Sarah Prevette vole au secours des entrepreneurs du monde entier. À Toronto, mais aussi à Paris, New York, Londres, Boston et Montréal, elle organise des événements d'entraide entre entrepreneurs. C'est le fondement même de son entreprise, Sprouter.com. Lancé en 2009, ce site est une sorte de ligne 911 pour entrepreneurs : ils y posent les questions qui les empêchent d'avancer... ou de dormir. À l'autre bout du clavier, des experts et des entrepreneurs aux feuilles de route variées répondent bénévolement. À 28 ans, l'Ontarienne est elle-même une entrepreneure en série. Si ses premières entreprises sont tombées dans l'oubli, Sprouter.com lui mérite une place dans le " Top 30 under 30 " du magazine Inc.
Diane Bérard La première entreprise que vous avez lancée, à 21 ans, a fait faillite. Cette situation vous a-t-elle poussée à démarrer sprouter.com, un site d'aide aux entrepreneurs ?
Sarah Prevette - Probablement. J'étais convaincue qu'Upinion [un site destiné aux jeunes où il était question de tendances et de célébrités] serait mon allée simple pour la gloire. Je me voyais déjà sur la page couverture des magazines d'affaires ! Deux ans plus tard, j'ai fermé boutique, à court d'argent. En 24 mois, j'ai commis mille et une erreurs. J'étais isolée. J'aurais eu besoin de conseils, d'un mentor. C'est ce qu'offre le site Sprouter.com. Vous pouvez y poser toutes les questions que vous voulez, il y a toujours un expert pour y répondre. Vous profitez aussi des réponses données aux autres membres de la communauté.
D.B. - Quelle proportion de la faillite d'Upinion attribuez-vous à votre ego ?
S.P. - Une grande partie. L'ego est une arme à deux tranchants : il en faut une bonne dose pour croire suffisamment en son idée d'entreprise. Mais, une confiance en soi excessive obscurcit l'esprit critique et vous pousse à sous-estimer les défis. Depuis Upinion, j'ai appris la patience. Je découpe les défis en petites tranches. Et, surtout, j'accepte qu'il y ait des défaites.
D.B. - Une première faillite est-elle nécessaire pour devenir un bon entrepreneur ?
S.P. - Non. Il existe plusieurs niveaux d'échec avant la faillite. Tous les entrepreneurs vivent des revers; c'est la façon dont nous composons avec ces écueils quotidiens qui fait de nous un bon ou un moins bon entrepreneur.
D.B. - Quelles sont les trois principales causes de faillite en affaires ?
S.P. - D'abord, votre produit ne répond à aucune demande. Rien n'a été entrepris pour sonder la clientèle cible. Convaincu d'avoir une idée géniale, vous tentez de combler un besoin qui n'existe pas. Il arrive aussi qu'on démarre sur la bonne voie en sondant les clients potentiels au début du projet. Mais on fait ensuite cavalier seul, et le produit ou le service final s'éloigne du véritable besoin. Et puis, il y a les cas où vous manquez tout simplement d'argent. Tout projet d'entreprise est au moins trois fois plus long que prévu à démarrer et exige trois fois plus d'argent...
D.B. - Votre service est offert en ligne et les entrepreneurs n'ont pas à s'identifier. Cela explique-t-il son succès ?
S.P. - Il est évident que c'est moins douloureux pour l'ego ! Plus pratique aussi, puisque vous y avez accès au moment qui vous convient. Et c'est gratuit. Pour le client, c'est une combinaison parfaite.
D.B. - Votre service est gratuit. Parfait pour le client, moins gagnant pour vous...
S.P. - Depuis le démarrage, en novembre 2009, nos revenus proviennent d'" anges financiers " ainsi que de commandites. Le temps est venu de passer à une autre étape : monétiser notre service. L'exercice n'est pas simple : le modèle d'affaires retenu ne doit pas aliéner notre communauté. Et puis, il doit respecter nos valeurs : nous avons fondé cette entreprise pour combler un besoin, pour aider, et non pour bâtir une grande entreprise. Pour l'instant, nous avons à peine trempé le bout de notre orteil dans le dossier de la monétisation.
