Le magazine Fast Company classe le Brésilien Lourenço Bustani parmi les 100 personnes les plus créatives du monde. Sa firme, Mandalah, aide des clients comme Nike et GM à raffiner leur marque en considérant l'impact de leurs décisions sur la société. Lourenço Bustani prône « l'innovation consciente », soit les produits qui ont un sens à la fois pour ceux qui les fabriquent et ceux qui les achètent.
DIANE BÉRARD - Fast Company estime que vous êtes une des trois personnes les plus créatives du Brésil. Qu'est-ce que la créativité pour vous ?
LOURENÇO BUSTANI -Quelqu'un de créatif ajoute de la valeur. Il améliore ce qui existe déjà ou crée quelque chose de mieux. Ce qui, ultimement, bonifie la vie des gens. Une idée est innovatrice si elle a le pouvoir de changer nos vies.
D.B. - Le Brésil est-il un pays particulièrement créatif ?
L.B. - Nous avons autant de raisons de l'être que de ne pas l'être. Notre population vient de plusieurs pays, ce qui multiplie les influences culturelles. Et puis, nous avons l'habitude de faire beaucoup avec peu, car les ressources sont mal distribuées. Alors, on réutilise, on recycle, on réemploie. Mais nous demeurons une société conservatrice, et le capital de risque est rare. Chez nous, il y a moins d'argent disponible que d'idées innovatrices.
D.B. - Vous auriez pu exprimer votre créativité de mille et une façons. Pourquoi êtes-vous devenu entrepreneur ?
L.B. - À cause de l'environnement et de ma personnalité. Je fonctionne mal dans les organisations hiérarchiques qui reposent sur la philosophie du « commande et contrôle ». Je vois la vie de façon horizontale plutôt que verticale. Je n'aime rien qui soit fixe, je réinvente constamment. Or, à mon retour au Brésil [fils de diplomate, il a beaucoup voyagé], il y a huit ans, j'ai trouvé un pays grouillant de nouvelles idées et d'occasions d'affaires, prêt à faire les choses autrement. La combinaison était parfaite pour me lancer en affaires.
D.B. - Quelle mission vous êtes-vous donnée ?
L.B. - Je veux ramener, dans la vie en général et dans le monde des affaires en particulier, un peu des valeurs fondamentales que nous avons laissé tomber. Combler le fossé entre le profit et l'intention. Ainsi, les entreprises poseront peut-être moins de gestes dommageables pour la société. Je veux que celles-ci créent un avenir meilleur pour tous... tout en faisant de l'argent.
D.B. - Comment aidez-vous les entreprises à concilier leur intérêt et celui de la société ?
Je les incite à agir de façon plus cohérente. Je leur rappelle que leurs clients sont aussi des citoyens. Nous sommes bien plus que ce que nous consommons. Si les entreprises s'intéressent à nos valeurs et aux relations que nous entretenons avec nos collègues, nos amis, notre famille, elles développeront une relation plus authentique avec nous. Et tout le monde en profitera. Mais je n'emploierais pas nécessairement le mot « mission »...
D.B. - Vous encouragez vos clients à faire de « l'innovation consciente ». De quoi s'agit-il ?
D.B. - Vous encouragez vos clients à faire de « l'innovation consciente ». De quoi s'agit-il ?
L.B. - C'est l'innovation qui est rentable tout en ayant une valeur sociale. L'innovation consciente ne tient pas uniquement compte des conséquences sur le marché, mais aussi sur la société en général. Elle est possible lorsqu'il existe une conversation ouverte et franche entre une entreprise et ceux à qui sont destinés ses produits.
D.B. - En quoi votre vision influence-t-elle la façon dont vous travaillez avec vos clients ?
L.B. - Prenons le contrat que nous avons réalisé pour GM. Ils nous ont demandé d'étudier le futur de la mobilité urbaine dans 10 ou 15 ans. Le réflexe aurait été de se limiter aux déplacements en automobile, puisqu'il s'agissait de GM. Nous avons plutôt étudié tout ce qui entoure la mobilité urbaine : les ressources, la technologie, le transport en commun, les énergies renouvelables et même les partenariats public-privé. Le portrait que nous avons livré à GM était beaucoup plus réaliste et utile, pour notre client comme pour la société.
