Selon vous, quelles langues causent, ces temps-ci, le plus de maux de tête aux cabinets de traduction professionnels du Québec (et du pays) ? Le mandarin, le russe, le portugais, l'hindi ? Pas du tout. Un indice ? Pensez Plan Nord !
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Depuis trois ans, face à la demande croissante liée au développement des projets miniers dans le Nord, les cabinets de traduction professionnels s'arrachent les cheveux pour trouver des experts aptes à traduire des documents dans les quelque 90 dialectes autochtones qui existent au pays. Conséquence : les prix ont explosé.
« On est passé de 25 cents à plus de 1,25 $ du mot en trois ans. L'augmentation est tellement rapide que les clients font souvent le saut devant le montant de leur soumission », soulève Maryse Benhoff, présidente fondatrice de BG Communications, une firme de Montréal.
D'un contrat par an il y a quelques années, ce cabinet réalise actuellement jusqu'à deux contrats de traduction de langues autochtones par mois. « Ce sont principalement les langues inuites, tel l'inuktitut, celle du Labrador, l'inuinnaqtun ainsi que l'ojibway et les quelques dialectes cris (oji, swampy, moose et celui du Nord-du-Québec) qui nous sont demandés », explique la traductrice. Des langues, précise-t-elle, qui présentent autant de subtilités qu'il y a de communautés. Une complexité qui augmente le degré de difficulté à trouver de bons traducteurs.
Une clientèle diversifiée
Qui sont les clients qui recourent à ces services ? Principalement les deux ordres gouvernementaux (fédéral et provinciaux) ainsi que les entreprises du secteur des ressources naturelles (minières, pétrolières et sociétés du domaine de l'énergie) qui ont besoin de ces traductions pour mener à bien leurs projets. Pour mesurer l'importance du phénomène, il suffit de jeter un coup d'oeil au site Web de l'Association minière du Québec. Il contient de l'information traduite en quatre langues autochtones : cri, inuktitut, algonquin et innu.
Les gouvernements, fédéral et provinciaux, ainsi que les entreprises privées doivent établir des ententes, négocier des droits de passages pour réaliser leurs projets dans le Nord.
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Une hausse de 5 % en 2014-2015
Le Bureau de la traduction, l'organisme responsable d'offrir des services dans les langues officielles au Canada, indique que la demande de traduction vers les langues autochtones est constamment en hausse. En 2014-2015, elle a augmenté de 5 %, atteignant près de 6 700 demandes, dit le service des communications des Travaux publics et services gouvernementaux Canada.
À cela, il faut ajouter des universitaires qui réclament ces services pour leurs études doctorales et quelques délégations internationales, notamment de l'Europe.
La demande est en hausse ici aussi de la part de plusieurs organisations. Depuis deux ans, le Bureau d'information touristique de Val-d'Or fait traduire en cri quelques phrases de sa publicité insérée dans la publication crie The Nation, destinée aux communautés du Grand Nord. « Pour nous, cela constitue une marque de reconnaissance envers cette importante clientèle touristique qui représente un visiteur sur trois. C'est aussi une façon de se démarquer des autres régions de la province », indique Nancy Arpin, directrice de Tourisme Val-d'Or.
Transmission par voie orale
Les demandes de traduction ne se limitent pas à des lettres et autres communications d'introduction. « Par exemple, on nous demande de traduire des manuels d'instructions pour de la machinerie. Tout document qui permet au personnel inuit, moins à l'aise avec l'anglais, d'effectuer ses tâches au sein des entreprises », explique Maryse Benhoff. Ces experts en traduction sont une denrée rare, ce qui fait grimper le prix de leurs services. L'Ordre des traducteurs, terminologues et interprètes agréés du Québec (OTTIAQ) explique que ce sont des langues traditionnellement transmises de génération en génération par voie orale. Par conséquent, elles possèdent peu de bagage écrit. « C'est une question d'offre et de demande, avance Réal Paquette, président de l'OTTIAQ. Pendant des années, la demande a été marginale. Aussi, peu de traducteurs ont choisi de se former dans les langues autochtones. En raison de l'explosion de la demande, l'offre s'est donc raréfiée. »
« Avec le développement des ressources naturelles, l'aspect commercial devient de plus en plus fort », ajoute la traductrice Maryse Benhoff.
Certes, il s'agit encore d'un marché marginal. La traduction de langues autochtones représente 1 % du volume d'affaires des cabinets. Mais il s'agit d'un marché en réelle progression, insiste Maryse Benhoff, Et les cabinets, dit-elle, auront tout intérêt à développer leur réseau de professionnels en langues autochtones au cours des prochaines années.
Kuie Kuie veut dire « bonjour » en innu montagnais.
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