Le magazine Forbes l'a nommée " héroïne asiatique de la philanthropie 2010 ". Et ce n'est qu'une des nombreuses distinctions qu'Elim Chew a reçue depuis 10 ans. Couronnée " l'entrepreneure la plus prometteuse de Singapour ", en 2001, elle est aujourd'hui à la tête d'une chaînes de 14 boutiques en plus de posséder plusieurs centres commerciaux et de siéger sur 20 conseils d'administration. Vedette de l'entrepreneuriat singapourien, elle fut invitée à Davos en 2005 pour échanger avec d'autres ténors mondiaux de l'économie.
Le temps où elle tenait un minuscule salon de coiffure en rêvant d'horizons plus vastes est définitivement derrière elle. Mais Elim Chew n'a pas oublié la solitude et l'inquiétude de ses premières années d'entrepreneuriat. Elle consacre son énergie et ses ressources à former et à aider des entrepreneurs en devenir. Nous l'avons rencontrée en novembre dernier, à Lyon, lors du World Entrepreneurship Forum.
Diane Bérard - Comment pouvez-vous comparer les entrepreneurs à des délinquants juvéniles ?
Elim Chew - Facile : plus vous nous dites non, plus nous fonçons pour prouver que vous avez tort. Je suis convaincue que mon succès tient à mon attitude de défi. On m'a tellement répété que j'échouerais, qu'il fallait que je démontre le contraire. L'entrepreneur dépourvu de fibre rebelle aura bien du mal à réussir.
D.B. - Créer une entreprise est assez exigeant, mais cela ne vous suffit pas. Vous insistez pour que les PME croissent. Pourquoi ?
E.C. - Pour laisser le terrain libre à d'autres PME et ainsi créer suffisamment de richesse pour résoudre les nombreux problèmes sociaux qui nous affligent. On consacre beaucoup d'énergie au démarrage d'entreprises et pas assez à leur croissance. Trop de sociétés demeurent petites et ne génèrent pas suffisamment d'emplois pour combler la demande. Il faut insister sur la croissance, qu'elle devienne un réflexe et une ambition chez les entrepreneurs.
D.B. - De votre côté, vous n'avez jamais manqué d'ambition, démarrant deux PME à la fois, l'une finançant l'autre.
E.C. - L'argent est le nerf de la guerre. On ne peut rien sans lui. Après mon cours de coiffure, à Londres, j'ai ouvert un salon à Singapour. C'était les années 1980; le look bigarré de Madonna et de Cindy Lauper faisait fureur. Je l'avais moi-même adopté [rires] et mes clientes demandaient sans cesse où je m'habillais. Ma garde-robe venait directement de Londres, fournie par ma soeur établie là-bas. Le déclic s'est fait : pourquoi ne pas importer ces vêtements et les vendre à Singapour ? C'est ce que j'ai fait. J'ai gardé le salon quelques années pour financer ma première boutique. Lorsque celle-ci fut profitable, j'ai vendu le salon.
D.B. - Vous avez aussi créé vos propres marques. Quelle a été votre stratégie pour percer ?
E.C. - J'ai profité d'une tendance naissante : le marché des marques pour les jeunes a commencé à émerger dans les années 1980. La musique a tracé la voie, le look des chanteurs a fait le reste. Je fus une des premières à offrir à la jeunesse singapourienne des vêtements pour eux, le streetwear. Au début, j'ai importé des marques étrangères, puis j'ai lancé les miennes : X-Tomic, No bounderies, Slacker et Gothic Princess. Mais le vrai secret de mon succès tient au fait que je connais et, surtout, que j'aime profondément ma clientèle. J'ai cofondé le Singapore Street Festival et le Young Entrepreneur Mastery, un incubateur qui encourage l'entrepreneuriat chez les jeunes décrocheurs, et je siège sur de nombreux comités gouvernementaux, dont SCAPE, du ministère de la Communauté, de la Jeunesse et des Sports.
D.B. - L'Asie constitue un immense marché de consommateurs. Vous prévoyez d'ailleurs lancer en 2012 la première " Fashion City " de l'Asie. Expliquez-nous votre projet.
E.C. - J'offrirai aux entreprises du secteur de la mode qui souhaitent vendre en Asie un lieu où exposer leurs produits. Ce sera un local de 4 500 pieds carrés situé à Singapour. C'est tout à fait vrai, l'Asie constitue un formidable marché de consommateurs, et ce projet de Fashion City est ma façon de créer un pont entre ma région et le monde.
D.B. - Depuis 2006, vous pratiquez aussi l'entrepreneuriat social, avec le site popandtalenthub.com. Parlez-nous de votre projet de marché de l'art.
E.C. - Nous permettons à ceux qui se trouvent au bas de la pyramide de gagner leur vie dignement au lieu de vivre de la charité publique. Les entrepreneurs en devenir ne sont pas tous des gens favorisés, il s'en trouve aussi parmi les marginaux. Le projet PaTH (Pop and Talent Hub) offre du mentorat et un réseau de distribution aux artistes et artisans. Nous leur donnons la chance de grandir et de gagner un revenu décent. Il s'agit de s'associer avec des centres commerciaux qui accordent gratuitement des espaces deux jours par mois pour que ces entrepreneurs puissent exposer leurs produits. Les recettes se partagent ainsi : 80 % à l'entrepreneur, 10 % au centre commercial et 10 % aux collaborateurs. Cette activité se tient déjà à VivoCity, un centre commercial important de Singapour. Elle s'adresse aux artistes et artisans souffrant d'un handicap, parce que ce sont les plus vulnérables. Prochaine étape : implanter cette formule dans d'autres pays.