Les dirigeants des courtiers québécois bénéficient-ils d’une immunité disciplinaire? Les faits parlent d'eux-mêmes : de 2005 à 2011, les dirigeants des courtiers canadiens ont reçu cinq fois plus de sanctions que leurs homologues québécois.
C'est du moins ce que relate une analyse des sanctions disciplinaires imposées aux dirigeants de courtiers en épargne collective du Centre d'étude en droit économique de l'Université Laval.
Ainsi, de janvier 2005 à septembre 2011, 4 dirigeants québécois ont été sanctionnés par la Chambre de la sécurité financière et l'AMF. L'Association canadienne des courtiers de fonds mutuels, l'ACFM, en sanctionnait quant à elle 22...
Pour les courtiers, l'écart est moindre : 11 sanctions au Québec contre 30 au Canada.
Ces écarts ne sont pas le fruit d'une surreprésentation des dirigeants et courtiers dans le reste du pays : sur 180 courtiers en épargne collective inscrits au Canada, 57 % le sont auprès du MFDA, le reste au Québec, à l'AMF. Quant aux 360 dirigeants (responsables, chef de conformité, directeurs du succursales, etc.), la proportion est la même.
D'où, la question posée par les chercheurs Raymonde Crête, Cinthia Duclos et Frédéric Blouin : « La question est de savoir si les courtiers et leurs dirigeants bénéficient d'une immunité légale ou de facto, comparativement aux représentants », peut-on lire dans l'introduction de l'étude, publiée dans la dernière livraison de la Revue générale de droit de l'Université d'Ottawa.
Une question d'autant plus pertinente qu'en épargne collective, « tant les entreprises [...] que les personnes physiques [...] sont visées par une réglementation financière stricte ».
Dans les faits, l'industrie serait ainsi plus encadrée que dans les ordres professionnels. D'ailleurs, les représentants en épargne collective québécoise sont encadrés plus sévèrement que leurs employeurs : alors que le Québec compte 28 % des inscrits au pays, ces derniers récoltent 48 % des sanctions pour la période sous examen.
Pour le président de la CSF, c'est l'illustration qu'il y a encore à faire pour que l'autoréglementation soit complète.
« C'est une étude qui pose la question de savoir si des morceaux nous échappent. Est-ce que ce n'est pas une pièce de plus rappelant l'importance qu'il faut instaurer l'autoréglementation complète pour que personne n'y échappe ? », demande Luc Labelle.
« Ça fait aussi dire qu'au Québec,pour les représentants, on fait bien notre travail, poursuit Luc Labelle, qui ajoute que c'est une étude qui interpelle les régulateurs. Ils doivent évaluer s'il ne manque pas une pièce au puzzle réglementaire en matière disciplinaire ».
Il conviendrait en outre de se poser la question sur la portée de la réglementation sur la chaîne de responsabilité en cas de faute disciplinaire. « Effectivement, lorsqu'un représentant commet une faute, on peut se demander si il n'y a pas eu des manquements dans la supervision. »
L'AMF mise sur le régime pénal, déposant 70 % des dossiers canadiens en valeurs moblières devant les tribunaux. Les décisions pénales n'ont pas été recensées dans l'étude. Il n'a pas été possible de recueillir les commentaires du régulateur, qui n'a pu répondre rapidement à notre demande d'entrevue.
Les chercheurs n'ont pu déterminer non plus si les dirigeants étaient plus susceptibles d'être poursuivis au pénal. Ela étant, ils estiment néanmoins que si on privilégie la voie pénale, plus répressive, on délaisse la fonction éducative du régime disciplinaire.
Les chercheurs remarquent cependant qu'avant la réforme 31-103, qui adaptait la plupart des règles en vigueur au Canada la réglementation québécoise, la notion de dirigeant responsable était pratiquement absente de l'encadrement québécois. À l'ACFM, le premier statut de l'OAR, qui définit les personnes autorisées -et les dirigeants-et s'accorde ainsi un pouvoir de réglementation sur ces dernier, explique en partie pourquoi les dirigeants écopent plus souvent de sanctions au Canada.
Sauf que l'incompatibilité de ce statut avec les modèles d'affaires québécois, où la notion de directeur de succursale n'existe pas par exemple, fait craindre aux chercheurs que la situation perdure. « En écartant la quasi-intégralité du statut no 1 de l'ACFM, les pouvoirs de sanctions disciplinaires conférés aux organismes québécois seraient ainsi maintenus, bien que la portée restreinte de ces pouvoirs soit critiquable sous l'angle de la fonction préventive qui sous-tend le régime disciplinaire. En outre, [...] les règles de l'ACFM, qui prévoient que le courtier est responsable envers les tiers des actes et des omissions de ses employés et de ses mandataires, sont jugées incompatibles avec la réglementation québécoise.
Quant aux solutions, les chercheurs évoquent notamment la possibilité, à l'instar de l'AMF lors des consultations sur 31-103 en 2007, « la possibilité d'élargir les pouvoirs de la CSF afin qu'elle soit reconnue [comme OAR ] à l'égard des courtiers, leurs dirigeants et leurs représentants » au Québec.