Depuis cet été, Guy Savard a ficelé trois des plus importantes transactions au Canada, totalisant 4 milliards de dollars. Portrait d'un financier de choc.
La scène se passe au restaurant Le Fouquet's, rue de la Montagne, juste avant Noël. Il est tard en soirée. J'ai finalement pu m'entretenir avec Guy Savard, vice-président du conseil de Merrill Lynch Canada et grand patron pour le Québec, qui vient de passer les dernières semaines à faire des allers-retours entre Montréal et Toronto pour ficeler la transaction entre Sun Media et Quebecor, son client.
À l'étage, une réception intime est donnée en l'honneur des 60 ans du premier ministre Lucien Bouchard. Au moment de partir, les invités à la fête aperçoivent Guy Savard et viennent le saluer; on reconnaît notamment André Caillé, président d'Hydro-Québec, André Bérard, président de la Banque Nationale, et Jean Lapierre, l'ancien député, devenu commentateur politique. Lucien Bouchard lui-même prend un instant pour lui parler amicalement. «C'est bon, Guy, l'affaire de Quebecor, tu as bien mené ça. C'est une belle percée en Ontario.» L'échange est d'autant plus intéressant que les deux hommes ne sont pas dans le même camp politique. Le gouvernement du Parti Québécois lui a même enlevé la présidence de la Caisse de dépôt et placement du Québec en 1995. André Bérard, qui observe la scène, ajoute avec un clin d'oeil à mon intention: «On reconnaît les grands de ce monde aux gens importants qui leur rendent hommage!»
Guy Savard sourit à la boutade, cependant bien heureux de cette rencontre impromptue avec Lucien Bouchard. «Vous voyez, nous ne sommes pas en mauvais termes. Au Québec, les positions sont moins tranchées qu'ailleurs. On finit toujours par se côtoyer. Il est important de maintenir de bons contacts.» Cela pourrait être sa devise. «Il y a quelques années, lors d'un voyage de pêche au Labrador, je me suis retrouvé en compagnie de l'ancien président George Bush. Je lui ai demandé comment on pouvait faire pour gérer un pays comme les États-Unis. Nous en avons parlé pendant trois jours. À ses yeux, au gouvernement comme ailleurs, ce sont les relations personnelles qui sont décisives. Il a tout à fait raison.»
Guy Savard a bien mérité qu'on le salue. En 1998, trois transactions milliardaires ont mis en cause des entreprises québécoises. Il était à chaque fois au coeur de l'action. Si Quebecor a pu acheter Sun Media, si Provigo s'est entendu avec Loblaw et si Domtar a pu mettre la main sur E.B. Eddy, c'est en bonne partie grâce à lui et à ses talents de négociateur. «Mon métier, c'est de faire arriver les choses et de trouver le meilleur deal pour mes clients», dit-il simplement. Il en sera hautement récompensé. À 56 ans, il vient de vivre l'épisode le plus fructueux de sa carrière.
Un financier dans une classe à part
À son arrivée chez Capital Midland Walwyn, en février 1995, Guy Savard avait demandé d'avoir les coudées franches au Québec. L'achat de Midland par Merill Lynch lui permet désormais de disposer «d'un plus gros coffre d'outils». Midland Walwyn était le cinquième courtier au Québec. Aujourd'hui, Guy Savard veut à tout le moins le deuxième rang. En matière de fusions et acquisitions, sa firme est déjà en première place. «Nous disposons maintenant pour le Québec d'une extraordinaire porte d'entrée sur le monde.»
«Pour réussir dans ce secteur, dit Brian Levitt, président et chef de la direction d'Imasco, il faut deux forces: celles des ressources corporatives et celles des ressources individuelles. L'alliance de Merrill Lynch et de Guy Savard, qui apporte son jugement et son énergie, va assurément faire des vagues dans le marché.» Les deux hommes se côtoient depuis le début des années 90, au point d'avoir vécu quelques parties de chasse ensemble. «Et croyez-moi, Guy Savard a l'oeil. Il vise aussi bien les faisans que les fusions-acquisitions!» affirme Brian Levitt.
