Cet automne, Tesla lancera sa Model X, un VUS. D'ici 2017 s'ajoutera la Model 3, un véhicule plus abordable. Pendant ce temps, le réseau de stations de recharge se déploie en Amérique du Nord. Et l'an prochain, Tesla fabriquera elle-même ses batteries. Will Nicholas, directeur des relations gouvernementales, parle des défis du rôle de pionnier. Il participera à la conférence Momentum, organisée par Novae à Montréal le 24 septembre.
Diane Bérard - Qu'ont en commun Elon Musk et Henry Ford ?
Will NiCHOLAS - Henry Ford savait que pour vendre ses voitures, il lui faudrait investir dans un réseau de stations-service. Sans un accès facile et pratique au carburant, les Américains auraient hésité à se procurer l'innovation qu'était la voiture. Elon Musk sait qu'il ne peut se contenter de construire des voitures électriques. Il doit investir dans les infrastructures pour créer une demande. C'est le prix à payer pour être un pionner. Tout est à développer. Et c'est Elon Musk qui doit s'en charger jusqu'à ce que d'autres entrepreneurs y voient un avantage suffisant pour rejoindre le secteur du transport électrique. Alors, Elon pourra se concentrer sur les automobiles.
D.B. - La voiture électrique pose de nombreux défis, dont la recharge. Où en est ce dossier ?
W.N. - Le réseau se déploie depuis 2013. Il y a 220 stations de recharge (Superchargeurs) au Canada et aux États-Unis. On en trouve, entre autres, aux Promenades Drummondville. En 30 minutes, vous obtenez une recharge qui garantit 275 km d'autonomie. Chaque station comprend plusieurs bornes. En 2015, Tesla ajoutera de 50 à 70 stations.
D.B. - Recharger une Tesla dans vos 220 stations-service (Superchargeurs) est gratuit. Pourquoi ?
W.N. - C'est un pari. L'électricité coûte moins cher que l'essence. Nous estimons que les revenus tirés de la vente de véhicules compenseront largement le financement des recharges. En fait, cet investissement est déjà profitable.
D.B. - Parlez-nous du second réseau de recharge, les stations de destination.
W.N. - Pour accélérer la pénétration de la voiture électrique, le réseau de recharge traditionnel (stations Superchargeurs) ne suffira pas. Vous devez pouvoir recharger votre véhicule sur la route, lors d'un trajet entre Québec et Toronto, par exemple. Mais vous devriez aussi pouvoir le faire dans une multitude de lieux : à la maison, au restaurant, à l'hôtel, etc. Depuis 2014, nous déployons donc un réseau de stations de recharge de destination. On trouve ce type de stations dans les hôtels, par exemple. C'est le cas du Dominion, à Québec. Tesla offre l'équipement gratuitement à l'hôtelier. Cet équipement vaut 1 000 $. L'hôtelier paie les coûts d'installation et d'électricité. Le commerçant offre généralement le service de recharge gratuitement à ses clients. Et il fait payer ceux qui veulent en profiter mais qui ne résident pas à l'hôtel. Nous déployons le réseau de stations de destination depuis 2014.
D.B. - Comment Elon Musk a-t-il déterminé l'étendue des activités que Tesla ferait elle-même par opposition à ce qui serait réalisé par des partenaires ou des fournisseurs ?
W.N. - Elon ne pense pas ainsi. La mission de Tesla est d'accélérer l'adoption de modes de transport non polluants. Le moyen retenu est la construction d'automobiles. Mais ce moyen ne doit jamais nous faire perdre de vue notre mission. D'où l'impossibilité de fixer les limites de notre intervention. Nous observons le marché, nous écoutons les clients et nous posons les gestes pour remplir notre mission ultime.
D.B. - Parlons du nerf de la guerre, la batterie. Le stockage de l'énergie est loin d'être résolu.
