Le site d'échange de maisons HomeExchange.com compte 55 000 membres, dont plus de 1 000 au Québec et tout près de 400 à Montréal. Lancé en 1992 par le Californien Ed Kushins, ce site amorce une phase de croissance dont le Canada constitue un élément important. HomeExchange.com profite du ralentissement économique et de la popularité croissante de l'économie collaborative.
Diane Bérard - À quand remontent les premières offres organisées d'échanges de maisons ?
Ed Kushins - Aux années 1950. Le mouvement a vu le jour chez les professeurs, probablement pour leur permettre de tirer le maximum de leurs longues vacances sans se ruiner. Il a été circonscrit à ce cercle jusqu'au début des années 1990. À ce moment-là, j'ai échangé ma maison californienne contre une résidence à Washington. Au lieu d'une chambre d'hôtel, nous avions une maison avec piscine, table de billard, machines pinball... Et tout ça gratuitement ! J'ai tellement aimé que j'ai voulu travailler pour la maison qui publiait ce guide d'échange de maisons ! Ils n'avaient pas besoin de moi. Tant pis. En 1992, j'ai fondé mon propre service.
D. B. - Internet a fait exploser le concept...
E. K. - Imaginez un peu, quand j'ai lancé HomeExchange, mon bottin proposait 125 maisons avec une toute petite photo par résidence. Il était désuet dès sa publication ! En plus d'être inefficace, ce modèle coûtait une fortune en frais d'impression, de port et de publicité. Arrive Internet, et tout devient plus facile.
D. B. - HomeExchange.com incarne le véritable esprit de la consommation collaborative selon vous. Pourquoi ?
E. K. - Aujourd'hui, le terme «consommation collaborative» comprend une foule d'activités, dont plusieurs impliquent un échange d'argent. HomeExchange.com, lui, n'a qu'un but : le partage.
D. B. - Selon vous, le mouvement de l'économie collaborative connaît une crise d'identité. Pourquoi ?
E. K. - À mesure qu'il prend de l'ampleur, il accueille des expériences et des entreprises hétérogènes. D'ailleurs, on ne sait plus comment le nommer : économie collaborative, consommation collaborative, économie du partage, etc. Le terme le plus juste serait «économie ouverte». On ne peut pas parler de consommation collaborative lorsqu'il est question de l'application de géolocalisation pour taxis Uber. Après tout, le client paie pour le service, tout comme dans le cas du site de location de maisons airbnb. Cela ne signifie pas que les utilisateurs et les fournisseurs de ces services n'adhèrent pas à certaines idées. Mais la nature du mouvement évolue et elle reste à définir.
D. B. - Où s'en va ce mouvement ?
E. K. - Il s'installe tranquillement. De plus en plus de gens constatent qu'ils possèdent plus de biens qu'ils peuvent en utiliser. Puis, ils réalisent que ces biens inutilisés ont une valeur. Ils peuvent les vendre, les louer, les échanger, les partager... Ce qui était autrefois considéré comme strictement privé est aujourd'hui vu comme «disponible» pour d'autres. Rendre ces biens disponibles optimise leur valeur.
D. B. - L'économie collaborative se trouve en déficit de fournisseurs...
E. K. - En effet, car on joint ce mouvement sans s'en rendre compte. Notre premier point de contact est à titre d'utilisateur. On utilise BIXI ou Uber parce que c'est pratique et cool. Puis, un jour, on se dit que nous pourrions profiter davantage de cette bonne idée en devenant, aussi, un fournisseur. Il y a encore plus d'utilisateurs que de fournisseurs. Airbnb, par exemple, a 800 000 fournisseurs pour 5 millions d'utilisateurs. Mais cela va changer.
D. B. - L'économie collaborative n'est pas un concept socialiste, dites-vous. C'est du pur capitalisme...
E. K. - On ne se lève pas en disant «Je suis vraiment d'humeur collaborative aujourd'hui !». Ultimement, nous cherchons tous un gain. Est-ce bon pour moi de prêter ma maison ? De louer ma voiture ? D'échanger mes outils ?
D. B. - Parlons un peu d'airbnb. Les avez-vous vu venir ?
E. K. - Franchement non. Ils sont sortis de nulle part.
D. B. - Comment différencier le client de HomeExchange.com de celui d'airbnb ?
E. K. - Ces deux clients choisissent de demeurer dans une résidence privée plutôt qu'à l'hôtel. Mais le modèle airbnb repose sur une transaction financière, alors que celui de HomeExchange.com repose sur le partage. Utiliser notre service équivaut à résider chez un ami. Nos membres [il faut débourser 120 $ par année pour devenir membre de ce site et pour pouvoir y faire des échanges] recherchent probablement un niveau d'hospitalité plus grand que ceux d'airbnb.
D. B. - Vous développez de plus en plus les échanges par affinités. Expliquez-nous.
E K. - Je joue au golf. J'ai donc un abonnement dans un club où je retrouve le même groupe d'amis pour jouer. J'ai souvent échangé ma maison avec des amateurs de golf à qui j'ai «prêté» mes amis du club le temps de leur séjour. Non seulement ils jouent ensemble, mais ils prennent souvent un verre ensemble ou partagent un repas après la partie. D'autres membres d'HomeExchange aiment le jogging ou le yoga, ou ils cuisinent et cherchent une cuisine de chef. Notre moteur de recherche permet à chacun de trouver son «miroir» parmi notre communauté. Vous pouvez effectuer des recherches par géographie, par hobby, par situation familiale... Les parents de jumeaux, par exemple, n'ont plus à tout trimballer en double. Le jumelage par affinités, c'est l'échange de maisons à son meilleur.
D. B. - L'industrie hôtelière a-t-elle lutté contre votre service comme elle le fait actuellement pour airbnb ?
E. K. - Non, et ce pour deux raisons. D'abord parce qu'HomeExchange.com est beaucoup plus petit, donc il constitue une menace bien moins importante. Et puis, je ne crois pas que nous enlevions des clients aux hôtels. La plupart des séjours réalisés par l'intermédiaire d'échanges de maisons n'auraient probablement pas eu lieu si les protagonistes avaient dû payer. Nous créons une nouvelle catégorie.
D. B. - Quelle catégorie croît le plus parmi vos membres ?
E. K. - Les séjours de courte durée, de longs week-ends, par exemple. Plusieurs de nos membres effectuent de cinq à dix de ces courts séjours chaque année. On échange une maison à Montréal contre un condo à Tremblant. Une résidence au centre-ville de Los Angeles contre une maison à la plage à Santa Barbara. Ou un appartement londonien contre une maison en bord de mer à Brighton. Et tout ça ne coûte rien de plus que l'essence !
D. B. - HomeExchange.com amorce une phase de croissance accélérée. Quelle est votre stratégie ?
E. K. - Nous stimulons à la fois l'offre et la demande. Pour l'offre, nous tenons davantage la main de ceux qui veulent proposer leur maison. Tout le monde n'a pas des talents de marketeur. Pour stimuler la demande, nous raffinons notre moteur de recherche pour segmenter le plus possible selon les affinités. Il sera plus facile de trouve exactement ce que l'on cherche.
D. B. - Le mois dernier, vous avez tenu votre congrès annuel au Québec pour la première fois. Pourquoi ?
E. K. - Le Canada est la 5e destination préférée des troqueurs de maisons, et les Canadiens, la 4e communauté présente sur HomeExchange.com. Nous voulons développer ce marché. Y tenir notre congrès a permis d'attirer l'attention des membres actuels et potentiels.