Costume sombre, cravate rouge, le regard inquisiteur. Jean-Pierre Desrosiers fronce les sourcils, au-dessus d'un important dossier.
À première vue, rien ne distingue l'associé de 61 ans de ses collègues avocats. Comme eux, il travaille de longues heures dans les bureaux feutrés de Fasken Martineau, tout en haut de la Tour de la Bourse, au centre-ville de Montréal.
Pourtant, sa seule présence parmi les juristes est inusitée. " C'est que je ne suis pas avocat, je suis comptable agréé ", lance d'emblée Jean-Pierre Desrosiers.
Chez KPMG pendant 30 ans, il a été l'associé directeur de cette firme comptable de 1988 à 2008.
En le nommant associé, le 18 octobre dernier, Fasken Martineau a pris une initiative peu commune. L'actionnariat des cabinets est normalement réservé aux personnes de loi.
Mais que fait donc un comptable chez les avocats ?
" Je m'occupe de mettre au point des stratégies de marché, d'aider au développement des affaires du cabinet et de participer au mentorat des jeunes associés ", explique M. Desrosiers.
Les fusions et acquisitions, pourtant sa spécialité, seront un aspect secondaire de son travail, ajoute le nouveau rainmaker (faiseur de pluie) de Fasken. Cette expression, utilisée par les avocats pour désigner la personne qui amène de gros clients au cabinet, cadre bien avec les nouvelles fonctions de M. Desrosiers.
Le développement des affaires occupe déjà une bonne partie du temps du comptable, affirme M. Claude Auger, avocat et associé directeur de Fasken Martineau pour la région de Québec.
" Jean-Pierre doit avoir un carnet d'adresses de 8 000 noms ", blague à peine M. Auger.
Son vaste réseau de contacts a déjà permis à Fasken de rencontrer d'importants clients potentiels. " À l'invitation de M. Desrosiers, ils ont accepté de venir à notre cocktail annuel en droit immobilier du 4 novembre ", dit-il.
Des conseils stratégiques
Le cabinet pancanadien Osler Hoskin & Harcourt a aussi fait le pari de nommer une non-juriste à un poste clé.
En septembre 2009, M. Shahir Guindi, avocat et associé directeur du bureau de Montréal, a embauché l'ex-ministre des Finances du Québec, Monique Jérôme-Forget.
À 70 ans, la dame de fer se plaît beaucoup dans son rôle de conseillère spéciale, un titre habituellement réservé à des avocats principaux en fin de carrière.
" Par comparaison à la politique, c'est le jour et la nuit. Il n'y a pas d'opposition ici ", dit Mme Forget, un sourire dans la voix.
Son expérience chez les avocats est très positive, affirme-t-elle.
" Les gens ici me demandent conseil et se montrent intéressés par ce que je dis ", ajoute Mme Forget.
Selon M. Guindi, sa recrue fournit des conseils stratégiques aux clients du cabinet, en financement d'entreprise, en stratégies de négociation et en stratégies de croissance nationale et internationale.
Un regard neuf
L'expérience en affaires, en comptabilité et en politique intéresse les grands cabinets d'avocats, explique Caroline Haney, avocate et associée de la firme Haney Recrutement juridique : " La nomination de non-juristes permet aux cabinets de jeter un regard neuf sur les dossiers de droit et d'offrir une valeur ajoutée aux clients. "
Par exemple, avec son mentorat, Jean-Pierre Desrosiers aidera les jeunes avocats de Fasken à résoudre les problèmes différemment.
" La solution juridique n'est pas toujours la meilleure solution d'affaires ", explique M. Claude Auger.
Même son de cloche chez Osler. " Les clients veulent plus que du conseil juridique. Ils veulent du conseil d'affaires. Voilà ce que Mme Jérôme-Forget nous aide à offrir ", dit M. Guindi.