Ce n’est pas tout de fixer le taux directeur. Il faut aussi s’assurer qu’il aura l’effet escompté sur l’inflation.
Depuis le début des années 1990, la Banque du Canada vise explicitement une cible d’inflation de 2 %, avec une fourchette allant de 1 à 3 %. Quoique la cible soit officiellement liée à l’indice des prix à la consommation (IPC), la Banque fonde plutôt ses décisions sur l’indice de référence, soit l’IPC moins huit composantes très volatiles (dont les fruits, les légumes et l’énergie).
Le défi n’est toutefois pas tant de mesurer l’inflation que de l’anticiper. Pour cela, les économistes de la banque centrale utilisent l’écart de production. Dit simplement, l’écart de production est la différence entre le PIB potentiel (ce que le Canada peut produire avec la capacité de production existante) et la demande totale (des Canadiens, mais aussi des exportations). Pour que l’inflation soit maîtrisée, les deux composantes doivent augmenter au même rythme.
Si la demande ralentit, comme ce fut le cas durant la crise économique, l’inflation recule sous la barre des 2 %, parce qu’il y a une capacité de production non utilisée. Généralement, la banque centrale réagit en diminuant les taux d’intérêt, ce qui encourage les individus à acheter et les entreprises à investir.
Si la demande croît plus vite que l’offre, l’inflation risque de dépasser la cible. L’offre augmente à une certaine vitesse grâce aux gains de production et à l’accroissement du bassin de main-d’œuvre; mais, une fois cette croissance naturelle passée, la bataille pour les employés et les ressources entraîne des pressions à la hausse sur les salaires et les prix. Lorsque la pression est telle que l’économie risque de surchauffer, la banque centrale élève les taux d’intérêt, ce qui freine les ardeurs des consommateurs et des entreprises.
Rendre le taux directeur effectif
Le taux directeur est le taux auquel se prêtent les banques entre elles. Comment la Banque du Canada peut-elle en être certaine? Grâce au Système de transfert de paiements de grande valeur (STPGV), qu’elle supervise. C’est par l’intermédiaire de ce système établi en 1999 que les institutions financières réalisent électroniquement leurs gros transferts entre elles. Chaque jour, les 15 institutions participantes y effectuent environ 22 000 paiements de plus d’un million de dollars, pour un total quotidien supérieur à 150 G$. Afin de diminuer les risques de contrepartie, les transactions sont réglées par la Banque du Canada, qui calcule les soldes de chaque participant en fin de journée.
Lorsqu’une institution est en situation de déficit dans son compte, elle peut emprunter auprès de la Banque du Canada au taux d’escompte (le taux directeur + 0,25 %). Si elle est en surplus, elle peut laisser son solde dans les coffres de la Banque et recevoir des intérêts au taux directeur - 0,25 %. Dans un cas comme dans l’autre, les institutions ont avantage à se parler et à s’arranger entre elles, ce qui est non seulement permis, mais encouragé. Ainsi, celle qui est en déficit offrira d’emprunter au taux directeur, ce qu’acceptera celle en surplus, puisqu’elle obtient ainsi 0,25 % de plus. Les financiers savent compter : dans 90 à 99 % des cas, les banques règlent leurs soldes entre elles... au taux directeur.
L’effet domino
Avec l’annonce d’un changement du taux directeur s’enclenche un long effet domino. Si long qu’il faut de 18 à 24 mois pour que la réaction soit totale.
Tout changement du taux directeur a une incidence très immédiate sur les taux d’intérêt à court terme, surtout sur les taux variables. Dans certains cas, les investisseurs obligataires et les institutions financières anticipent les mouvements du taux directeur.
Le changement de taux est un élément important pour les échéances d’un ou de deux ans, mais il perd progressivement de son importance au profit d’autres facteurs lorsque les échéances sont plus longues, comme dans le cas des hypothèques à cinq ans.
Les taux d’intérêt en vigueur dans un pays ont par ailleurs un effet sur le taux de change. Quand le taux d’intérêt est plus élevé au Canada qu’ailleurs, les investisseurs affluent, ce qui fait grimper la valeur du dollar canadien par rapport aux autres devises.
Mis ensemble, les taux d’intérêt et le taux de change influent sur la demande globale. L’effet peut toutefois prendre de 12 à 18 mois à se concrétiser complètement. Les changements dans la demande globale (des Canadiens et des étrangers) influent à leur tour sur l’écart de production, avec les effets expliqués précédemment.
Précisons que le mécanisme de transmission de la politique monétaire — du taux directeur à l’inflation — ne se passe pas en vase clos. Certains chocs touchant l’économie se répercutent sur l’inflation, comme les changements dans la demande des partenaires commerciaux, les prix des matières premières, la politique fiscale ou le vieillissement de la population.