Avant d’être pris en charge par la Montreal Maine and Atlantic sur l’Île de Montréal, le train de pétrole brut qui a semé la dévastation à Lac-Mégantic a été acheminé du Dakota du Nord par le Canadien Pacific, en passant par cinq grandes villes nord-américaines. Difficile toutefois de connaître le parcours exact des wagons qui ont explosé. La grande compagnie ferroviaire «de classe 1» se refuse à tout commentaire.
«Par respect pour les résidents du Lac-Mégantic qui sont au centre de cet événement tragique et compte tenu des enquêtes présentement menées par les différentes autorités provinciales et fédérales, le CP préfère ne pas commenter à ce temps-ci», a écrit la porte-parole Breanne Freigel dans un courriel. «Je pourrai répondre à vos questions quand j’aurai l’autorisation de vous dire quelque chose», a-t-elle ajouté quand LesAffaires.com l’a jointe au téléphone plus tard, avant de rapidement mettre fin à la discussion.
Le réseau de la Montreal Maine and Atlantic (MMA) a un droit de passage sur celui du CP, entre la cour de triage de Côte-Saint-Luc, dans l’ouest de l’Île de Montréal, et le début de sa propre ligne, à Saint-Jean-sur-Richelieu. En tant qu’ancien tronçon du CP, le petit chemin de fer détenu par l’Américain Ed Burkhardt y est directement relié.
Selon un haut dirigeant de l’industrie ferroviaire qui refuse d’être cité, c’est donc à Côte-Saint-Luc que les trains de pétrole de MMA sont assemblés, à partir de wagons acheminés jusque là par le CP.
Le train de MMA qui a ravagé Lac-Mégantic est donc passé sur le pont ferroviaire parallèle au pont Mercier, au-dessus du fleuve Saint-Laurent, entre l’arrondissement LaSalle et la réserve mohawke de Kanhawake.
Grandes agglomérations traversées
Grandes agglomérations traversées
Selon l’Atlas des chemins de fer du Canada et les experts qu’a consultés LesAffaires.com, les wagons de pétrole de schiste du gisement Bakken ont vraisemblablement transité par les lignes du CP aux États-Unis, entre le Dakota du Nord et Chicago, en passant par Minneapolis. Le chemin de fer a probablement utilisé son droit de passage sur un tronçon de la Norfolk Southern entre Chicago et Détroit, avant de continuer son chemin sur ses propres lignes jusqu’à Montréal, en passant par Toronto.
Les wagons qui ont tué 15 à 50 personnes à Mont-Mégantic ont donc traversé pas moins de cinq agglomérations de plus de trois millions d’habitants avant de se retrouver dans un train sans conducteur filant à toute vitesse, de dérailler et d’exploser dans la petite ville estrienne.
Comme le CP ne répond pas aux questions, impossible de savoir si la compagnie considère comme sécuritaires les fameux wagons citernes DOT-111 qu’elle traîne régulièrement dans ces régions densément peuplées. Ni de comparer ses méthodes de gestion de train et de changement de quarts de travail avec celles de MMA.
L’autre réseau canadien de classe 1, le Canadien National, assure de son côté que les wagons n’ont «en aucun temps» transité par son réseau, qui peut lui aussi relier le Dakota du Nord à Montréal. Le porte-parole Louis-Antoine Paquin ajoute que «des spécialistes» du CN se sont rendus sur les lieux de l’accident, «tout simplement pour prêter main forte aux intervenants».
Chose certaine, selon le haut dirigeant de l’industrie qu’a consulté LesAffaires.com, le pétrole n’a pas changé de wagons entre le Dakota du Nord et le Québec. «Ça serait très peu probable, dit-il. Il faudrait qu’il y ait eu une défectuosité.»
Il ajoute que le chemin de fer de classe 1 qui a acheminé au Québec les 72 wagons DOT-111 ayant explosé à Lac-Mégantic n’avait pas intérêt à passer par des voies ne lui appartenant pas entre le Dakota du Nord et le réseau de MMA. «Le chemin de fer principal essaie de transporter le train le plus longtemps possible sur ses propres lignes : c’est ce qui est payant.»
En entrevue avec Radio-Canada, le président de MMA, Ed Burkhardt, a convenu mardi qu’il devait modifier ses façons de faire en ne laissant plus de trains sans surveillance et en faisant ses changements de conducteur à Sherbrooke, où la pente est moins prononcée. Il a aussi convenu que les employés auraient dû être au courant que de couper le moteur aurait pour effet de relâcher le frein pneumatique et permettrait au train de continuer sa route à toute allure jusqu’à Lac-Mégantic.
Peu probable à Montréal
Peu probable à Montréal
Une telle négligence pourrait difficilement se produire dans la cour de triage du CP, assure Claude Martel, président de l'Institut de recherche sur l'histoire des chemins de fer au Québec. «À Côte-Saint-Luc, ce n’est pas la même réalité, dit-il. Les trains sont enregistrés quand ils arrivent. La cour est très éclairée et du personnel surveille les équipements.»
Depuis la tragédie, plusieurs élus et responsables de la sécurité civile à Montréal et dans le reste du Québec ont néanmoins exprimé leurs inquiétudes. Ils déplorent d’être tenus dans l’ignorance quant aux matières dangereuses transportées sur les chemins de fer à travers leurs territoires.
«Les compagnies de chemin de fer sont sous juridiction fédérale, et ne sont pas tenues de nous fournir ce genre d'information-là, a confié au Devoir Louise Bradette, chef de division au centre de sécurité civile de Montréal. Ça fait plusieurs années qu'on leur demande de partager [ces informations], pour qu'on puisse non seulement bien réagir si jamais un incident de ce type-là survient sur notre territoire, mais aussi parce que notre souhait, c'est d'agir en prévention.»