PRIMEUR - Les perquisitions qu’a menées Revenu Québec chez les entreprises de Tony Accurso en octobre pourraient s’avérer très payantes. L’enquête provinciale sur le stratagème de fausse facturation implique presque 10 fois plus d’entreprises «accommodantes». Elle s’intéresse notamment à de faux contrats octroyés dans le cadre d’un chantier algérien de SNC-Lavalin, piloté par l’ancien vice-président directeur emprisonné en Suisse, Riadh Ben Aïssa.
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C’est ce que démontre un document de cour qu’a obtenu Les Affaires, après la levée d’une ordonnance de scellé dont il faisait l’objet. La «dénonciation» qu’a déposée Revenu Québec le 3 octobre dernier visait à obtenir des mandats de perquisition. L’enquête se penche sur pas moins de 179 entreprises «ayant soit, fourni des factures qui n’étaient pas au bénéfice des sociétés Simard-Beaudry Construction inc. ou de Constructions Louisbourg ltée ou soit, fourni des fausses factures». Les perquisitions d’Ottawa en 2008 et 2009, elles, ne concernaient que 21 entreprises.
L’investigation provinciale couvre aussi une période plus longue, de presque sept ans, soit du 1er octobre 2003 au 31 mai 2010. Les montants d’argent visés par Revenu Québec sont donc beaucoup plus importants que ceux de l’enquête fédérale. Le fisc provincial ne les a cependant pas précisés. De son côté, Ottawa accusait Louisbourg, Simard-Beaudry et leurs complices d'avoir éludé des sommes totalisant 19 M$ de l'impôt.
En outre, l'enquête du fisc provincial vise non seulement ces deux dernières entreprises, mais aussi deux autres sociétés que contrôle Tony Accurso, soit 2858-1965 Québec inc. et Hyprescon inc. Cette dernière entreprise était détenue à 20 % par le Fonds de solidarité FTQ «en septembre 2005», selon la dénonciation.
Environ 90 enquêteurs ont mené des perquisitions à 11 endroits différents en octobre pour Revenu Québec. Ils ont surtout fouillé les bureaux de Constructions Louisbourg, de Simard-Beaudry Construction et d’autres entreprises liées à Tony Accurso. Mais le fisc a aussi visité les bureaux de leurs comptables, Samson Bélair / Deloitte & Touche et Raymond Chabot Grant Thornton.
Des chantiers de SNC-Lavalin visés
Des chantiers de SNC-Lavalin visés
La dénonciation de Revenu Québec mentionne notamment de faux contrats qu’a octroyés Constructions Louisbourg dans le cadre de trois chantiers de SNC-Lavalin, où l’entreprise agissait comme sous-traitant. L’un deux concerne le projet d’usine d’eau potable de Taksebt, en Algérie. Un contrat obtenu en 2007 par Riadh Ben Aïssa.
SNC-Lavalin a congédié en février cet ancien vice-président directeur responsable du Maghreb pour la firme de génie et construction, à cause de son rôle dans des paiements suspects à des agents commerciaux, totalisant 56 M$. Riadh Ben Aïssa est aujourd’hui incarcéré en Suisse pour fraude et corruption en Afrique du Nord.
Impossible d’en savoir plus sur ce qui amène le fisc à se pencher sur ce contrat, puisque tous les passages qui donnent des détails à ce sujet sont caviardés. Ils sont censurés soit à la demande des avocats de Louisbourg, soit «pour ne pas nuire au déroulement de l’enquête, ou pour protéger des sources», selon le porte-parole de Revenu Québec, Stéphane Dion.
Le document du fisc donne plus de détails sur un autre contrat de Louisbourg dans le cadre d’un autre chantier de SNC-Lavalin, celui-là à la centrale Ears Falls de l’Ontario Power Generation. Revenu Québec relève qu’Entretien Torrelli a émis une facture de plus d’un demi million de dollars à Louisbourg dans le cadre de ces travaux. Or cette entreprise est codétenue par Francesco Bruno, qui a plaidé coupable en 2010 à des accusations de fraude fiscale par fausse facturation en complicité avec Simard-Beaudry, à la suite de l’enquête du fisc fédéral.
Revenu Québec mentionne également un autre contrat de SNC-Lavalin en République dominicaine et un autre à «Ville d’Anjou», mais les informations les concernant sont également caviardées.
L’Unité permanente anticorruption a ouvert une enquête sur le chantier du Centre de santé universitaire McGill, dont SNC-Lavalin et Louisbourg ont obtenu le contrat de construction.
Fausse facturation
Fausse facturation
Pour justifier sa demande de perquisition, Revenu Québec évoque les perquisitions menées par son vis-à-vis fédéral en 2008 et 2009. Selon l’enquête d’Ottawa, les entreprises «accommodantes» impliquées dans le stratagème fournissaient de fausses factures aux entreprises de Tony Accurso, selon le document de Revenu Québec. En échange, elles recevaient un chèque, même si elles ne fournissaient aucun service. Elles retournaient ensuite la somme en liquide en retenant une commission, après avoir liquidé le chèque dans un centre d’encaissement bancaire.
Louisbourg, Simard-Beaudry et d’autres entreprises associées ont ensuite réclamé frauduleusement des remboursements pour la taxe de vente du Québec et la taxe sur les produits et services sur ces fausses factures, selon le fisc provincial. Le porte-parole de Revenu Québec ne dit pas si SNC-Lavalin a joué un rôle dans ce stratagème et la plupart des passages la concernant dans le document sont caviardés.
Revenu Québec enquête d’ailleurs en vertu de la Loi sur la taxe d’accise et la Loi sur la taxe de vente, alors qu’Ottawa visait des contraventions à la Loi de l’impôt sur le revenu.
Il n’a pas été possible de joindre les entreprises concernées par l’enquête de Revenu Québec avant la publication de l’article.