Les aventures de Quebecor et de Provigo ont beaucoup fait parler d'elles. Le coup de Domtar, en revanche, a moins retenu l'attention, peut-être parce qu'il a eu lieu durant l'été. Aux yeux de Guy Savard, c'est pourtant là un des faits marquants de son année. Domtar a acheté E.B. Eddy pour 803 millions de dollars, en liquide et en actions, tout en prenant à son compte 150 millions de dollars de dettes. «Les ventes de E.B. Eddy atteignent 1 milliard. Celles de Domtar, 2,1 milliards. D'un seul coup, Domtar augmente sa valeur de 50%», dit Guy Savard. Raymond Royer, président de Domtar, s'en frotte les mains. «Il nous fallait élargir notre masse critique et entrer dans le créneau des produits plus spécialisés. E.B. Eddy était une cible tentante, mais chère. C'est Guy Savard qui a permis d'activer les choses en proposant aux propriétaires, la société Weston, une formule de financement originale à laquelle personne n'avait pensé.» L'idée maîtresse? Weston peut monnayer les actions reçues en émettant 350 millions de débentures, moins taxées par le fisc, offertes au public et convertibles en actions de Domtar!
Peter Eby, vice-président de Nesbitt Burns, était le conseiller de Weston. Aujourd'hui à la retraite, en Floride, il dit en blaguant qu'il était temps pour lui de se retirer, «parce que Guy Savard est un concurrent trop fort avec de trop bonnes idées! Dans une transaction du genre, il faut être à l'écoute de son client tout en comprenant ce que recherche l'autre partie. Guy Savard a fait un travail exceptionnel et je lui tire mon chapeau.»
Il aurait également pu ajouter que sa maîtrise lors des négociations ont plu à Galen Weston, grand patron de Weston... et de Loblaw. Quelques mois plus tard, Guy Savard, cette fois conseiller de Provigo, entamait de nouveaux pourparlers avec Weston à propos des plans de Loblaw, et les contacts noués précédemment facilitaient tout naturellement le rapprochement des deux parties. Actionnaire de Provigo, la Caisse de dépôt et placement était fortement intéressée par l'issue des négociations. «Guy Savard connaissait Weston, il connaissait Provigo, et il connaissait la Caisse. C'est toujours un atout quand les gens peuvent se parler directement», souligne Jean-Claude Scraire, le président de la Caisse.
«Dans notre domaine, tout est affaire de confiance. Ici, c'est notre actif le plus précieux. Je ne vois pas d'autre endroit sur la planète où il est possible de régler par téléphone une transaction de centaines de millions de dollars tout en protégeant les intérêts du client», dit Guy Savard.
Branché, libéral et nationaliste
«Ces réseaux qui s'élargissent sans cesse, c'est certainement une de ses grandes forces», dit Louise Champoux-Paillé, qui était vice-présidente aux communications et marketing chez Midland Walwyn lorsqu'il en était, lui, le président. Maintenant présidente du Bureau des services financiers, elle ne s'étonne pas de ses succès, «puisqu'avec ses antennes, rien ne lui échappe.» «C'est tout à fait lui: il aime discuter, et il connaît beaucoup de monde dans les hautes sphères. Et n'allez pas croire que l'on naît branché. Il faut travailler fort pour construire un réseau aussi étendu», dit Claude Lamoureux, président du conseil de régime de retraite des enseignants de l'Ontario, familièrement appelé Teacher's, qui l'a connu du temps où il présidait la Caisse. Actionnaire principal de Sun Media, Claude Lamoureux est de ceux qui ont bien profité de l'offre d'achat de Quebecor venue coiffer celle du Toronto Star. Pour 980 millions de dollars, Quebecor devenait une chaîne nationale. «Parfois, on vend aux Ontariens, parfois on les achète. Il faut que ça joue dans les deux sens», dit Guy Savard, dont le rôle, en coulisses, a été encore une fois déterminant.
Ces triomphes, il les savoure comme il se doit pour un conseiller: avec discrétion. Sa fierté est cependant manifeste. Après tout, il a dû se refaire un nom après son départ de la Caisse.
À vivre par l'épée politique, on périt par l'épée politique, avait-on conclu à l'époque, d'autant plus que sa nomination avait fait sourciller. Lui, un néophyte en matière de gestion de grandes institutions, chargé de veiller sur le bas de laine des Québécois? Aux journalistes qui lui signalaient que le nouveau président était réputé être l'argentier du Parti Libéral, Louis Laberge, alors président de la FTQ, avait répondu qu'il fallait être insensé pour placer ainsi le loup dans la bergerie. Lisant cette déclaration dans les journaux, Guy Savard n'avait pas perdu de temps pour l'inviter au restaurant, question de clarifier les choses. «Je le connaissais mal. Nous sommes allés chez Butch Bouchard, où je lui ai offert une bouteille de vin, et nous avons discuté pendant un bon moment», dit Louis Laberge. Son opinion a-t-elle changé? «Je peux vous dire qu'il a fait de l'excellent travail à la Caisse. Je le sais, je siégeais au conseil. Toujours disponible, toujours vaillant, toujours dévoué. C'est un homme de qualité. J'avais sans doute parlé un peu vite, et les journalistes avaient évidemment sauté sur l'histoire.»
