Merck : perte de 180 emplois à la suite de la fermeture du centre de recherche thérapeutique de Kirkland ; MDS : 225 emplois perdus dans la recherche contractuelle à Montréal ; Sanofi Aventis : disparition de 35 postes au siège social de Laval. Les mauvaises nouvelles se succèdent depuis plus d'un an dans l'industrie biopharmaceutique québécoise.
Le mal n'est pas nouveau. De 2003 à 2009, le Québec a perdu 42 % de ses entreprises en sciences de la vie, selon une étude de la firme Ernst & Young. L'hémorragie s'est toutefois accélérée au cours des deux dernières années, en raison de la crise économique. Des 85 entreprises de biotechnologie enregistrées chez BioQuébec en 2008, près de la moitié ont disparu. Le nombre d'emplois est passé d'environ 4 000 à près de 2 000 dans le secteur.
" Les entreprises les plus faibles ont disparu. Les plus solides sont acquises par des intérêts étrangers. Si cela continue, le secteur sera en grand danger ", résume Paul Karamanoukian. Le leader canadien du secteur des Sciences de la vie chez Ernst & Young dresse un portrait sombre de la situation. " Le développement et le lancement des produits ne se font plus ici. Il n'y a pas eu d'émissions publiques au cours des trois dernières années. On n'a pas de compagnies naissantes. Seules les plus matures peuvent aller chercher de l'argent, mais elles n'arrivent pas à lever des montants suffisants pour progresser. "
Les biopharmas à sec
Même pessimisme chez Yves Rosconi, président de BIOQuébec. " Près de la moitié des entreprises risquent de disparaître à brève échéance si on ne prend pas les mesures nécessaires ", prévient-il. Le grand responsable : le manque de financement. " La crise économique a provoqué une rareté du capital de risque ", souligne-t-il.
Le manque de fonds était au coeur des discussions des intervenants québécois des biotechs réunis début octobre dans le cadre de BioContact. " On manque cruellement de capitaux pour soutenir les biopharmas au Québec. Pourtant, il y a de l'argent à faire. L'investissement initial de 15 millions de dollars [M $] dans Biochem Pharma vaut près de 6 milliards aujourd'hui ", affirme Martin Godbout, président de l'événement.
Les succès comme celui de Biochem sont cependant trop rares, ce qui contribue à décourager les investisseurs, explique-t-il. En effet, développer un médicament coûte jusqu'à 300 M $ et demande une quinzaine d'années.
S'allier ou mourir
Ce n'est pas Fernand Labrie qui dira le contraire. Le fondateur d'EndoCeutics, chercheur au Centre hospitalier de l'Université Laval, vient de signer un partenariat de 330 M $ avec Bayer pour commercialiser le Vaginorm, un médicament qui traite la dysfonction sexuelle chez les femmes ménopausées. M. Labrie a investi à ce jour 160 M $ à même les fonds générés par ses autres découvertes sur le traitement du cancer de la prostate depuis une vingtaine d'années pour réaliser les études de phases 1 et 2 du produit.Il avait impérativement besoin d'un allié pour accélérer la commercialisation. " Les risques sont élevés. Il faut amener le produit assez loin avant d'obtenir de l'aide. Cela demande beaucoup de soutien financier, et c'est ce qui manque actuellement ", observe le chercheur.
C'est également le désert en matière de financement public. Depuis 2003, le gouvernement du Québec s'est retiré massivement du capital de risque. La Stratégie biopharmaceutique québécoise annoncée en octobre 2009, qui bénéficiera de près de 123 M $ sur trois ans, suscite beaucoup d'espoir, mais elle ne s'est pas encore concrétisée. " Le nouveau fonds AmorChem, qui dispose de plus de 40 M $ à investir dans le prédémarrage d'entreprise, un des maillons faibles de la chaîne, se fait toujours attendre ", souligne M. Godbout.
Avantage concurrentiel
Malgré ces difficultés, tout n'est pas perdu pour le secteur des biopharmas québécoises. Avec 145 entreprises recensées par le ministère du Développement économique, de l'Innovation et de l'Exportation, le Québec occupe le quatrième rang de cette industrie en Amérique du Nord.
Toutefois, cet avantage concurrentiel menace de s'effriter face au dynamisme de certains pays, comme l'Allemagne et l'Australie, qui se sont dotés de politiques fiscales très alléchantes pour attirer les petites sociétés innovatrices, observe M. Rosconi. Pour rester dans la course, il suggère au gouvernement du Québec de faire pression sur les grandes sociétés pharmaceutiques. " Le Québec achète pour près de 2,7 milliards de dollars chaque année en médicaments. Il doit utiliser ce levier pour inciter les grandes entreprises du secteur à investir une partie de ces retombées dans les petites boîtes de biotechs au Québec ", estime-t-il.
Renforcer le secteur québécois des biopharmaceutiques est une question de survie dans la perspective de l'arrivée prochaine des pays émergents dans cette industrie. Demain, les concurrents ne seront plus Vancouver et Toronto, mais Bangalore et Shanghai. GlaxoSmithKline, entre autres, a annoncé son intention de cibler les nouvelles classes moyennes en Asie et au Moyen-Orient. Le Québec doit donc fourbir ses armes s'il ne veut pas manquer le prochain train.