W.N. - Nous planchons sur une batterie plus dense, capable d'emmagasiner plus d'énergie. Pour l'instant, il est possible de rouler pendant 400 km sans recharger la batterie. Nous visons entre 600 et 700 km. C'est un projet de 6 milliards de dollars américains que nous avons amorcé à la fin de 2014. Il implique la construction d'une gigantesque usine à Reno, au Nevada. Compte tenu de l'ampleur du projet, nous avons noué un partenariat avec Panasonic et des investisseurs privés. L'usine devrait entreprendre sa production en 2016. Nous voulons fabriquer le châssis de la batterie, mais aussi les cellules à l'intérieur.
D.B. - Impossible de démocratiser l'auto électrique sans démocratiser sa batterie...
W.n. - En effet, l'enjeu de la batterie ne se limite pas au stockage, au temps de recharge ni à l'autonomie du véhicule. Il tient aussi au prix. La batterie est la pièce la plus chère de l'auto électrique. Pour l'instant, une Model S se vend 70 000 $ US. Nos investissements en R-D devraient nous permettre d'abaisser le prix pour qu'il atteigne de 30 000 $ US à 40 000 $ US d'ici 2017.
D.B. - Une voiture électrique est aussi verte que l'électricité qui l'alimente. Or, 41 % de l'électricité mondiale est produite à partir du charbon.
W.N. - Tesla n'est pas un service d'utilité publique (utility). Notre rôle consiste à imaginer des solutions qui rendront les énergies de substitution plus attirantes. En avril 2015, nous avons lancé la Powerwall battery. C'est une batterie domestique que vous installez sur le côté de votre maison. Elle vous permet d'emmagasiner l'énergie générée par des panneaux solaires sur votre toit, par exemple. Ainsi, vous générez vous-même l'électricité qui alimente votre Tesla. La Powerwall protège aussi votre maison contre les pannes de courant en fournissant un approvisionnement ininterrompu en électricité. Nous avons créé une version industrielle de cette batterie, le Powerpack. Elle permet aux entreprises d'emmagasiner et d'utiliser l'énergie qu'elles génèrent grâce aux énergies renouvelables. Amazon et Target en ont installé.
D.B. - Le gouvernement américain donne un sérieux coup de pouce à Tesla.
W.N. - Washington exige que chaque constructeur produise une certaine proportion de véhicules moins polluants. Il accorde des subventions depuis plus de 10 ans. Comme 100 % des véhicules Tesla sont électriques, nous récoltons une bonne part de subventions.
D.B. - Quel est votre principal défi ?
W.N. - La distribution. Cinq États interdisent à un constructeur de vendre lui-même ses véhicules. Il faut le faire par l'intermédiaire d'un réseau indépendant. Cela ne convient pas lorsque vous vendez une innovation. Il y a trop d'éducation à faire.
D.B. - L'action de Tesla a été multipliée par quatre en deux ans. Cela met beaucoup de pression sur les employés.
W.N. - Disons qu'il y a des entreprises où la vie est plus facile. Chacun des 12 000 employés de Tesla a ses raisons d'y travailler. Moi, je suis un «tripeux» d'automobiles. Je veux contribuer au succès d'un constructeur américain d'automobiles propres.
D.B. - Elon Musk vous donne-t-il droit à l'erreur ?
W.N. - Nous sommes des pionniers. Le risque d'échec est inévitable. Elon nous l'a répété à maintes reprises. Mais il considère l'échec comme une issue possible et non l'ultime issue. L'échec fait partie du processus d'innovation, mais il ne doit pas en marquer la fin.
D.B. - Que faut-il pour travailler chez Tesla ?
W.N. - Il faut posséder un esprit critique développé et un très grand sens pratique. L'esprit critique sert à diagnostiquer les problèmes. Le sens pratique, à leur trouver une solution réaliste qui peut être déployée rapidement. Contrairement à ce que vous pouvez penser, Tesla ne compte pas que des rêveurs. Elle compte beaucoup de gens d'action.