Un an après le dépôt par le gouvernement du Québec d'un «plan d'action» auprès du vérificateur général pour remédier aux lacunes dans la gestion du Fonds vert, le flou perdure, selon de nombreux observateurs.
Le gouvernement tarde à puiser dans le fonds pour financer des initiatives vraiment structurantes pour le secteur des transports, champion québécois des émissions de gaz à effet de serre (GES). Pourtant, le temps presse : depuis le 1er janvier 2015, les distributeurs de carburant refilent le coût de leurs droits d'émission aux consommateurs québécois, notamment les entreprises. C'est donc maintenant qu'il faut les aider à améliorer leur efficacité énergétique.
«Je vais régulièrement sur le site Web du Fonds vert pour voir si ça s'améliore, dit Pierre-Olivier Pineau, titulaire de la Chaire de gestion du secteur de l'énergie à HEC. Tout ce que j'ai trouvé, c'est un document à peine lisible, même pas daté ni titré. Même quand le gouvernement veut transmettre de l'information sur le Fonds vert, il n'arrive pas à le faire correctement.»
Ce document de 10 pages nous informe tout au plus qu'au 28 février 2015, les dépenses cumulatives du Plan d'action sur les changements climatiques (PACC) 2013-2020 s'élevaient à 400 millions de dollars, soit 12 % du budget total du Fonds vert de 3,3 milliards. De cette somme, près de 300 M$ ont été dépensés pour «promouvoir le transport collectif et alternatif en améliorant l'offre, en développant les infrastructures et en facilitant les choix durables».
Un objectif bien trop vague, dit Félix Gravel, du Conseil régional de l'environnement de Montréal. «On n'a aucune assurance que le Fonds vert sert au développement de l'offre de service en transport collectif, dit-il. Mon inquiétude, c'est qu'on est en train de financer son maintien plutôt que de le rendre plus efficace, mieux connecté, plus abordable. Est-ce qu'on remplit d'autres trous financiers, comme l'entretien des routes, avec cette manne financière ?»
«On n’a aucune assurance que le Fonds vert sert au développement de l’offre de service en transport collectif.» – Félix Gravel
Aucune amélioration
Ces critiques font écho à celles que le commissaire au développement durable avait adressées, en juin 2014, au ministère du Développement durable, de l'Environnement et de la Lutte contre les changements climatiques (MDDELCC) pour sa mauvaise gestion du Fonds vert. Tout y passait : information «incomplète et éparse», absence d'un «cadre de gestion axée sur les résultats», objectifs de projets «ni précis, ni mesurables». C'est en réponse à cette descente en règle que le ministère avait soumis au vérificateur général un «plan d'action», à l'automne 2014, pour y remédier au plus vite.
Aucun résultat tangible un an plus tard. Au contraire : alors qu'au printemps 2014, le ministère avait publié un PACC, son bilan 2012-2013 de 80 pages, cette année, il n'y a rien. «Après les centaines de millions qui ont été générés [par les ventes aux enchères] et en partie dépensés, on n'a pas cru bon de faire un bilan annuel sur le PACC 2013-2020 ? C'est inadmissible», lâche M. Pineau.
Selon lui, le manque d'informations claires risque de retarder les projets de réduction de GES dans le secteur privé.
«Il est très difficile de s'y retrouver dans la flopée de programmes qui découlent du PACC, dit-il. Il n'y a pas de guichet unique, [les guichets] sont gérés par trois différents ministères. On ne sait pas comment ni pourquoi on les a créés, qui les gèrent, etc. Le gouvernement est loin de les avoir rendus plus efficaces. En tout cas, l'accès demeure certainement difficile.»
Or, depuis le 1er janvier 2015, les entreprises doivent acquitter la facture des distributeurs de carburant à même leur consommation - une augmentation pour le moment estimée à 4 ou 5 cents le litre, selon M. Pineau. «Les distributeurs refilent la facture aux PME, qui n'ont pas la capacité - à moins d'aller voir la Coop Carbone - de mettre en oeuvre des projets de réduction, dit M. Gravel. C'est dommage.»
On compte 13 programmes à ce jour, dont la moitié dans le secteur des transports. Neuf d'entre eux s'adressent aux entreprises. «Des programmes sont en élaboration, note toutefois le MDDELCC. Ils seront ajoutés à la présente liste au fur et à mesure de la mise en oeuvre du PACC 2013-2020.»
Du côté du Conseil patronal de l'environnement du Québec, on a confiance que ce brouillard sera bientôt dissipé. «Le MDDELCC est en train de mettre en place des mécanismes pour que tout soit plus transparent sur la façon dont l'argent est dépensé et géré, et sur les résultats de réduction de GES de chaque projet», dit Hélène Lauzon, sa présidente.
Québec devrait faire plus
Transparence ou pas, il reste que le débat est loin d'être clos sur la meilleure façon de dépenser les 2,1 G$ du Fonds vert qui iront au secteur des transports d'ici 2020. Au cabinet du ministre David Heurtel, on cite la subvention de 2 M$ accordée en février 2015 à l'entreprise Autobus Lion pour la mise en service de six véhicules E-Lion. «Chaque autobus économise 8 250 litres de diesel par an, soit 23 tonnes de CO2, se réjouit le ministre David Heurtel. Il y a entre 6 000 et 8 000 autobus scolaires au Québec.»
Une mesure tout au plus anecdotique, note M. Gravel, puisque cette ligne scolaire existait déjà. Il ne comprend pas ce qu'attend le gouvernement pour investir massivement dans de nouveaux services, à un moment où, à Montréal, le nombre de véhicules en circulation se rapproche du million.
«Électrifier [ce qui existe déjà] ne va pas suffire : il faut développer l'offre de transport, ajouter des services», dit M. Gravel, qui croit que Québec doit convaincre les automobilistes de passer au transport collectif. «Pourquoi ça traîne ? Le gouvernement nous dit qu'il veut être prêt. Mais quand c'est trop tard, on n'est plus prêt.»