Les dizaines d’études d’impacts produites chaque année pour mesurer les retombées économiques d’événements, festivals ou attractions touristiques au Québec n’ont, à peu de chose près, aucune crédibilité.
Ce jugement sévère est celui de l’économiste Jean-Marc Bergevin, lui-même président du Bureau d’études stratégiques et techniques en économique (BESTE), l’une des plus importantes sociétés se spécialisant dans ce genre d’études au Québec.
L’homme d’affaires s’exprimait ainsi hier après-midi (24 septembre) au Palais des congrès de Montréal, à l’occasion d’un symposium organisé par la Chaire de tourisme Transat de l’UQAM. Son allocution a eu l’effet d’une douche froide sur l’auditoire d’une centaine de personnes, dont plusieurs responsables de festival, pointés comme souvent complices du problème.
Méthodologies douteuses
Les études d’impact économique permettent de mesurer l’effet des dépenses de visiteurs sur de nombreuses variables économiques, dont l’emploi, la rentabilité des entreprises, la fiscalité, etc. Les organisateurs d’événements et de festivals se servent de ces résultats pour appuyer leurs demandes d’aide financière aux gouvernements, alors que les gouvernements les utilisent pour justifier leur utilisation de fonds publics.
Le problème, selon M. Bergevin, est que cette industrie évolue dans un monde sans règle, où chacun peut s’improviser spécialiste en calcul de retombées économiques, et utilise sa propre méthodologie, le plus souvent dictée par la quête des plus grandes retombées possibles pour les clients (responsables de festivals, événements et autres attractions).
C’est ainsi que sont apparues au cours des dernières années des «pratiques douteuses, voire carrément non conformes aux théories économiques les plus élémentaires», dit-il. Des pratiques, ose-t-il, à la limite de l’éthique professionnelle des économistes qui produisent des résultats peu fiables, outrageusement gonflés, à la limite du mensonge.
À titre d’exemple, il soutient que la plupart, si ce n’est la totalité des entreprises oeuvrant dans le domaine au Québec, ajoutent à tort, une part importante (50%) des dépenses des visiteurs dits non centrés (venus qu’en partie pour prendre part à l’événement) et la totalité (100%) des dépenses d’organisation, dans le calcul de leurs retombés économiques.
Or, ce qui peut paraître comme un détail méthodologique n’a rien d’anodin. Tableaux à l’appui, le président de BESTE a démontré à l’auditoire comment un festival X a ainsi réussi à tripler ses retombées économiques et un événement Y a réussi à les quadrupler, sans que personne, du moins officiellement, n'ait soulevé le moindre doute.
Aveuglement volontaire
«Je ne suis pas mieux que les autres, admet M. Bergevin, lequel se défend de vouloir faire la leçon à ses homologues de l’industrie. J’ai déjà perdu des clients importants pour de telles considérations méthodologiques. Mais plus maintenant. J’ai fini par faire comme tout le monde et mesurer les retombés économiques comme on le fait nulle part ailleurs.»
Malheureusement, en l’absence de méthodologie unique dans l’industrie, la population, comme d’ailleurs l’ensemble des décideurs -du privé ou des gouvernements-, se retrouvent dans le noir, mal informés, incapables de comparer la performance des différents produits touristique entre-eux, et de mesurer ainsi lesquels contribuent le plus à l’atteinte des objectifs des pouvoirs publics Québec en matière de tourisme.
«Cela n’a plus de bon sens», se désole M. Bergevin, qui reconnaît la complicité plus ou moins tacite de la plupart des acteurs de l’industrie ans ce domaine. «L’Institut de la statistique du Québec (ISQ), les organisateurs d’événements et Tourisme Québec sont parfaitement au courant de la situation. Je le dis depuis 1998. Mais rien ne change; c’est le statu quo.»
Corriger le tir
Pour rétablir la crédibilité des études d’impact économique au Québec, ce dernier juge urgent que soit imposé un guide méthodologique à l’industrie et que ce guide soit reconnu et appliqué par tous les membres de l’industrie.
Le maître-d’œuvre d’un tel projet n’importe guère. Tourisme Québec, la Chaire de tourisme de l’École de gestion de l’UQAM, ou encore l’Association des économistes du Québec pourraient tous, ensemble ou individuellement, décider d’en prendre la responsabilité, à son avis. «Je serais prêt à travailler bénévolement s’il le fallait. Mais de grâce, corrigeons le tir et rétablissons notre crédibilité.»
Plus tôt, Clara Van der Pol, spécialiste des questions de statistiques à l’Organisation mondiale du tourisme (OMT), à Madrid, a insisté sur le fait que l’industrie touristique avait tout avantage à peaufiner ses outils de mesure si elle désirait accroître sa crédibilité parmi les autres secteurs de l'économie.«Le respect de l’industrie touristique grandit avec la qualité de ses outils de mesure.»
Des études peu fiables
Abondant dans le même sens, un représentant de l’Institut de la statistique du Québec (ISQ) a invité l’industrie à la plus grande minutie lorsque vient le temps de transmettre des données à l’organisme. «Les dépenses touristiques ne sont pas égales aux retombées économiques et encore moins aux bénéfices des organisateurs de festivals. (…) En d’autres termes, si vous nous fournissez des vidanges, il y a de bonnes chances qu’on se retrouve au final également avec des vidanges», a illustré Sébastien Gagnon, de la direction des statistiques économiques et du développement durable de l’ISQ.
Plus tôt, le professeur-chercheur australien le plus souvent cité dans le monde sur la question des retombées économiques dans l’industrie touristique a déclaré, sans se prononcer spécifiquement sur la situation québécoise, que la plupart des études économiques étaient déficientes à divers degrés.
«En général, les études produites sur la planète pour tenter de mesurer l’impact économique de l’activité touristique sont mal faites et peu fiables», a déclaré Larry Dwyer, professeur de l’Autralian School of Business de la Université de New South Wales.
Passant en revue les différentes méthodologies utilisées sur la planète pour mesurer l’impact de l’activité touristique, le professeur a vanté le modèle intersectoriel, qui à défaut de produire des montants spectaculaires, a le mérite de fournir des résultats plus réalistes.
C’est ainsi, a-t-il expliqué, qu’au lieu des retombés mirobolantes promises aux Anglais avant les Jeux Olypiques de Londres, le plus grand événement sportif de la planète n’aura contribué, somme toute, qu’à une augmentation de 0,066% du PIB britannique.
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