D.B. - Travaillez-vous avec des pdg « convertis » ou les convertissez-vous à votre vision ?
L.B. - Je travaille avec tout le monde et je ne cherche à convertir personne. Nous faisons appel à la sensibilité de nos clients. Tous les êtres humains aspirent à contribuer à quelque chose d'important. Mais la plupart des pdg sont sur le « pilote automatique ». Ils ne voient pas au-delà des murs de leur entreprise. Nous ouvrons la fenêtre.
D.B. - Le comité olympique a choisi votre firme pour élaborer la stratégie de diffusion culturelle des Jeux olympiques de Rio en 2016. De quoi s'agit-il ?
L.B. - Les Olympiques, c'est bien plus qu'un événement sportif de 16 jours. C'est l'occasion de montrer au monde que le Brésil ne se résume pas à un carnaval et des femmes sexy. Notre mandat consiste à élaborer et à déployer un calendrier culturel de quatre ans. D'abord, nous avons rencontré 222 artistes, connus et inconnus, pour répertorier la création culturelle brésilienne. Les thèmes de ces oeuvres nous aideront ensuite à bâtir le message que le Brésil relayera au monde au cours des quatre prochaines années.
D.B. - Les Olympiques en 2016, la Coupe du monde de soccer en 2014... Toutes les entreprises veulent une présence au Brésil. Pourquoi pensez-vous qu'elles devraient se montrer prudentes ?
L.B. - Le Brésil est plus vaste que tous les pays d'Europe de l'Est réunis. Ce n'est pas un seul pays, mais plutôt cinq : le Nord, le Nord-Est, le Sud, le Sud-Est et le Centre-Ouest. Chaque région est caractérisée par une façon bien particulière de se vêtir, de manger et même d'interagir. Les produits et les marques populaires ne se ressemblent pas non plus.
D.B. - Et puis, vous avez déjà un partenaire économique qui prend beaucoup de place...
L.B. - En effet, la Chine est notre principal partenaire commercial.
D.B. - Le Brésil est-il toujours un pays émergent ?
L.B. - Oui. Pour moi, un pays émergent est celui qui n'a pas encore connu son âge d'or. Nous sommes loin de notre plein potentiel. L'Amérique latine au complet est un continent émergent, mais à des degrés différents. Le chômage est relativement faible, l'inflation sous contrôle, la demande intérieure en croissance, les ressources abondantes et on attire de plus en plus d'événements d'envergure. Les astres sont bien alignés.
D.B. - Vous nous mettez toutefois en garde contre une vision naïve de votre pays...
L.B. - Nos systèmes de santé et d'éducation sont affreux. Nos infrastructures, déficientes. Nous manquons de bande passante, ce qui retarde le déploiement du commerce électronique. La corruption s'infiltre partout, et la répartition de la richesse est une des plus inégales du monde. Ce sont là autant de facteurs qui nous tirent vers le bas. Et, pour chacun d'entre eux, je n'entrevois aucune amélioration.
D.B. - Vous avez vécu à Montréal de 1986 à 1993. Pourquoi, et quels souvenirs en gardez-vous ?
L.B. - Mon père était le consul général du Brésil à Montréal. Je me souviens de mes balades en transport en commun et du sentiment d'appartenance des Montréalais à leur communauté. Même si les Canadiens sont un peu provinciaux, Montréal est pour moi une ville progressiste.
D.B. - Quels sont vos projets de la prochaine année ?
L.B. - Ma vie est très chaotique, alors je dois surveiller ma santé pour profiter de toutes les occasions qui se présentent à moi. Pour l'instant, Mandalah compte six bureaux [Mexico, New York, Sao Paulo, Rio, Berlin, Tokyo], mais nous ne nous arrêterons pas là.