos clients sont des gens authentiques. Il n'y a aucun calcul ni bull shit avec eux.»
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