La juge Marie St-Pierre, de la Cour supérieure du Québec rendra sa décision demain, vendredi, dans la cause-fleuve de Castor Holdings, qui a déclaré faillite... en 1992. Plus d’un milliard de dollars sont disparus dans la nature dans ce qui s’apparente à une pyramide de Ponzi.
Mais cette fois, ce n’est pas le sort des investisseurs qui est en cause; la décision de Mme St-Pierre porte plutôt sur la responsabilité des vérificateurs de Castor Holdings, Coopers & Lybrand, fusionné avec Price Waterhouse en 1996.
« Tous les vérificateurs attendaient fébrilement la décision de la juge St-Pierre », affirme en effet Bernard Gourdeau, syndic chez RSM Richter Chamberland, impliqué dans le dossier de Castor Holdings depuis sa faillite.
Les investisseurs qui ont perdu leur mise dans Castor, encore une vingtaine environ, poursuivent les vérificateurs pour ne pas avoir fait leur travail avec diligence. Au départ, il y avait une centaine de créanciers mais plusieurs causes ont été réglées au cours des années.
La décision de la juge St-Pierre devait répondre à certaines de ces questions : les états financiers produits par Coopers & Lybrand respectaient-ils les principes comptables généralement reconnus ? Le travail des vérificateurs a-t-il été fait selon les normes de la profession ? Les états financiers reflétaient-ils la structure financière de Castor ? Les investisseurs se sont-ils vraiment fiés aux états financiers pour investir dans Castor ? Les vérificateurs ont-ils été eux aussi victimes des dirigeants de Castor ?
Selon Serge Guérette, associé du cabinet Fasken Martineau, les deux grands enjeux de ce procès portaient sur l’étendue de la responsabilité des vérificateurs, autrement dit qu’est-ce qu’une conduite fautive, et les vérificateurs sont-ils responsables seulement envers l’entreprise ou envers les tiers, c’est-à-dire les créanciers/investisseurs ?
« Contrairement au Code civil, en common law les vérificateurs ne sont pas responsables envers les tiers », explique Me Guérette, qui a représenté un industriel allemand membre du conseil d’administration de Castor Holdings qui a été poursuivi par des créanciers. Précisons que Castor Holdings a été incorporée au Nouveau-Brunswick en vertu du common law alors que l’entreprise était dirigée de Montréal en vertu du Code civil.
Le modus operandi
Karsten von Wersebe et Wolfgang Stolzenberg détiennent chacun 20 % des actions de Castor Holdings. Au début des années 80, M. von Wersebe crée l’empire immobilier York Hanover. Castor prête de l’argent à York en échange d’hypothèques de 2e et 3e rangs.
Castor emprunte ensuite à des banques en donnant ces hypothèques en garantie. Ce sont en fait des PCAA (papiers commerciaux adossés à des actifs).
En 1986, les vérificateurs Coopers & Lybrand remarquent que plus de 80 % des intérêts que doivent verser les emprunteurs (dont York Hanover) à Castor ne le sont pas et sont plutôt capitalisés, c’est-à-dire ajoutés aux prêts. Pour payer ses intérêts à ses banquiers, Castor emprunte à d’autres banquiers. C’est en fait une pyramide de Ponzi.
Chronologie d'une saga
1977. Fondation de Castor Holdings au Nouveau-Brunswick par deux hommes d’affaires allemands. Pourquoi au Nouveau-Brunswick ? Parce que la loi de cette province permet que le conseil d’administration ne soit pas majoritairement canadien.
La maison-mère de Castor Holdings est administrée de Montréal alors que ses filiales internationales (Antilles, Chypre, Irlande, Suisse, etc.) sont gérées de Suisse et du Lichtenstein.
Castor regroupe une quarantaine d’actionnaires majoritairement allemands; les deux principaux (20 % chacun) sont Karsten von Wersebe et Wolfgang Stolzenberg. Peter Widdrington, président de la Brasserie Labatt est également actionnaire.
Début des années 80. M. von Wersebe crée l’empire immobilier York Hanover.
1987. Wolfgang Stolzenberg achète la part de Karsten von Wersebe dans Castor Holdings.
1991. Les états financiers vérifiés par Coopers & Lybrand (en date du 31 décembre 1990) montrent un actif (mirobolant pour l’époque) de deux milliards de dollars.
1992. Castor Holdings s’écroule; il n’y a plus un sou dans la société. C’est la faillite. Or, les états financiers vérifiés par Coopers & Lybrand ne mentionnaient pas cette absence de liquidités. Une centaine de créanciers intentent des poursuites individuelles contre Coopers & Lybrand, alléguant qu’ils s’étaient fiés aux états financiers vérifiés pour investir dans Castor Holdings. Plusieurs causes ont été réglées au fil du temps. Il reste une vingtaine de créanciers qui réclament toujours environ un milliard de dollars, avec les intérêts. La Cour supérieure du Québec décide de prendre un cas type, celui de Peter Widdrington (maintenant décédé), qui devint actionnaire à la fin de 1990.
1992. Le syndic, Bernard Gourdeau, de RSM Richter Chamberland, prend possession de 600 boîtes de documents et commence son enquête. Castor Holdings, en faillite, intente des poursuites contre ses dirigeants, ses administrateurs, ses consultants et ses vérificateurs.
1995. Début des interrogatoires. On découvre qu’Elliot Wightman, associé des vérificateurs Coopers & Lybrand, est associé à M. Stolzenberg dans certains projets immobiliers.
1996. Coopers & Lybrand fusionne avec Price Waterhouse.
1998. Aux termes de quelque 1 000 journées d’interrogatoires, le procès commence le 8 septembre 1998. À lui seul, l’expert en comptabilité Keith Vance témoigne du 12 juin 2000 au 18 février 2002 et est contre-interrogé du 25 mars 2002 au 5 octobre 2004.
2007. Le procès avorte, des problèmes de santé du juge Paul Carrière l’empêchent de continuer.
2008. En janvier, le procès reprend avec la juge Marie St-Pierre, de la Cour supérieure du Québec. Coopers & Lybrand tente en vain de la faire destituer sous prétexte que ses deux enfants travaillent pour le cabinet Stikeman Elliott, qui a déjà représenté la caisse de retraite de Chrysler Canada, qui a été actionnaire de Castor Holdings. Coopers avait fait destituer le tout premier juge dans ce procès, John Gomery.
2010. À l’automne, le procès prend fin.