Érik Lévesque cherche à acheter une entreprise manufacturière depuis près d'un an dans la grande région de Montréal. Il ne trouve pas. Et pourtant, depuis des années, on entend dire qu'il y aura des milliers d'entreprises à vendre. Autour de 98 000 dans l'horizon 2010-2020, selon la Fondation de l'entrepreneurship, et seulement 60 000 repreneurs.
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« Il y a un décalage entre les statistiques et la réalité, constate celui qui a vendu ses parts dans la firme longueuilloise J2 gestion d'approvisionnement, en mars 2014, dans le but d'acheter autre chose. Oui, les entrepreneurs vieillissent, mais ils ne vendent pas leur entreprise. Et j'ai du mal à concevoir qu'à 70 ans on ait encore le feu sacré... »
Érik Lévesque fréquente le Centre de transfert d'entreprises de la Montérégie, rencontre des experts à la BDC, au Fonds de solidarité FTQ, à Investissement Québec, dans des banques et des bureaux d'avocats, de courtiers et de comptables. Diplômé de l'École d'entrepreneurship de Beauce, il a aussi utilisé ce réseau de relations, sans succès.
« Ce n'est pas une question d'être pointilleux : il n'y a rien ! Pourtant, il doit y avoir 300 ou 400 personnes qui savent que je cherche. Je pensais qu'en 9 ou 10 mois, j'aurais pu analyser une quinzaine de dossiers, mais il n'y en a eu que trois, dont deux que j'ai jugés trop risqués et un autre pour lequel il aurait fallu 10 ans pour obtenir un rendement, ce qui est trop long pour mes capacités financières », dit celui qui cherche une entreprise d'une valeur de 5 millions de dollars.
Entreprises à acheter recherchées
Tous les experts constatent la même chose : il y a sur le marché beaucoup plus d'acquéreurs que de vendeurs d'entreprises.
« Les gens vivent plus longtemps. Avant, ils vendaient vers 55-57 ans, mais on ne voit presque plus ça. Les gens ont tendance à reporter l'échéance. Ils commencent à penser à vendre à 70 ans ! » remarque Gilles Fortin, directeur principal, achat, ventes et fusions chez Raymond Chabot Grant Thornton à Québec.
« Les entrepreneurs qui vieillissent réduisent leurs heures de travail, nomment un directeur général et continuent parce qu'ils aiment ça. Mais ils prennent moins de risques, et cinq ou six ans plus tard, l'entreprise a perdu des parts de marché et elle devient un peu moins rentable », constate pour sa part Patrick-Claude Dionne, vice-président associé, transfert d'entreprises Canada à la Banque Nationale.
Et alors, ajoute-t-il, ce sont des éléments négatifs, comme la maladie, la fatigue ou un conflit entre actionnaires qui déclencheront le processus de vente. Un peu comme le testament, on n'aime pas le prévoir quand tout va bien. « Par conséquent, la majorité des transactions ne se font pas de manière structurée », déplore-t-il.
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« Rendre la mariée belle »
Il y a pourtant des étapes à suivre si on veut vendre son entreprise et en tirer le maximum de la valeur. Par exemple, si on veut bénéficier d'une exonération du gain en capital sur les premiers 800 000 $ d'actions au moment de la vente, il faut répondre à des critères. Pour y arriver, une stratégie fiscale sur deux à trois ans est à prévoir.
« J'ai un client qui a 79 ans et trop d'encaisse dans son compte en banque pour obtenir cette exonération. J'aurais aimé qu'il vienne me voir plus tôt », dit Gilles Fortin.
Avant de vendre, il faut idéalement « rendre la mariée belle », dit Patrick-Claude Dionne, et c'est plus complexe que du home staging, ou mise en scène d'intérieur. Si on n'a plus investi depuis des années dans les équipements et dans la R-D, la rentabilité comptable fondra pour le repreneur qui aura à rembourser une dette d'achat en plus de devoir investir massivement pour rattraper le temps perdu. Si on n'est pas prêt à baisser le prix de façon importante, il vaut mieux prendre le temps de rebâtir ou même de vendre une division moins rentable qui améliorera le bilan du reste.
« C'est un aspect délicat, la valeur, car les gens accordent beaucoup de valeur sentimentale à une entreprise. Et ils s'imaginent que ça vaut beaucoup, sans passer par un évaluateur professionnel. On évalue l'entreprise selon ses chiffres, mais aussi ce qui n'est pas dans les chiffres : les relations avec clients et fournisseurs, la force de travail, de vente et l'innovation », précise Gilles Fortin.
