Au moins une dizaine d'assureurs se disputeront dès le 1er juillet le nouveau marché ouvert par la Loi sur les régimes volontaires d'épargne-retraite (RVER). La plupart des principaux assureurs de personnes actifs sur le marché québécois ont annoncé leur intention d'offrir un tel régime, dont Desjardins, Industrielle Alliance, Sun Life, Manuvie, Great-West et Standard Life.
«Il faut être prêt dès le départ, sinon on risque de manquer le bateau», dit Jean-François Pelletier, vice-président, régimes collectifs de retraite pour le Québec chez Sun Life, qui travaille à la conception d'un RVER depuis déjà plusieurs mois.
Les gestionnaires de fonds d'investissement et les sociétés de fiducie peuvent aussi administrer des RVER, mais se font discrets pour le moment. Le Groupe Investors, par exemple, est en réflexion, selon son président, Claude Paquin.
Des estimations tenues secrètes
À combien s'élèvera ce marché ? Tous les assureurs interrogés ont refusé de dévoiler leurs estimations. «Nous avons établi des scénarios optimistes et d'autres, pessimistes», se borne à dire Michel Fortin, premier vice-président, marketing et solutions client, chez Standard Life. On sait toutefois que la Loi vise deux millions de travailleurs qui n'ont pas accès à un régime de retraite collectif. De ce nombre, les quelque 500 000 personnes gagnant entre 20 000 et 50 000 $ par année seront les plus susceptibles d'adhérer à un RVER, selon Martin Ouellet, actuaire et coordonnateur à la Régie des rentes du Québec. Ailleurs dans le monde, le taux de rétention moyen des employés par des régimes semblables atteint 80 %.
En faisant donc des calculs avec 400 000 travailleurs et un taux de cotisation par défaut de 2 %, on peut évaluer le marché à une somme variant de 160 à 400 millions de dollars annuellement. Mais il s'agit d'une estimation prudente qui ne tient compte ni de la contribution éventuelle des employeurs (facultative), ni du taux moyen de cotisation qui sera choisi par les travailleurs, ni de l'augmentation prévue du taux de cotisation par défaut.
Selon toute vraisemblance, ce taux de cotisation par défaut sera de 2 % les trois premières années, puis grimpera à 3 % la quatrième année et à 4 % la cinquième année. Les taux définitifs seront toutefois connus uniquement lors de la publication des règlements ce printemps.
La simplicité au rendez-vous
«Le RVER, c'est le cruise control de l'épargne-retraite !» illustre Martin Ouellet. Car en plus d'un taux de cotisation par défaut, l'adhésion sera automatique (avec droit de retrait) et les RVER comporteront une option de placement par défaut. Entre trois et cinq autres options de placement à divers niveaux de risque et de rendement pourront aussi être offertes. Tout porte à croire que la plupart des assureurs proposeront le maximum d'options permises, soit six au total.
Les régimes devront aussi être peu coûteux, ce qui peut les rendre très intéressants pour les épargnants, d'après l'actuaire de la Régie des rentes. «Les frais de gestion moyens des fonds de placement au Canada sont de 2,4 %. Si on réduit ces frais de 1 % sur l'ensemble de la vie active d'une personne, celle-ci disposera d'un montant de 27 % de plus à la retraite.»
Certains tirent toutefois une sonnette d'alarme, car les balises qui seront établies par règlement à propos des frais de gestion risquent de laisser peu de place pour la rémunération des conseillers. «On craint que les travailleurs ne soient laissés à eux-mêmes pour choisir l'option et le taux de cotisation qui leur conviennent le mieux», dit Claude Paquin, qui est aussi président du Conseil des gouverneurs du Conseil des fonds d'investissement du Québec.
Les assureurs, eux, se font rassurants. «Les cotisants auront accès à de l'information sur le Web et à notre équipe de soutien téléphonique, dit Josée Plante, coordonnatrice, communications, épargne et retraite collectives chez Industrielle Alliance. Nous encouragerons les gens à remplir un questionnaire sur leur profil d'investisseur et à sélectionner l'option associée à leur profil.»
Ils affirment aussi qu'ils offriront un produit simple à gérer pour les propriétaires d'entreprises. «Les employeurs pourront acheter le régime et remettre les cotisations en ligne, indique Jean-François Pelletier. Ils auront aussi plusieurs autres outils à leur disposition pour leur simplifier la vie. On ne veut pas que ça devienne un fardeau pour eux.»
Les régimes d'épargne-retraite sont un bon moyen de rétention des employés, selon un sondage mené en 2012 pour la Standard Life par la firme Environics. «Neuf employés sur dix les classent dans leur top trois des facteurs qui les incitent à continuer de travailler pour une entreprise», souligne Michel Fortin.
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De 160 à 400
Valeur annuelle estimée en millions de dollars du marché des régimes volontaires d'épargne-retraite au Québec pour les assureurs.
2
2 millions de travailleurs québécois n'ont pas accès à un régime de retraite collectif actuellement.
