Robin Chase a réinventé le secteur du transport personnel. En juin 2000, elle crée Zipcar, la plus grande société d'autopartage du monde qui vient d'être achetée par Avis Budget pour 500 millions de dollars américains. Un an plus tard, elle lance Buzzcar, qui permet aux gens de louer leur véhicule lorsqu'ils ne l'utilisent pas. Le Times classe cette Américaine de 54 ans parmi les 100 personnes les plus influentes et Fast Company, parmi les 50 plus grands innovateurs. Je l'ai jointe à son domicile new-yorkais.
Diane Bérard - Devenir entrepreneure était-il planifié ou accidentel ?
Robin Chase - Planifié. Créer l'entreprise correspondant à mes valeurs était plus facile que de la trouver.
D.B. - Vous êtes méthodique, mais les affaires vous ont forcée à miser davantage sur l'intuition. Expliquez-nous ce qu'il en est.
R.C - J'aime les statistiques, toutes les données sur lesquelles on peut s'appuyer pour bâtir son plan d'affaires. Mais les deux entreprises que j'ai lancées mettaient en marché des services inédits. Je ne disposais d'aucun historique, d'aucun point de comparaison. Il a fallu que je me fie à mon instinct.
D.B. - Vous avez d'ailleurs fait fausse route concernant le prix...
R.C. - [soupir] Avant de lancer Zipcar, j'ai jonglé pendant trois mois avec mon chiffrier pour établir une échelle de prix. Trois mois après le lancement, je me suis rendu compte que j'avais tout faux. Mes revenus étaient beaucoup trop bas par rapport au nombre d'usagers. Il restait deux semaines avant de conclure un financement de 1,2 million de dollars. Je risquais de tout perdre si je ne réagissais pas rapidement. En une nuit, j'ai écrit à tous nos membres pour leur expliquer pourquoi je devais hausser le taux de location quotidien de 25 %. Mes employés étaient sous le choc... Moi aussi. Mais tout s'est bien déroulé, parce que j'ai joué franc-jeu.
D.B. - Outre le prix, quelle a été votre plus grosse erreur ?
D.B. - Outre le prix, quelle a été votre plus grosse erreur ?
R.C. - Le dossier des chèques-cadeaux ! Je tenais mordicus à lancer des chèques-cadeaux Zipcar, offerts en ligne, dès notre premier Noël. J'ai harcelé mon équipe technique pour que tout soit prêt à temps. Ce fut fait. Nous en avons vendu sept ! La morale de cette histoire : lorsque vous tentez quelque chose de risqué, faites-le à petite échelle et appuyez-vous sur de bonnes vieilles méthodes traditionnelles. Nous aurions dû envoyer un courriel à nos membres pour leur proposer des chèques-cadeaux. Ceux qui en auraient exprimé le désir les auraient reçus par la poste.
D.B. - Vous affirmez que l'honnêteté intellectuelle vous a sauvé à plus d'une reprise. En quoi l'a-t-elle fait ?
R.C. - Un entrepreneur passe sa vie à vendre sa salade : pour amasser du financement, convaincre des clients et des fournisseurs, recruter des employés... Mais peu importe votre discours, il ne faut jamais «boire votre Kool-Aid». Gardez une distance avec vos propos. Soyez conscient de vos faiblesses et de celles de votre entreprise. Vendez votre vision autant que nécessaire, mais rappelez-vous que vous ne livrerez jamais tout à fait ce que vous vendez.
D.B. - Qu'est-ce qui exige le plus de courage d'un entrepreneur ?
R.C. - Le démarrage. Accoler son nom à une idée, c'est mettre sa réputation en jeu. Aucune autre des décisions qui suivent n'exige plus de courage.
D.B. - Que pensez-vous des questions stupides qu'on a pu vous poser à propos de votre entreprise ?
R.C. - Elles m'exaspéraient. Aujourd'hui, je les note toutes dans un carnet et je me fais un devoir d'y trouver une réponse. Un ami entrepreneur m'a fait comprendre que je devrais être capable de répondre à toutes ces questions. Si je n'y arrive pas, ce n'est pas que la question est stupide, c'est que je me suis mal expliquée. Et quand un interlocuteur se montre satisfait de ma réponse, je la note pour la réutiliser [rires].
D.B. - Pour vous, la chance, c'est un mélange de préparation et d'occasion. Donnez-nous un exemple.
R.C. - Lorsqu'une journaliste de l'Associated Press nous a appelés pour réaliser la première entrevue à propos de Zipcar, nous étions prêts. Nous avions une histoire à raconter. Plus encore, nous avions préparé le coup. La toute première voiture Zipcar était une Volks coccinelle vert lime. Il était évident qu'elle se ferait remarquer rapidement !
D.B. - Zipcar est une entreprise attachante. Comment sortir du lot lorsqu'on vend un produit ou un service plus ordinaire ?
D.B. - Zipcar est une entreprise attachante. Comment sortir du lot lorsqu'on vend un produit ou un service plus ordinaire ?
R.C. - Vous faites erreur. Mon entreprise n'est pas aimable naturellement. Je l'ai rendue ainsi. Après une de mes conférences, le pdg de Bureau en Gros m'a dit : «Ah ! je comprends. Vous avez rendu la location de voitures sexy !» Si je l'ai fait pour la location de voitures, d'autres secteurs peuvent y arriver.
D.B. - Pourquoi avez-vous quitté Zipcar, où tout allait bien, en 2003 ?
R.C. - J'étais épuisée. Les tours de financement successifs, mes enfants qui grandissaient, mon père qui allait de plus en plus mal... Nous avons recruté un autre pdg et je suis restée au conseil deux ans. Puis, nous avons vendu à un capital-risqueur.
D.B. - En juin 2011, vous avez lancé Buzzcar. De quoi s'agit-il ?
R.C. - Zipcar est un service de location d'autos semblable au service québécois Communauto. Zipcar est propriétaire de ses véhicules et les loue à l'heure, à la journée ou à plus long terme. Dans le cas de Buzzcar, les autos appartiennent aux particuliers, qui les louent lorsqu'ils ne les utilisent pas. La plupart d'entre nous n'utilisons notre véhicule que de 5 à 20 % du temps. Buzzcar ressemble au service de location Airbnb, où on loue sa maison lorsqu'on n'en a pas besoin. C'est ce qu'on appelle de la consommation collaborative.
D.B. - Pourquoi avoir démarré Buzzcar en France plutôt qu'aux États-Unis ?
R.C. - C'est une question d'assurances. C'est l'enjeu le plus complexe de Buzzcar, et ce qui va influencer notre expansion. Nous devons assurer chaque véhicule par mille parcouru et par heure d'utilisation. Si celui qui loue un véhicule a un accident, il ne faut pas que cela nuise au dossier du propriétaire du véhicule ou qu'il doive débourser quoi que ce soit. Trouver une compagnie d'assurance pour nous accompagner dans ce dossier a été tout un défi. En France, notre partenaire se nomme Mutuelle des Transports Assurances.
D.B. - Vous affirmez que louer une auto Buzzcar améliore notre statut social. Pourquoi ?
R.C. - Vous conduisez toujours l'auto parfaite, puisque vous louez à la journée et même à l'heure. Vous devez voir un client ? Pourquoi ne pas louer une auto de luxe ? Vous allez en vacances avec la famille ? Une minifourgonnette. Un rendez-vous galant ? Une auto sport.