Après des années de préparatifs, Air Transat s'apprête à mettre la dernière touche à son plan d'internalisation de ses petits porteurs, l'élément principal de la stratégie de transformation du voyagiste québécois.
D'ici deux semaines, la filiale aérienne de Transat AT assurera elle-même le transport pour l'ensemble des vols courts et moyens courriers, et cessera de ce fait de recourir aux services de transporteurs tiers, tels que CanJet, depuis 2009, et WestJet, de 2003 à 2009, pour ses vols vers le Sud.
Résultat : en plus d'épargner des dizaines de millions de dollars et de rappeler à l'ouvrage 500 agents de bord renvoyés à la maison après la forte saison des voyages vers le Sud, Air Transat se trouve depuis deux semaines en plein blitz d'embauches de quelque 150 agents de bord. «Lorsque nous aurons terminé, nous en compterons 1 800, soit la plus importante équipe d'agents de bord de toute l'histoire d'Air Transat», se réjouit son directeur général, Jean-François Lemay.
Cet ancien consultant de carrière de 54 ans est entré en poste il y a tout juste un an (en mai 2013), en remplacement d'Allen B. Graham, parti à la retraite. Il s'est alors vu confier la tâche d'orchestrer la transformation imaginée pour le transporteur, à compter de la fin de 2011.
Aux prises à l'époque avec d'importantes pertes financières et une dégringolade de son titre en Bourse, la direction avait ordonné un train de douloureuses mesures visant un retour rapide à la rentabilité du groupe. Outre l'aplanissement des structures organisationnelles et plus d'une centaine de mises à pied à tous les échelons de l'organisation, le voyagiste entreprend alors une vaste révision de ses façons de faire afin de réduire ses coûts de 75 M$, soit environ 2 % de ses revenus annuels.
Parmi les mesures envisagées, s'impose rapidement la possibilité pour Air Transat de rapatrier sous son aile les services de transport par avion à fuselage étroit (des Boeing 737-800), jusque-là assurés par des tiers. Contrairement à sa flotte de 21 Airbus (A310 et A330), des grands porteurs de 245 à 345 sièges adaptés aux voyages transatlantiques, les plus petits porteurs conviennent mieux aux courtes et moyennes distances des destinations soleil.
En plus d'être chers à exploiter, les pilotes d'Air Transat n'étaient pas autorisés à piloter ces Boeing d'environ 190 sièges. Des changements majeurs dans l'industrie amènent toutefois le transporteur à envisager malgré tout l'option du rapatriement des vols assurés par des Boeing. «On a constaté que la croissance des transporteurs low cost [à faibles coûts] avait provoqué en Europe une suroffre de Boeing 737 pendant l'hiver, justement les mois où nous en avons le plus besoin ici pour assurer nos vols vers le Mexique et les Caraïbes. Et la beauté de la chose est que, comme il y a maintenant abondance de ces avions, leurs frais de location ont chuté de près de la moitié par rapport à 2009 !»
Il n'en fallait pas plus pour qu'en avril 2013, après des concessions obtenues de l'ensemble de ses syndiqués, dont le report à 2015 des augmentations salariales prévues, Transat décide de mettre fin à l'externalisation saisonnière et de confier à Air Transat la responsabilité des vols vers le Sud.
«On a toujours agi en parfaite transparence», répond M. Lemay lorsqu'on l'interroge sur la façon dont la direction était parvenue à obtenir une telle collaboration de ses «partenaires syndicaux». «Nous sommes transparents, on explique les choses comme elles se présentent et on propose plutôt que d'imposer.»
Du coup, Transat annonçait en juillet la signature d'un contrat de location de quatre B737-800 avec l'américaine International Lease Finance Corporation (ILFC), suivie en septembre d'une entente de cinq ans pour la location saisonnière de huit de ces mêmes appareils avec Transavia France, une filiale aérienne du groupe Air France/KLM.
Transat lance aussi un nouveau programme de formation de 1,5 M$ afin de permettre à près de 150 de ses 435 pilotes déjà entraînés pour les avions Airbus de se qualifier également pour le pilotage d'avions Boeing.
L'ensemble de ces mesures permettra au transporteur de réaliser des économies annuelles de 30 M$, soit de 7 % à 8 % de ses coûts d'exploitation actuels et un peu moins de 1 % de ses revenus de 3,6 milliards de dollars en 2013.
«Ça ne semble pas beaucoup, 1 % d'économies. Mais lorsqu'on sait que les marges bénéficiaires nettes d'une entreprise comme Transat varient de 1,5 % à 2 %, c'est énorme», fait valoir M. Lemay, ajoutant avoir peu de doutes sur le fait que la marge connaisse une remontée dès 2015.
Stabilisation du niveau d'emploi
En plus d'engranger des économies de taille (30 M$ des 75 M$ envisagés pour l'ensemble du groupe), cette mesure devrait entraîner une stabilisation du niveau d'emploi. Terminé, donc, les mises à pied par centaines pour faire place chaque année aux pilotes et agents de bord d'un autre transporteur, promet Jean-François Lemay. En plus de rappeler son personnel régulier (une soixantaine de pilotes et plus de 500 agents de bord), Air Transat s'est remise sur le mode du recrutement : elle a en effet accru de quelque 10 % la taille de son personnel, soit 35 pilotes et 150 agents de bord.
Enfin, cette flotte dite «accordéon» lui procurera un avantage commercial en lui offrant la flexibilité d'ajuster le nombre de ses appareils selon les saisons et l'évolution des besoins. En plein ce qu'il fallait, selon M. Lemay, pour répondre efficacement à la concurrence des Rouge, WestJet, Sunwing et autres qui continueront de tenter de lui ravir son marché.
«Parvenir à avoir le bon appareil, en bon nombre, sur le bon marché... Nous travaillons sans relâche depuis des mois, mais ce que nous ferons est absolument unique au pays.»
Air Transat transporte trois millions de passagers par année. Au terme de sa transformation, elle compte 2 235 employés, dont 1 800 agents de bord et 435 pilotes.