Le 29 septembre, en direct du quartier général de Tesla à Fremont en Californie, Martin Paquet, directeur des ventes pour l'Est du Canada, attend dans quelques heures le lancement du modèle X, le premier véhicule utilitaire sport (VUS) du constructeur. «Environ 25 000 personnes ont déjà réservé leur modèle X», dit-il. En fait, Tesla a plus de 3 milliards de dollars en commandes fermes pour ce nouveau modèle.
La logique voulait qu'après un roadster et une berline, le véhicule suivant de Tesla soit un VUS, catégorie reine de l'automobile ces dernières années. «Le marché des VUS haut de gamme est plus important au Canada que le marché des berlines de luxe. On prévoit connaître beaucoup de succès dans ce créneau», explique Martin Paquet. Les VUS représentaient 32 % des ventes de voitures neuves au Canada l'année dernière, selon le site spécialisé Goodcarbadcar.net.
Où s'en iront ces premiers 3 G$ de ventes ? Ils nourriront la machine à engloutir les dollars qu'est Tesla.
Selon le Financial Times, le constructeur automobile avait investi, au 31 décembre 2014, 3,3 G$ US en capital et recherche. La chaîne de montage du modèle X ne comprend pas moins de 542 robots. À elle seule, la méga-usine de piles au lithium en construction au Nevada coûtera la bagatelle de 5 G$ US. Tesla a dû effectuer une nouvelle ronde de financement cet été en émettant pour 500 M$ US d'actions afin de soutenir le développement du futur modèle 3.
La stratégie muskienne
Remplacer l'essence par l'électricité fait partie du plan de changer le monde du pdg de Tesla, Elon Musk. L'Organisation mondiale de la santé estime qu'en 2012, la pollution atmosphérique avait causé la mort prématurée de 7 millions d'individus dans le monde, soit un décès sur huit.
On pourrait résumer son oeuvre ainsi : acheter du temps sur Terre dans la lutte aux changements climatiques et à la pollution pour avoir les moyens de coloniser Mars, son rêve ultime. «C'est gênant d'avoir abandonné l'exploration spatiale il y a plusieurs années. Les efforts qu'Elon [Musk] met dans ce projet et ses résultats prouvent qu'on devrait recommencer à s'y intéresser», dit Will Nicholas, responsable des relations avec les gouvernements chez Tesla.
Le premier véhicule de Tesla, un roadster, une Lotus Elise modifiée produite à 2 500 exemplaires de 2008 à 2012, a prouvé à l'industrie qu'il était possible de construire un superbolide électrique. Le modèle S lancé en 2012 n'a toujours pas de concurrent. Il a fait exploser la cote d'évaluation du Consumer Reports à 103 sur 100. Pour Jacques Duval, chroniqueur automobile, le premier contact avec la voiture a été spectaculaire. «Ça a été le coup de foudre. Je trouvais que cette voiture avait les performances d'une Porsche, le luxe d'une Mercedes, le plaisir de conduire d'une BMW.»
La production devrait s'élever à 50 000 exemplaires cette année. À titre de comparaison, Aston Martin a produit 4 000 véhicules en 2014, Ferrari, 7 000, et Porsche, 190 000.
Autre fait d'armes, Tesla n'a pas encore subi les affres des rappels pandémiques d'autres constructeurs automobiles, tels que General Motors et Toyota.
Troisième génération : hors de la niche
Le salut de l'entreprise passe par la production d'ici 2020 de plus de 500 000 exemplaires par année d'un modèle qui n'existe pas encore, la 3, une berline intermédiaire abordable, déclinée éventuellement en multisegment. Tandis que les trois premiers modèles Tesla (le Roadster, la S et la X) sont des produits de niche qui font perdre de l'argent à l'entreprise, la stratégie est tout autre pour le futur modèle 3.
Les investissements agressifs d'Elon Musk servent à se rendre jusqu'au modèle 3. La X ne marque pas l'emplacement du trésor, mais le chemin vers le complément d'une Sainte-Trinité que formeront la berline, le VUS et une intermédiaire à long rayon d'action pour monsieur et madame Tout-le-monde.
Elon Musk a confirmé sur son fil Twitter le 3 septembre trois des quatre éléments clés de la prochaine voiture : son prix (autour de 35 000 $ US), le moment de sa présentation officielle (mars 2016) et le début de sa production (deuxième moitié de 2017). Il ne reste qu'à confirmer l'autonomie de la voiture, le nerf de la guerre dans le secteur des véhicules électriques. Tesla commencera à prendre les commandes lors de cette future présentation officielle.
