Denis Millette en a vu des catastrophes naturelles au cours de sa carrière. Mais en milieu urbain et aussi émotive qu’à Lac-Mégantic, jamais !
Néanmoins, des milliers de personnes vivant autour du lac Mégantic et sur les rives de la rivière Chaudière doivent à l’hydrogéologue de Golder Associés d’avoir encore de l’eau potable.
Ce qui a valu à sa firme d’être lauréate aux derniers Grands Prix du génie-conseil québécois, catégorie Environnement.
Tôt le lendemain du déraillement du train, le dimanche 7 juillet 2013 pour être précis, la compagnie MMA cherche un consultant en environnement pour limiter les dégâts causés par l’écoulement du pétrole contenu dans ses wagons, en plein centre-ville de Lac-Mégantic. MMA téléphone au CN qui lui recommande d’appeler Golder, laquelle a réalisé plusieurs mandats pour lui.
Logiquement – c’est lui « l’expert en sinistre » chez Golder –, le téléphone sonne chez Denis Millette. Il ramasse quelques effets personnels, monte dans sa voiture et arrive à Lac-Mégantic. On lui attribue le numéro 415. Après avoir franchi plusieurs barrages – la sécurité est optimale –, il arrive au centre-ville en fin d’après-midi. « J’ai trouvé que la bouchée était grosse à avaler », raconte le jovial ingénieur et agronome.
Il y a longtemps que les catastrophes en milieu naturel n’empêchent plus M. Millette de dormir : dans la nature, il est facile de prévoir quelle trajectoire va prendre le pétrole. Mais en ville, c’est une autre histoire. Il y a les égouts, surtout les égouts, mais aussi tous les trous, fosses, cavités, excavations, puits, etc. par lesquels le pétrole peut trouver son chemin jusqu’au lac ou à la rivière.
Une des tâches essentielles de M. Millette sera justement de consulter tous les documents pertinents de la Ville pour se faire une idée la plus précise possible de la configuration de son sous-sol. Son travail sera grandement compliqué par le fait que le centre-ville de Mégantic est une scène de crime et qu’il ne faut pas interférer avec le travail des policiers.
Malgré l’urgence de la situation, il est hors de question de négliger l’aspect santé et sécurité du travail, avec lequel d’ailleurs Golder ne rigole pas. À notre arrivée à ses bureaux du boulevard De Maisonneuve, à Montréal, on nous a remis un dépliant sur les mesures de sécurité en cas d’urgence. « Des psychologues de Golder me téléphonaient à Mégantic pour s’assurer que je n’étais pas trop fatigué », raconte M. Millette.
Une firme spécialisée prend régulièrement des mesures de la qualité de l’air.
Heureusement (!), les analyses révèleront qu’il s’agit de pétrole léger, six millions de litres en tout ; les bactéries dans le sol sont incapables de digérer l’huile lourde, mais adorent bouffer les molécules légères, de sorte qu’il en reste moins à récupérer.
Peu de temps après son arrivée sur les lieux, M. Millette demande à parler aux gens de MMA. La rencontre a lieu à 19 heures au sous-sol surchauffé de l’hôtel de ville. Il y est beaucoup question de démanteler les wagons.
Il se fait tard et M. Millette s’est presque fait à l’idée qu’il devra dormir dans sa voiture, les hôtels de la ville étant tous occupés par l’armée de secouristes et d’experts accourus sur les lieux. Certains devront aller coucher à Sherbrooke. À 23 heures, l’ingénieur tente un dernier coup et se rend à l’hôtel Quiet ; la chance lui sourit, une chambre vient de se libérer. « J’ai été chanceux ; pendant les six mois que j’ai passés à Mégantic, je n’ai jamais eu à dormir dans ma voiture. »
S’alimenter n’est pas simple non plus dans une ville en plein chaos : le premier soir, M. Millette va manger à l’Armée du salut avec les pompiers. Puis, pendant plusieurs jours, il doit se contenter des noix et des fruits secs achetés chez Maxi et du chocolat de Costco. « Heureusement, on a été “sauvés” ensuite par le Marché Lavallée qui nous a fait quantité de bons petits lunchs. »
La première nuit sera courte, puisqu’une réunion a lieu à 6 heures. Il y en aura d’ailleurs des dizaines et des dizaines dans les semaines qui suivront. Il faut bien sûr coordonner tous ces spécialistes et secouristes venus d’horizons différents.
En passant, malgré l’ampleur de la catastrophe, son caractère imprévisible, sa grande émotivité et l’éloignement des grands centres urbains, M. Millette se dit agréablement surpris du déroulement de l’opération de secours. « Ça roulait très bien. Le ministère de l’Environnement est bien organisé ; j’ai été impressionné. »
Au cours de notre entrevue, M. Millette aura plusieurs trous de mémoire. « Il paraît que c’est normal, explique-t-il. Quand les événements se bousculent, on en perd des bouts. Mais la mémoire revient progressivement deux à trois ans plus tard. »
Rapidement, les travaux débutent sous la supervision de M. Millette et de son équipe, en collaboration avec Urgence-Environnement, le swat du ministère du Développement durable, de l’Environnement et de la Lutte contre les changements climatiques : boucher les égouts ou les détourner, entourer les puisards de sacs de sable, creuser des tranchées et des étangs redondants pour récupérer le pétrole, etc. Tout pour empêcher l’huile et ses contaminants de se rendre jusqu’au lac Mégantic et à la rivière Chaudière, auxquels s’abreuvent plusieurs municipalités riveraines.
Dans la chaleur de l’été, il faut déjà penser à l’automne et à ses pluies saisonnières ainsi qu’à la fonte des neiges printanières. Autant de phénomènes naturels qui risquent de faciliter l’écoulement du pétrole vers le lac et la rivière.
Tout va aussi bien que possible dans les circonstances quand une autre mauvaise nouvelle tombe, le 8 août : MMA, la société ferroviaire avec laquelle Golder a signé un contrat, s’est placée sous la protection de la Loi sur les arrangements avec les créanciers des compagnies. Ceux qui sont dans la même situation se demandent s’ils seront payés pour leurs services. Mais l’inquiétude ne durera que deux ou trois heures, jusqu’à ce que le gouvernement du Québec fasse savoir qu’il garantit tous les paiements.
En tout, 230 employés de Golder – plusieurs venant de l’extérieur du Québec – ont été affectés au projet Mégantic et plus de 150 se sont rendus sur place, du début de juillet à la mi-décembre, au moment où la firme a achevé son mandat. Golder a dû louer quatre roulottes pour fournir des aménagements à son monde.
Golder Associés
Fondation : 1960
Siège social : aucun
Bureau du président international : Vancouver
Bureau du président national : Calgary
8 000 employés dans 39 pays
245 employés dans 6 bureaux au Québec, dont 82 ingénieurs
Actionnaires : les employés (aucun ne détient plus de 1 % des actions)