D.B. - Avez-vous toujours voulu être entrepreneure ?
S.P. - Disons plutôt que je n'ai jamais aimé travailler à partir des idées des autres. Je me suis lancée en affaires parce que je juge que les miennes sont plus intéressantes et méritent qu'on les essaie. J'imagine que c'est lié à mon ego...
D.B. - Naît-on entrepreneur ou le devient-on ?
S.P. - Les entrepreneurs affichent certains traits de caractère particuliers : la confiance en eux, la débrouillardise et la passion. Mais ils ont aussi été placés dans des situations qui ont stimulé leur entrepreneuriat. Pour ma part, j'ai travaillé pour un entrepreneur. Sa PME avait à peine un an lorsque je m'y suis jointe, ce qui m'a permis de toucher à tout : le recrutement, les relations publiques, la recherche... Cette expérience a servi de catalyseur à ma carrière d'entrepreneure. Sans elle, la suite des choses aurait probablement été différente.
D.B. - Qu'y a-t-il dans votre ADN qu'on ne retrouve pas dans celui de vos amis ?
S.P. - Je suis plus masochiste qu'eux ! Sinon, comment expliquer tout ce qu'un entrepreneur accepte d'endurer : le stress, l'insomnie, les angoisses... Mais je préfère ce combat aux regrets. Je ne veux pas me dire : " Et si j'avais lancé ce projet ? Cette idée avait-elle du potentiel ? "
D.B. - Quels sont les plus grands mythes à propos des entrepreneurs ?
S.P. - Qu'il s'agit d'êtres excentriques et exubérants, à l'image de Richard Branson [le milliardaire et fondateur de Virgin]. Au contraire. Je connais de nombreux entrepreneurs timides qui ont dû se faire violence et sortir de leur zone de confort pour que leur entreprise décolle. L'autre mythe, plus contemporain, est lié aux entreprises Internet. La légende veut qu'elles démarrent toutes sans modèle d'affaires et ne visent qu'à faire vivre l'entrepreneur. C'est faux. Plusieurs visent la croissance et la création d'emplois et elles ont un plan de match bien précis. Évidemment, Sprouter est un contre-exemple...
D.B. - Comment stimule- t-on des vocations d'entrepreneurs ?
S.P. - Présentons l'entrepreneuriat comme un choix de carrière. Que les écoles invitent des jeunes, même de très jeunes entrepreneurs à raconter leur histoire aux élèves dès le primaire.
D.B. - Les Canadiens n'ont pas une nature entrepreneuriale, dites-vous...
S.P. - Les Canadiens sont modérés, modestes et ils fuient le risque. Rien de tout cela ne correspond à la nature entrepreneuriale.
D.B. - Quels sont vos plans pour les 12 prochains mois ?
S.P. - Nous étendrons nos services hors pair afin de développer notre communauté en ligne. Chaque mois, nous tenons un événement baptisé Sprout Up, où 600 entrepreneurs se rencontrent pour échanger. Ces rencontres se tiennent à Toronto, mais aussi à Paris, New York, Londres, Boston et Montréal, car notre communauté s'étend sur plusieurs continents. Et puis, je dois me concentrer sur notre modèle d'affaires pour répondre aux besoins de notre communauté, qui grandit sans cesse.
Le contexte
Le Québec n'est pas la Mecque de l'entrepreneuriat que l'on croit parfois. Sa proportion d'entreprises de moins de 20 employés (86,5%) ne se distingue pas de celle du reste du Canada. La solitude et l'isolement de l'entrepreneur constituent souvent des barrières à l'entrée ou au succès. Un service comme Sprouter arrive donc à point nommé.
Saviez-vous que...
Sprouter compte 4 employés et 250 000 visiteurs par semaine.
L'entrepreneur que Sarah Prevette admire le plus est le chanteur rap Jay-Z " qui s'est construit à partir de rien, devenant un exemple pour les jeunes de milieux défavorisés ".
L'inscription à Sprouter prend quelques secondes, et son interface rappelle Twitter. Ensuite, il n'y a qu'à poser une question et attendre une réponse, ou encore naviguer parmi les différentes catégories. Sprouter.com