Inscrite au Nasdaq sous le symbole TSLA, l'action de Tesla au lendemain du lancement avait gagné 11 % depuis le début de l'année, tandis que l'indice des constructeurs automobiles de Bloomberg avait chuté de 14 % au cours de la même période. En ces premiers jours d'octobre, Tesla n'a pas à rougir de sa capitalisation boursière de 32,1 G$ US par rapport à celle de Ford (55,5 G$ US) et de GM (50,3 G$ US).
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Et du côté des concurrents ?
«Plus il y aura de voitures électriques, mieux ce sera», disait Will Nicholas lors de la Conférence Momentum de Novae portant sur le développement durable, le 24 septembre, à Montréal. Il commentait alors la volonté d'Apple d'entrer dans le marché automobile et celui de la conduite autonome à moyen terme.
Le Salon international de l'automobile de Francfort, à la mi-septembre, a servi de tribune à plusieurs constructeurs pour annoncer leurs futures couleurs électriques. Par exemple, Porsche y a présenté la Mission E, la voiture concept d'une future berline sport électrique dotée d'une autonomie de 500 km. Le bolide aux formes de la 911 se rechargerait à 80 % en 15 minutes. La production ne commencera pas avant cinq ans pour des raisons techniques.
Audi avait auparavant présenté un VUS électrique baptisé e-tron quattro, dont la date de sortie n'est pas confirmée. BMW, avec sa i3 et son superbolide i8, entend continuer à suivre la piste des engins hybrides pour le moment. Même Ferrari a déjà son premier modèle hybride et traction intégrale, la FF.
Quelques constructeurs offrent des voitures électriques intéressantes, mais souvent à l'autonomie encore un peu trop juste pour le grand public, même si elles conviennent parfaitement à la navette maison-boulot.
Tesla n'a donc pas de concurrent direct pour l'instant. En effet, les constructeurs perdent encore plus d'argent qu'ils n'en gagnent avec leurs modèles électriques.
Lors d'une conférence à Washington en juillet 2014, le patron de FCA Fiat Chrysler, Sergio Marchionne, déconseillait même l'achat de la Fiat 500e électrique. «À chaque fois que j'en vends une, elle me coûte 14 000 $ US. Je n'en vendrai pas une de plus que nécessaire», affirmait-il.
Il ajoutait que seul Tesla pourrait gagner de l'argent à court terme grâce au prix de son modèle S et à sa niche. Soulignons qu'aux États-Unis, plusieurs États ont adopté des lois forçant les constructeurs à produire un minimum de voitures écologiques.
Celle qui changera la donne ?
Tesla vise une production annuelle de 500 000 exemplaires de son futur modèle 3 d'ici 2020. Entre-temps, GM lancera la petite soeur de la Volt, la Bolt, sans génératrice à essence, mais qui devrait atteindre les 320 km d'autonomie, le seuil psychologique pour convaincre le grand public, selon Elon Musk.
Les Nissan Leaf et autres Kia Soul et Ford Focus verront leur autonomie augmenter. Renault, qui offre quatre véhicules électriques en Europe, tâte le terrain au Québec avec sa Twizy. La petite deux places doit encore obtenir l'homologation officielle.
Tesla a déjà profité à la dernière minute d'un coup de pouce de l'ordre de 50 millions de dollars de la part de Mercedes-Benz pour survivre. Toutefois, la plus grande aide non financière inespérée lui vient peut-être d'Allemagne, où elle peine à percer. En effet, le groupe Volkswagen respire les vapeurs toxiques du scandale de sa tricherie au diesel «propre». Les coûts en rappels et dommages punitifs se mesureront en milliards. Le malaise face au diesel profitera-t-il aux voitures électriques ?
En fait, le principal écueil potentiel devant Tesla pourrait venir de l'interne. Son VUS ne doit pas connaître de rappel important qui minerait sa réputation de faire mieux que le reste de l'industrie. La force de Tesla est dans son patron et ses employés.
Martin Paquet est très clair : «Travailler chez Tesla est une occasion de changer le monde, vraiment. On le voit bien dans la mission de l'entreprise : "Accélérer la transition vers le transport durable". Notre mission ne parle pas de profits, d'être numéro un ou de la concurrence. Si nous sommes capables de le faire nous-mêmes, tant mieux. Si nous sommes capables d'influencer les autres constructeurs dans le même sens, c'est encore mieux».
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