De maigres actifs totalisant à peine 18 M$ et une assurance en responsabilité civile de 25 M$. C’est tout ce que la Montreal, Maine & Atlantic Canada détient pour faire face aux poursuites qui s’accumulent contre elle après la tragédie de Lac-Mégantic, selon sa requête en vertu de la Loi sur les arrangements avec les créanciers des compagnies, qu'a consultée LesAffaires.com.
Cette procédure permet de lever le voile sur un bilan financier catastrophique. Dans le document, MMA reconnaît que la facture de décontamination «excèdera 200 M$».
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Le juge Martin Castonguay devrait émettre son ordonnance dans cette affaire jeudi matin. Une procédure similaire a été entamée aux États-Unis en vertu du Chapitre 11 du US Bankruptcy Code pour la compagnie mère, Montreal, Maine & Atlantic Railway.
«L’assureur en responsabilité civile, même s’il reconnaît ses obligations, maintient, à cause du nombre élevé de réclamations et des montants réclamés, qu’il ne peut pas payer le nettoyage environnemental au détriment des autres requérants, spécialement quand le montant des réclamations excède la limite de la couverture», mentionne la requête, déposée par les avocats du cabinet Gowling Lafleur Henderson, qui représentent MMA Canada.
La requête énumère les procédures entamées contre l’entreprise, ultimement détenue par une fiducie américaine liée à Ed Burkhardt. Elles comprennent non seulement le recours collectif engagé par les victimes au Québec, mais aussi 13 poursuites en dommages de masse (mass tort) engagées par certaines d’entre elles aux États-Unis, «dont 11 pour des montants excédant 1 M$».
Les recours incluent aussi les lettres de la municipalité de Lac-Mégantic, réclamant 7,8 M$ pour le nettoyage du centre-ville, et la mise en demeure du ministère du Développement durable, de l’Environnement, de la Faune et des Parcs pour forcer MMA à prendre la décontamination en charge.
Le CP et Western Petroleum Company
Le CP et Western Petroleum Company
En outre, de nombreux partenaires d’affaires réclament des sommes à l’entreprise. Même Western Petroleum Company, elle-même poursuivie par certaines victimes de la tragédie aux États-Unis, réclame de l’argent à MMA Canada pour la perte des fameux wagons DOT-111, qui lui appartenaient.
Le chemin de fer Canadien Pacifique, qui a acheminé les wagons de pétrole brut jusqu’à sa gare de triage de Montréal avant de les remettre à MMA, réclame 1 M$ pour «la location d’équipement et des réparations sur des wagons» et 660 460 $ pour «des convois qui ne se sont pas rendus à destination et de wagons vides qui [ne lui] ont pas été rendus».
En outre, le producteur de panneaux de particules Tafisa Canada a lui aussi fait savoir qu’il aurait des réclamations. Elle poursuit MMA pour son incapacité à livrer son produit à ses clients.
Créancier prioritaire
Créancier prioritaire
Le seul créancier prioritaire a une réclamation supérieure à la valeur totale des actifs de MMA Canada, en excluant sa couverture d’assurance. L’entreprise doit 27,5 M$ à la Federal Railroad Administration américaine, en vertu d’une garantie qu’elle lui a accordé pour une raison non spécifiée.
Le document mentionne aussi des sommes dues à des créanciers non garantis : 4,76 M$ en comptes payables et autres charges, en plus de 43,4 M$ en sommes dues à une «compagnie liée» («parent company»).
Finalement, MMA mentionne d’autres «créanciers non garantis potentiels», dont une portion non garantie de la dette à la Federal Railway Administration, et 6 M$ US de garantie pour une ligne de crédit en faveur de Wheeling and Lake Erie Railway Company, un autre chemin de fer que contrôle Ed Burkhardt aux États-Unis.
Pour avoir leur argent, les victimes de la tragédie et les autorités publiques devront donc s’armer de patience. MMA Canada demande la suspension des procédures contre elle pendant qu’elle se trouve sous la protection de la Loi sur les arrangements avec les créanciers des compagnies, comme le veut l’usage en de telles circonstances.
La requête demande aussi au juge de la Cour supérieure de suspendre les procédures contre les administrateurs de MMA Canada, lire Ed Burkhardt, visé personnellement par le recours collectif qu’ont déposé les victimes. «C’est accordé la plupart du temps», dit Bernard Boucher, avocat en insolvabilité au cabinet Blakes.
Les plaignants à l’origine des recours judiciaires contre MMA «vont devenir des créanciers dans le cadre du dossier de restructuration», explique-t-il. Ils devront discuter avec les autres créanciers pour proposer une entente au juge Castonguay, de la division commerciale de la Cour supérieure, chargé des procédures, ajoute l’avocat. «Normalement, la suspension des procédures judiciaires reste en place jusqu’à ce que les créanciers aient voté sur un plan.»
Dans le cadre de cette restructuration, la plupart des créanciers auront des «réclamations non liquidées», c’est-à-dire qu’elles ne seront pas encore déterminées clairement, puisque les recours judiciaires des victimes et des autorités publiques auront été interrompus, explique Bernard Boucher.
Le juge devra décider de l’importance relative qu’il accorde à ces créanciers par rapport aux créanciers garantis, au moment de voter sur le plan de restructuration.
Ed Burkhardt n'a pas rappelé LesAffaires.com. Il n'a pas été possible de joindre ses avocats chez Gowling.