Bordélique ! Chaotique ! Dément ! Malade !
Fidèle à lui-même, Gilbert Rozon n'y va pas par quatre chemins pour qualifier son plan de match en vue de dynamiser l'industrie touristique montréalaise. «Ça prendrait deux à trois fois plus de festivals à Montréal, tous concentrés sur deux mois pendant l'été. Soixante jours bordéliques !» explique le président du Festival Juste pour rire au cours d'une entrevue d'une heure pendant laquelle il a lu de nombreux textos et redressé quelques cadres sur les murs de son bureau qui en sont complètement couverts.
«On a tout ce qu'il faut pour réussir : le bilinguisme, le fleuve, une place des Festivals fantastique, etc. Il faut pouvoir dire aux Américains : "L'été, c'est à Montréal que ça se passe, pas à New York !"»
«Édimbourg l'a fait en Europe et elle a moins d'atouts que Montréal, poursuit M. Rozon avec son enthousiasme communicatif. On peut devenir l'Édimbourg de l'Amérique du Nord, en mieux.» N'allez pas parler de nos grands espaces à Gilbert Rozon pour attirer les touristes. «Une ville, c'est comme un festival ; si vous offrez toujours le même spectacle, les gens ne viendront plus. Il faut renouveler le produit. C'est la même chose pour Montréal, New York, Paris, ou n'importe quelle autre ville. Si le Louvre présentait toujours la même exposition, ça ne marcherait pas.»
Mais s'il y avait deux à trois fois plus de festivals, le Festival Juste pour rire aurait plus de concurrence, lui avons-nous fait remarquer. «À court terme, c'est vrai, mais à long terme, avec la masse critique que ça créerait, il viendrait plus de touristes à Montréal et tout le monde en profiterait, moi compris.
«Moi, je ferais ça complètement malade l'été. Les retombées équivaudraient à 10 ou 15 Grand Prix. Il y a plus de 40 spectacles sur Broadway à New York ; personne n'a jamais dit que c'était trop !»
Un incubateur pour les entrepreneurs de festivals
M. Rozon y croit tellement qu'il estime qu'il faudrait mettre sur pied un incubateur pour les jeunes entrepreneurs de festivals. Et il serait prêt à mettre l'épaule à la roue sans hésitation. «Chaque jeune qui démarre un festival ajoute à l'attractivité de Montréal, et beaucoup de gens en profitent. Quand je vends un billet, c'est peut-être moins de 10 % des dépenses que fera l'acheteur.
«Quand nous [lui et d'autres créateurs de festivals de sa génération] étions jeunes, il y avait une réelle volonté de bâtir quelque chose, et nous avons été encouragés et soutenus. Aujourd'hui, on ne parle que de la dette et du déficit. Il faudrait trouver un moyen d'aider les jeunes à se lancer en affaires dans le domaine des festivals. Il faudra bien qu'on passe le flambeau ; on n'est pas éternels !»
M. Rozon, qui a présidé le Comité performance de l'industrie touristique, privilégie la concentration sur une période de deux mois, «pour être sur l'écran radar de tous les pays». Mais il n'écarte pas le fait qu'il y ait deux périodes de «pure folie», une l'été et l'autre l'hiver.
M. Rozon est lui-même passé de la parole aux actes. Il y a trois ans, Juste pour rire a créé Bouffons Montréal, un festival de bouffe de rue.
Juste pour rire est également derrière Zoofest qui, d'une certaine façon, lui fait de la concurrence. «J'aime ça, ça nous oblige à être meilleurs !» Zoofest est un festival de divertissement marginal en tout genre, un tremplin pour plus de 250 artistes inconnus qui ont ainsi l'occasion de se faire connaître et de passer éventuellement à Juste pour rire.
Cet été, M. Rozon lancera le Mondial des jeux Loto-Québec. Jeux de société, comme les dames et les échecs, mais aussi jeux vidéo. Comme le Mondial se déroulera pendant le Festival juste pour rire (du 12 au 26 juillet), il représente une belle occasion pour ce dernier de rajeunir sa clientèle.
Ne pas avoir peur de se tromper
«On pourrait aussi avoir à Montréal un festival d'opéra, un festival pour enfants, un autre d'art contemporain, un de sport, etc. Et il ne faut pas avoir peur de se tromper ; ce sont ceux qui restent qui comptent. Qui aurait cru que des événements comme Fantasia, Igloofest et Piknic Electronik marcheraient ?
«Et il faut donner du temps au temps ; après 15 ans, Montréal en lumière est devenu très bon, mais ça n'a pas commencé sur les chapeaux de roues.»
Multiplier les festivals, c'est ce qui se trouve au coeur du plan de Gilbert Rozon afin de dynamiser l'industrie touristique montréalaise.
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Davantage de revenus de l'étranger
«Dans notre domaine, les nouvelles technologies ont fortement contribué à fragmenter le marché, comme pour les médias, explique Gilbert Rozon. Et la fragmentation a amené une baisse de revenus publicitaires pour nos clients, ce qui a un impact sur nous, évidemment. De plus, l'offre de divertissement sur les différentes plateformes s'est considérablement accrue, et donc nos clients ont beaucoup de choix pour moins cher. Mais ma stratégie reste la même : tout mettre sur le produit et l'adapter à différentes plateformes.»
Des 100 millions de dollars de revenus de la société Juste pour rire, la moitié vient de l'extérieur du Québec : deux millions de visionnements par jour sur YouTube, des produits vendus à des chaînes de télévision dans 155 pays et à 85 compagnies aériennes, etc. «J'aimerais bien augmenter ma part de revenus provenant de l'étranger», avoue l'homme d'affaires.
Des revenus totaux, 45 % proviennent du Festival Juste pour rire et 55 %, de bureaux à New York, Londres, Paris, Los Angeles et ailleurs, qui produisent des comédies musicales. «On est coproducteurs d'un paquet de spectacles à New York et à Londres», précise M. Rozon. Comme ces trois comédies musicales de Broadway : Kinky Boots, Rocky, qui démarre ce mois-ci, et Bullets Over Broadway, écrite par Woody Allen, qui commence en avril.