Enjeux de gouvernance - Série 4/6: Les administrateurs ont un rôle stratégique à jouer à des moments charnières de la vie de l'entreprise. Cette série décortique des enjeux auxquels ils font face.
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Les agences de conseil en vote en mènent-elles trop large en matière de gouvernance ? C'est l'avis de plusieurs acteurs de l'industrie des marchés financiers qui dénoncent leur influence grandissante et le risque de conflits d'intérêts.
Ces agences (proxy advisors, en anglais) procurent aux investisseurs institutionnels et aux gestionnaires de fonds des recommandations quant à la façon de voter lors des assemblées annuelles des sociétés inscrites en Bourse. Elles peuvent aussi exercer leurs droits de vote à leur place.
Dans un rapport critique publié en 2013, l'Institut sur la gouvernance d'organisations privées et publiques (IGOPP) soulignait que «les conseillers en vote se trouvent aujourd'hui dans une position forte d'où ils peuvent faire la leçon aux dirigeants d'entreprises et aux conseils d'administration sur tous les aspects de la gouvernance et de la rémunération».
Elles fournissent en effet une opinion sur des dizaines et des dizaines de milliers de propositions soumises au vote des actionnaires, et ce, pour des milliers d'entreprises. Au pays, cette responsabilité se retrouve essentiellement entre les mains de deux agences, Institutional Shareholder Services (ISS) et Glass Lewis. Deux autres firmes, beaucoup plus petites, se spécialisent dans le conseil en investissement responsable. Il s'agit de Shareholder Association for Research and Education, de Vancouver, et de la montréalaise Groupe investissement responsable.
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Conflits d'intérêts et autres problèmes
Pour maintenir la confiance dans la qualité du processus de vote par procuration et répondre aux inquiétudes, les Autorités canadiennes en valeurs mobilières (ACVM) publieront prochainement des recommandations quant aux pratiques de ces agences. Les ACVM ont mené une consultation l'été dernier à ce propos.
La question des conflits d'intérêts est l'un des principaux enjeux soulevés. «Lorsqu'un des clients investisseurs d'une agence lance une offre publique d'achat ou soumet une proposition au vote des actionnaires, l'agence se retrouve en conflit d'intérêts quant à la recommandation qu'elle fait aux autres investisseurs», explique l'avocat Thierry Dorval, président de la section québécoise de l'Institut des administrateurs de sociétés (IAS).
Il souligne également la problématique causée par les agences «ayant des clients des deux côtés», c'est-à-dire qui offrent des services de consultation aux entreprises cotées en Bourse pour lesquelles elles fournissent également des recommandations de vote aux investisseurs. Dans les faits, seule l'ISS présente ce modèle. «Cela revient à dire aux émetteurs quoi faire pour obtenir une recommandation de vote positive», précise M. Dorval, qui est également associé chez Norton Rose Fulbright.
Sur cet aspect, l'IAS et l'IGOPP demandent aux commissions de valeurs mobilières de fournir davantage que de simples lignes directrices. Elles proposent d'interdire aux agences d'offrir leurs services aux entreprises à propos desquelles elles énoncent des recommandations de vote. Même la Caisse de dépôt et placement du Québec se prononce en ce sens, elle qui a recours aux agences «pour alimenter sa réflexion lorsqu'elle se positionne par rapport à une résolution quelconque», écrit-elle dans les commentaires qu'elle a soumis aux commissions de valeurs mobilières.
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Le dialogue avec les émetteurs est une autre pierre d'achoppement. Dans sa réponse à la consultation des ACVM, la Corporation financière Power, qui détient notamment la compagnie d'assurance vie Great-West et le Groupe Investors, indiquait avoir fait l'objet par le passé de rapports erronés ayant pesé sur les résultats de vote. Elle demandait la remise obligatoire aux émetteurs des rapports des agences avant leur publication afin de pouvoir y répondre, en particulier lors d'une recommandation de voter contre une résolution. «L'issue du vote des actionnaires sur certaines questions [...] peut avoir une incidence tant sur le rendement financier et futur d'un émetteur que sur sa réputation et sur celle de ses administrateurs», faisait-elle valoir.
L'IAS est du même avis. «Les agences sont de plus en plus utilisées, parce que la part des investisseurs institutionnels dans les entreprises ne cesse d'augmenter, souligne Thierry Dorval. Elles ont donc de plus en plus d'influence, d'où l'importance pour les entreprises de pouvoir inclure une remarque dans les rapports des agences dans le cas d'une recommandation contraire.»
Les ACVM n'ont toutefois pas l'intention de montrer les dents en imposant une réglementation. «Ça restera des lignes directrices, déclare Gilles Leclerc, surintendant au marché des valeurs de l'Autorité des marchés financiers. Depuis deux ans, les agences ont entrepris de mettre en place de bonnes pratiques, et on constate déjà une plus grande transparence, ce qui répond à notre objectif.»
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Olivier Gamache, président du Groupe investissement responsable, estime quant à lui que les investisseurs ont le devoir d'exercer leurs droits de vote de façon diligente. «Les agences aident les investisseurs à se faire entendre. Cela peut inciter les CA à améliorer leurs pratiques, car si personne ne vote, tout devient acceptable.»
Celui qui compte parmi sa clientèle des communautés religieuses, des caisses de retraite et des gestionnaires de portefeuille donne l'exemple des entreprises ne comptant aucun administrateur compétent en matière d'enjeux environnementaux et sociaux. «Quand certains de mes clients s'abstiennent de voter pour les membres d'un comité de nomination d'un CA ne favorisant pas la diversité, cela passe un message qui peut contribuer à faire changer les choses.»
Que cela plaise ou non aux sociétés inscrites en Bourse, les agences de conseil en vote sont là pour rester. «Elles jouent un rôle essentiel pour les investisseurs qui doivent se faire une tête sur des milliers de questions pendant la saison des votes par procuration», dit Thierry Dorval.
Par exemple, la Caisse de dépôt et placement du Québec a voté en 2013 sur 40 601 résolutions dans près de 4 000 assemblées d'actionnaires.
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