Aujourd'hui, Guy Savard veut bien rire de cette anecdote. Il en profite cependant pour faire une mise au point. «La méprise dure depuis trop longtemps. J'ai été trésorier du Parti Libéral, oui, mais au fédéral, du temps de John Turner. Au provincial, mes dernières fonctions remontent aux années 70, au moment où j'étais membre de la Commission politique. Je suis resté dans l'entourage, j'ai participé à des collectes de fonds, mais sans plus. Je n'ai pas pris de part active aux dernières élections provinciales, même si Jean Charest est un bon ami, et même s'il vient, comme moi, des Cantons de l'Est. Non, je ne faisais pas partie du groupe de Sherbrooke qui a tout dirigé!» répond-il en devinant la question qui allait suivre.
Guy Savard tient aussi à une étiquette qu'on lui attribue peu souvent. «Je suis nationaliste. Je crois depuis toujours en la prise en charge par les Québécois de leur économie. Au cours de la transaction entre Provigo et Loblaw, par exemple, une clause a été ajoutée pour garantir aux producteurs québécois qu'ils pourront continuer à approvisionner les anciens Provigo pendant au moins sept ans. Mieux encore, Loblaw leur ouvre aujourd'hui les portes du mar-ché canadien. Je suis particulièrement content d'y avoir contribué.» Louise Champoux-Paillé, de son côté, l'a vu instituer le premier poste d'analyste consacré uniquement aux valeurs québécoises chez Midland Walwyn. Dans le même souffle, il créait le plus important concours de journalisme en économie au Québec, doté d'un généreux prix de 10 000 dollars. «C'est sa vision d'investisseur; il investit dans l'excellence journalistique comme il le ferait dans des sociétés», dit-elle.
Des Cantons de l'Est à la politique
Guy Savard est né à Coaticook. Il se rappelle une enfance de liberté totale, des excursions acrobatiques dans les gorges de la rivière, et un goût pour la nature qui lui revient chaque fois qu'il a une chance de s'évader du bureau. Encore aujourd'hui, il possède avec quelques amis une île, Province Island, sur le lac Memphrémagog, qui leur sert de réserve de chasse privée.
«Nous n'étions ni riches ni pauvres. Mon père était commis dans une quincaillerie et pourvoyait bien aux besoins de la famille», raconte-t-il. Guy Savard a tout juste dix ans quand le malheur frappe. Son père perd son emploi. Les perspectives deviennent sombres. Pour conjurer le mauvais sort, sa mère décide alors que la famille doit entreprendre une neuvaine. Le quatrième jour, le vent tourne quasi miraculeusement: son père est engagé comme voyageur de commerce pour une entreprise de peinture et double, sinon triple, le salaire qu'il recevait auparavant. Non seulement la vie peut reprendre son cours, mais le jeune Guy sera dorénavant en mesure de poursuivre ses études jusqu'à l'université. «De cette expérience, j'ai gardé le réflexe de ne pas trop m'en faire, sur le coup, lorsque surviennent des événements négatifs, qui peuvent finir par se révéler positifs.» Cette attitude lui vaudra, par exemple, de rebondir rapidement après sa mise à l'écart de la Caisse de dépôt et placement.
Vient le temps des études supérieures. Frondeur, Guy Savard décide en 1961 de s'inscrire à l'Université St. Francis-Xavier, en Nouvelle-Écosse. «J'étais déjà nationaliste, membre de l'Alliance Laurentienne (ancêtre du RIN), mais je me disais qu'il ne sert à rien de critiquer les autres si on ne va pas voir à quoi ils ressemblent.» Il est le seul francophone sur le campus, se fait élire au conseil étudiant, et prononce son premier discours en français «parce que le Canada est un pays officiellement bilingue». Il part deux ans plus tard pour terminer à Laval son baccalauréat en commerce, qui sera immédiatement suivi d'une maîtrise en sciences comptables et d'une autre en sciences commerciales.