La stratégie pour la vente se définit donc en fonction de la valeur de l'entreprise et des besoins de revenus du futur retraité, selon son niveau de vie et son âge. On prendra alors plus ou moins de temps pour se préparer à passer à l'action, et les experts cibleront les meilleurs acheteurs potentiels.
La vente d'une entreprise n'a rien à voir avec la vente d'une maison, pour laquelle il suffit d'appeler un courtier. On trouvera bien des cafés, des motels, des commerces de détail et des restaurants à vendre auprès des agences immobilières, dans Les PAC ou Aquisition.biz (propriété de Transcontinental, éditeur de Les Affaires), largement utilisés par des courtiers pour la mise en marché. Mais dans la plupart des cas, les PME de taille un peu plus substantielle se vendent par des réseaux plus discrets.
« Les entrepreneurs ne veulent pas que ça se sache que l'entreprise est à vendre, à cause de l'insécurité que ça crée chez les employés », précise Gilles Fortin, ajoutant qu'il doit rencontrer ses clients à des heures tardives, quand les employés ont quitté les lieux. Dans les petits villages, surtout, on ne doit pas le reconnaître.
« Quand on vise une vente à l'externe, ma méthode est de choisir l'acquéreur, dit Pascal Moffet, associé responsable des services transactionnels chez Mallette. Je vais approcher des entreprises ou des individus avec qui je suis en relation. Je suis un hub à Québec et en Mauricie, mais je peux aussi avoir des acheteurs en France ou aux États-Unis. »
Les professionnels du transfert d'entreprises ont tous une liste d'acquéreurs potentiels et des mandats de vente. De plus, il existe des clubs de réseautage transactionnel, comme le M&A Club, qui organise régulièrement des rencontres permettant de faire savoir qu'on a à vendre une PME manufacturière en Beauce ou un hôtel à Québec.
« On fait attention à ce qu'on dit avant d'être sûr de l'intérêt, car si par exemple on disait qu'un distributeur de pièces est à vendre dans telle petite ville, tout le monde saurait facilement qui c'est. Les clients tiennent à la confidentialité », dit Brahm Elkin, président fondateur du M&A Club.
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Encaisser et partir au soleil ?
Les cédants souhaitent toujours être payés comptant lors de la vente, mais ils n'y parviendront que s'ils vendent à un concurrent, laissant toutefois leurs employés à la merci d'une opération de consolidation.
Si le cédant transfère à la famille, aux gestionnaires ou à un repreneur externe, il faut s'attendre à faire partie du plan de financement, en balance de prix de vente, et ainsi, une partie de son argent est immobilisé en garantie. Cela peut en refroidir certains.
Pour rassurer les parties et s'assurer de maximiser les chances de succès des repreneurs, les experts négocient le plus souvent une période de transition. Celle-ci permettra au cédant, après la transaction, d'encadrer la relève et de transférer le savoir. S'il s'agit d'une relève familiale, par exemple, il faut ouvrir la voie à des questions délicates, mais essentielles pour l'avenir. Si on pense céder au cadet plutôt qu'à l'aîné, il faudra agir avec doigté.
« Quand on nous consulte, on évalue la relève, on fait des tests psychométriques et on passe des entrevues. On voit d'où part la relève et ce qu'elle a à acquérir pour être prête. On interroge aussi le cédant sur ses intérêts, ses motivations, et ensuite on fait un plan de match », explique Pascal Moffett.
Un entrepreneur a tout intérêt à se préparer d'avance pour la vente de son entreprise, mais un acheteur aussi. Même si le financement est abondant et se fait à des conditions très avantageuses ces années-ci, il faut avoir accumulé du capital. Cela paraît une évidence, mais les experts rencontrent beaucoup d'acquéreurs à la pensée magique, qui pensent pouvoir acheter sans comptant - ce qui se fait rarement. Les banquiers et investisseurs aiment que le risque soit partagé.
« Je crève souvent des bulles en disant aux gens qu'ils n'ont pas assez d'argent pour acheter. Il faut supporter les frais de transaction, le fonds de roulement et l'endettement. Et dans la majorité des cas, la performance financière dans l'année suivant la transaction est moindre », précise Pascal Moffett.
Enfin, pour chaque dossier qui lui sera présenté, l'acheteur devra faire ses devoirs ; la vérification diligente ne fait pas foi de tout.
« C'est important d'avoir un bon plan d'affaires qui exprime la vision du repreneur. C'est souvent l'élément manquant. Mais nous, ça nous permet de voir comment il fera face aux risques, comment il retiendra le personnel clé de l'entreprise, tout ça. Plus le plan est élaboré, plus les investisseurs auront confiance », dit Patrick-Claude Dionne, de la Banque Nationale.
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