Les RVER en huit questions
La Loi sur les régimes volontaires d'épargne-retraite entrera en vigueur le 1er juillet. En vertu de cette loi, les entreprises dont les employés n'ont accès à aucun régime d'épargne-retraite collectif seront tenues d'en offrir un. Le point sur ses modalités.
1. Quelles entreprises sont visées?
Celles qui comptent cinq employés adultes et plus ayant au minimum un an de service continu, que ce soit à temps plein ou partiel, ce qui représente 90 000 entreprises et quelque deux millions de travailleurs.
Si vous offrez déjà un régime d'épargne-retraite collectif de quelque type que ce soit (REER, CELI, régime de retraite simplifié, régime de pension agréé), vous n'êtes pas tenu d'offrir un régime volontaire d'épargne-retraite (RVER). Mais il y a une condition : tous les employés visés par la Loi doivent avoir la possibilité de se prévaloir du régime en place. Si ce n'est pas le cas, vous devez offrir un RVER à ceux qui n'ont pas accès au régime existant.
2. Les RVER doivent-ils être en place le 1er juillet?
Pas nécessairement. S'il est possible d'offrir un RVER dès l'entrée en vigueur de la Loi, la date butoir varie selon la taille des entreprises. Ainsi, celles de 20 employés et plus ont jusqu'au 31 décembre 2016 pour se conformer et celles de 10 à 19 employés, jusqu'à la fin de 2017. Quant aux entreprises de 5 à 9 employés, la date reste à déterminer.
Ce délai vous donne l'occasion d'analyser votre situation et de déterminer la meilleure option pour vous et vos employés, selon Martin Ouellet, actuaire et coordonnateur à la Régie des rentes du Québec. «Comme un revenu de retraite diminue le Supplément de revenu garanti, il est plus avantageux pour les employés à faible revenu de contribuer à un CELI», donne-t-il en exemple. Selon les salaires versés dans votre entreprise, vous pourriez décider d'instaurer un CELI collectif plutôt qu'un RVER ou encore de proposer les deux. Il faut toutefois que votre régime soit en place au plus tard à la date limite, sinon vous êtes passible d'une amende de 500 à 10 000 $. Par ailleurs, la Loi vous permet de changer de RVER ou même de migrer vers un autre type de régime, selon l'évolution de votre entreprise.
3. Auprès de qui souscrire un RVER?
Seuls des assureurs de personnes, des gestionnaires de fonds d'investissement et des sociétés de fiducie peuvent offrir et administrer un RVER à condition d'avoir à cette fin une autorisation de l'Autorité des marchés financiers. Jusqu'ici toutefois, ce sont surtout les assureurs qui ont démontré de l'intérêt, puisqu'ils ont déjà les infrastructures nécessaires pour gérer ce type de produit.
4. Les associations peuvent-elles offrir un RVER à leurs membres?
Oui, en en souscrivant un auprès d'un administrateur autorisé. C'est ce qu'entend faire la Fédération canadienne de l'entreprise indépendante. «Cela facilitera la vie à nos membres qui n'auront pas ainsi à magasiner leur RVER», dit Martine Hébert, vice-présidente pour le Québec. Évidemment, une entreprise sera libre d'adhérer au RVER de son choix.
5. Les entreprises pourront-elles avoir leur propre RVER?
Non, car chaque assureur ou gestionnaire de fonds a le droit de créer un seul RVER. Il vend donc le même régime aux mêmes conditions à tous ses clients.
6. Est-il obligatoire de cotiser au RVER des employés?
Non, c'est facultatif. Cependant, les entreprises qui voudront le faire pourront décider du montant de leur cotisation et n'auront pas à payer de taxes sur la masse salariale. Une mesure applaudie par la FCEI. «C'est un atout par rapport aux REER collectifs qui sont grevés d'une telle taxe», commente Martine Hébert qui considère que peu de régimes d'épargne-retraite étaient jusqu'ici adaptés aux petites entreprises.
7. Les employés sont-ils tenus de participer?
Ils seront inscrits automatiquement au RVER, mais ils peuvent y renoncer en tout temps. Ils peuvent aussi cesser temporairement de cotiser, modifier leur taux de cotisation et retirer des montants de leur RVER (sauf les cotisations de l'employeur qui sont immobilisées). Et comme c'est le cas pour d'autres régimes enregistrés, les cotisations des employés sont déductibles de leur revenu imposable jusqu'au maximum de leurs droits de cotisation.
8. Est-ce que tout ça sera lourd à gérer pour les employeurs?
Difficile à dire. Les assureurs qui ont l'intention de se lancer dans le marché des RVER disent vouloir simplifier la tâche à leurs clients. «Nous mettrons à la disposition des employeurs des modèles types de formulaires», souligne Josée Plante, coordonnatrice, communications, épargne et retraite collectives chez Industrielle Alliance. Il reste que les employeurs devront inscrire leurs employés, prélever les cotisations, transmettre les coordonnées de ceux qui renoncent au régime, qui suspendent leurs cotisations, qui modifient leur taux de cotisation, etc. Il y aura un coût, c'est certain. «Au moins, les employés ne pourront pas effectuer plus de deux changements par année, ce qui allégera la tâche des employeurs», constate Martine Hébert.