Vous détenez une carte de crédit platine qui donne droit à des tonnes de points et de privilèges ? Et vous aimez l’utiliser pour le moindre petit achat dans l’espoir d’obtenir rapidement un voyage ou un téléviseur gratuit ?
Attention, si le Bureau de la concurrence gagne sa cause devant les tribunaux, les détaillants pourraient obtenir le droit de refuser votre carte. Ou encore, ils pourraient vous imposer des frais supplémentaires pour effectuer la transaction. Car ces cartes coûtent cher en frais d’interchange aux commerces et leurs plaintes des dernières années ont trouvé écho à Ottawa.
Le Bureau de la concurrence vient en effet de déposer une demande au Tribunal de la concurrence pour faire abolir « les règles contraignantes et anticoncurrentielles que Visa et MasterCard imposent aux commerçants qui acceptent leurs cartes de crédit». L’organisme fédéral souhaite notamment que les commerçants puissent percevoir des frais supplémentaires sur les cartes « onéreuses ». Et que les détaillants ne soient pas tenus d’accepter toutes les cartes de crédit offertes par Visa et Mastercard. Autrement dit, ils pourraient refuser les cartes dont les frais sont trop élevés à leur goût.
Pour le moment, « rien n’incite Mastercard et Visa à baisser les taux des cartes à points. Ils n’ont pas de pression car les détaillants sont obligés de les accepter », résume Richard Bilodeau, sous-commissaire adjoint au Bureau de la concurrence.
Le problème pour les détaillants réside dans le fait que les points et les primes encouragent les consommateurs à préférer leur carte de crédit aux autres modes de paiement, observe l’Union des consommateurs. Selon un sondage réalisé en mars, 58% des répondants admettent que le programme de récompense de leur carte de crédit est un facteur important lorsque vient le temps de choisir un mode de paiement.
« Le comportement anticoncurrentiel de Visa et MasterCard nuit aussi bien aux entreprises qu’aux consommateurs », soutient Melanie Aitken, commissaire de la concurrence. Une affirmation qui sonne comme de la musique aux oreilles de Gaston Lafleur, pdg du Conseil québécois du commerce de détail. « Ce qui est positif, c’est que le Bureau de la concurrence arrive à des conclusions similaires aux nôtres depuis deux ans », dit-il.
5 milliards de frais par année
Chaque année, les détaillants canadiens paient environ 5 milliards de dollars en frais de transaction, calcule le Bureau. Selon la Coalition québécoise contre la hausse des frais de cartes de crédit et de débit (35 000 commerces), cette somme se retrouve, au bout du compte, à être payée par l’ensemble des consommateurs. Les frais sont inclus dans tous les prix, affirme-t-on. « S’il y avait une surcharge pour les cartes privilège, ce serait plus équitable », croit Martine Hébert, vice-présidente pour le Québec de la Fédération canadienne de l’entreprise indépendante (FCEI).
Au Canada, la situation est particulièrement problématique puisque les frais s'élèvent de 1,5 % à plus de 3 %, ce qui est deux fois plus élevé qu’en Europe, en Nouvelle-Zélande et en Australie. Plus concrètement, l’achat par carte de crédit d’un appareil photo numérique de 400 $ représente des coûts de 12 $ pour le détaillant. Par carte de débit Interac, c’est plutôt 0,12 $.
Le Conseil canadien des distributeurs en alimentation (CCDA) se réjouit de l’initiative du Bureau de la concurrence. « Ça confirme à nouveau qu’il y a une problématique et que les pratiques qui ont cours sont abusives. D’ailleurs, c’est la 4e fois que c’est reconnu. Un comité sénatorial s’est penché sur la question, un comité de la chambre des communes aussi. Et le ministre des finances Jim Flahery a proposé un code de conduite volontaire (cet automne)», a commenté le porte-parole Frédéric Alberro.
La réplique de Mastercard et Visa
Mastercard promet de s’opposer aux arguments du Bureau. Citant le cas de l’Australie, où l’imposition de frais supplémentaires est permise depuis 2003, l’émetteur affirme que certains commerçants refilent désormais des factures « non justifiées » à leurs clients. Un argument partagé par Option consommateur. « Ce qui nous inquiète, c’est que toutes les transactions soient facturées et que les commerçants fassent du profit sur les frais », dit l’analyste Jean-François Vinet. Dans un communiqué, Visa soutient que c’est exactement ce qui se produit en Australie.
L'imposition de frais supplémentaires pour les achats effectués par carte de crédit est interdite dans dix États américains et dans 17 États membres de l'Union européenne, y compris la France, l'Espagne, l'Allemagne, l'Autriche et la Suède, rappelle Mastercard.
Option consommateurs craint par ailleurs que l’affichage des prix ne devienne « complexe », souligne Jean-François Vinet. « Ça pourrait devenir plus difficile de comparer les prix car il faudra aussi prendre en considération les frais de transaction. »
En ce qui concerne l’impossibilité pour les détaillants de refuser certaines cartes, Mastecard affirme que cela « ébranlerait la confiance » des consommateurs qui ne pourraient plus savoir avant de passer à la caisse si leur carte sera acceptée. « Aucun pays, ailleurs dans le monde, n'a rejeté la règle sur l'acceptation de toutes les cartes. »
« Le retrait de cette politique, qui est à l'avantage des consommateurs, entraînera de la confusion chez les consommateurs et éliminera leur choix au point de vente », a commenté Visa, qui se dit « déçu » par le Bureau de la concurrence.
Le tribunal de la concurrence devrait entendre la cause dans 12 à 15 mois. Si sa décision est favorable aux demandes du Bureau, une ordonnance ayant force de loi pourrait être rendue.