Même si les relations avec votre banquier sont au beau fixe depuis des décennies, elles peuvent s'envenimer très rapidement et menacer l'équilibre de votre entreprise. Le détaillant Jacob l'a appris à ses dépens au cours des dernières semaines. Au moment où il élaborait un plan de relance avec PricewaterhouseCoopers, ses fournisseurs et les propriétaires de centres commerciaux, la Banque Nationale a réduit sa marge de crédit.
Les choses ont dégénéré à tel point que Jacob s'est placé à l'abri de ses créanciers, le 19 novembre. La semaine dernière, au cours des audiences tenues au Palais de justice de Montréal dans le cadre de la restructuration du détaillant, la tension entre les protagonistes était palpable.
L'homme d'affaires Joseph Basmaji, qui a ouvert la première boutique Jacob en 1976, est venu à la barre raconter les événements des derniers mois. " En janvier dernier, notre marge de crédit était de 15 millions de dollars (M$). Un matin, la jeune femme qui fait le suivi de la trésorerie a découvert que la marge était rendue à 1 M$. Sans avis ni explications ! "
L'unique propriétaire de la chaîne de magasin a indiqué qu'il avait rapidement communiqué avec son banquier pour voir s'il s'agissait d'une erreur. " On m'a dit : donnez-nous vos liquidités, on va vous soutenir et honorer les chèques. Cela a créé de l'incertitude tout au long du printemps. Ça a été dur à gérer ", a confié l'homme de 58 ans.
Selon les avocats de la Banque Nationale (BN), ce changement était permis par la convention de crédit. Mais le juge Martin Castonguay a considéré cette justification sans intérêt pour la Cour.
En août, Jacob a transmis à son banquier des résultats de ventes en deçà des attentes. Encore une fois, la BN s'est voulue rassurante. " On m'a dit de ne pas m'inquiéter. Que mes conditions de financement ne changeraient pas ", a relaté M. Basmaji. La marge de crédit, valide jusqu'à la fin de janvier 2011, était alors de 8,8 M$.
À bout de souffle, en octobre, le détaillant décide de chercher de l'aide. La firme PricewaterhouseCoopers (PwC) est alors mandatée pour trouver des investisseurs ou des acheteurs potentiels. Des discussions " avancées " ont même eu lieu avec un partenaire stratégique dont l'identité n'a pas été dévoilée. " J'ai investi énormément d'argent dans ma compagnie. J'ai mis 65 M$ de mon argent, a raconté Joseph Basmaji, nerveux et émotif. J'ai cherché à me refinancer. Je n'ai pas d'expérience en la matière. "
Perte de confiance de la Banque Nationale
Or, quelques jours plus tard, le détaillant québécois s'est retrouvé dans les special loans (l'unité d'intervention, de son vrai nom) de la BN. Autrement dit, l'institution financière commençait à perdre confiance.
De son côté, PwC suggérait à M. Basmaji de rencontrer les propriétaires de centres commerciaux pour prendre des arrangements avec eux, comme des paiements de loyers différés. " Je n'avais jamais pensé demander cela. Je n'ai jamais demandé d'aide à personne de ma vie ! " Les loyers de Jacob s'élèvent à 4,5 M$ par mois. Une rencontre a eu lieu le 5 octobre avec Ivanhoé Cambridge, Cadillac Fairview et Oxford Properties. Question de respirer un peu, Jacob a retenu les loyers du premier novembre.
Le 5, la BN a avisé Jacob qu'elle était " en défaut ", étant donné que les loyers n'avaient pas été payés à temps. " C'est là que tout a dégénéré, a dit Joseph Basmaji. Trente ans se sont évaporés en 30 jours. La Banque voulait capper ma marge de crédit [à 7,75 M$] pour se protéger. J'ai répondu : si vous limitez ma marge, je ne pourrai plus payer mes loyers. " Pour sa défense, la BN a tenté de faire valoir au juge qu'à 7,75 M$, la marge dépassait les besoins du détaillant. L'honorable Martin Castonguay a cependant rappelé à l'institution financière qu'elle devait respecter son contrat sans condition.
Incompréhension
Dans son témoignage, Joseph Basmaji a aussi précisé qu'il voulait faire une relance " soft " de son entreprise, sans avoir à se présenter devant les tribunaux. " Tous les promoteurs immobiliers et 90 % de nos fournisseurs ont embarqué dans mon plan. " Mais il a eu la surprise d'apprendre que la BN acceptait de maintenir la marge de crédit... jusqu'au 1er décembre.
" J'étais très inquiet. Pourquoi ne voulaient-ils plus honorer la marge tel que convenu ? Je voulais qu'ils me laissent atteindre mon objectif, d'autant plus que la valeur de mes stocks était plus élevée que ma marge. Je ne comprenais pas pourquoi ils voulaient baisser ma marge. "
La Nationale aurait ensuite dit à M. Basmaji de cesser d'écouter ses avocats et de lui faire confiance. Relatant cette proposition devant la dizaine d'avocats présents à la cour, M. Basmaji a déclaré : " Je me sens comme un enfant, pris entre ses deux parents. Je ne comprends pas votre jargon. Mon métier, c'est de vendre des vêtements. " En outre, quand Jacob a déposé 500 000 $ dans son compte, la BN a utilisé la somme pour réduire d'autant ses avances.
Ce geste a valu à l'institution financière des réprimandes du juge, qui s'est dit " surpris " par l'attitude générale de la BN dans cette affaire. Martin Castonguay a conclu la journée d'audiences en forçant la Banque à maintenir la marge tel que convenu au contrat. Jacob a précisé qu'il se trouverait ensuite un autre banquier. Invitée par Les Affaires à s'expliquer, la BN a refusé.
Le juge a néanmoins grondé Jacob, qui a cessé de transférer le produit de ses ventes à la BN le 12 novembre. Les sommes étaient conservées à la Banque Royale. " Ils [Jacob] se constituent un trésor de guerre alors que nous, on finance les dépenses ", a déploré l'avocat représentant la banque, Jean Legault.
" Je suis en présence de deux parties qui se sont fait justice elles-mêmes. Je comprends que M. Basmaji se sentait coincé. Or, nous vivons dans un État de droit ", a conclu le juge, ordonnant à Jacob de reprendre les transferts de liquidités vers son banquier des 30 dernières années.