Guy Savard est jeune, diplômé et bilingue. Le monde s'offre à lui. «Je suis arrivé juste au bon moment. La compétition était faible. Parce que je parlais français, je suis devenu le comptable recrue le mieux payé chez Touche Ross, à Montréal. Les grandes firmes voyaient qu'il leur fallait recruter des francophones, et ils étaient rares.» Il décide ensuite de créer son propre bureau à Sherbrooke, sous la raison sociale Larochelle, Savard, Gosselin Gobeil et associés. Gobeil, comme dans Paul Gobeil, qui deviendra plus tard ministre sous Robert Bourassa.
En 1970, l'Institut canadien des comptables agréés met sur pied un comité d'études sur la profession. Trois membres sont du Québec, dont Guy Savard. «J'en ai retenu que les bureaux québécois ne pesaient pas lourd face au Big 8 canadien, comme on appelait les grandes firmes, et qu'ils devaient absolument former de grands ensembles pour occuper l'espace. La fiscalité devenait plus délicate, les entrepreneurs commençaient à se développer, il ne fallait pas laisser tout le champ aux anglophones.» C'est alors l'époque des fusions. Guy Savard convainc ses partenaires de faire équipe avec Samson Bélair, dont la progression par acquisitions servira de modèle au Québec. «J'en suis très fier. Nous avons contribué à changer la société. Les experts francophones ont pu servir leur monde, des PME ont eu accès à des services de qualité et plusieurs sont devenues de grandes entreprises.»
Guy Savard n'a rien perdu de son penchant pour la politique. Durant son séjour de deux ans à la Commission politique du Parti Libéral du Québec, il apprend à connaître et à apprécier Robert Bourassa. «J'étais un de ses proches lorsqu'il est parti en exil après avoir perdu face au PQ, en 1976.» Quand il refera surface, au début des années 80, Guy Savard sera de nouveau à ses cotés. Il s'en est souvenu quand est venu le temps de nommer un président à la Caisse. «Lorsqu'il m'a téléphoné pour m'en parler, en 1990, je lui ai demandé: «Mais pourquoi moi?» Il m'a répondu: «Parce que j'ai confiance.» J'ai un peu hésité. En fait, je gagnais plus d'argent comme vice-président national chez Raymond Chabot Martin Paré. Mais le défi était trop tentant.»
L'épisode Caisse de dépôt et placement
Guy Savard n'est pas un néophyte en matière de grandes institutions publiques. Avant d'arriver à la Caisse, il siégeait déjà comme vice-président du conseil de la SDI depuis cinq ans. Sa nomination comme chef de l'exploitation fait cependant sourciller. «C'était l'époque de l'échec du Lac Meech, et l'opposition voyait en lui l'homme politique au lieu de l'expert», rappelle John Parisella, alors directeur général du Parti Libéral et aujourd'hui vice-président chez BCP Publicis. «Il avait pourtant tout à fait le profil de l'emploi. Sa nouvelle carrière le prouve d'ailleurs avec éloquence.» Autre ennui, la présidence est désormais bicéphale, puisque Jean-Claude Delorme occupe, lui, le fauteuil de président et chef de la direction. Cependant, la formule imaginée par Robert Bourassa a des ratés. Sur ses années à la Caisse et sur les relations diffici- les avec Jean-Claude Delorme, Guy Savard demeure discret. «Je vais garder cela pour mon livre. Ce sera une longue histoire.»
Richard Lesage, aujourd'hui premier vice-président et chef des placements pour la Société de gestion des placements du Nouveau-Brunswick, était quant à lui directeur des études économiques à la Caisse. «Guy Savard a toujours soutenu les gestionnaires de portefeuille, s'intéressant à tout, notamment aux nouvelles méthodes théoriques qu'il voulait voir mises en application. Croyez-moi, son impact a été réel, ne serait-ce qu'au regard de la gestion du risque dans les placements», dit-il. «C'est vrai que la Caisse est aujourd'hui une des meilleures en ce qui a trait à la gestion du risque, confirme l'ancien président. On l'avait commencée, et elle se poursuit. Je suis très fier de cet héritage. C'est l'avenir de l'industrie.»
François Beaudoin, président de la Banque de développement du Canada, lui attribue aussi le mérite d'avoir ouvert la Caisse de dépôt et placement aux réalités des PME et du capital de risque, «ce qui a également contribué à la rapprocher de la BDC, puisque tel est notre mandat. Ce travail s'est poursuivi chez Midland et chez nous, puisqu'il siège toujours à notre conseil, précisément du fait de son intérêt pour les PME».
Pour le reste, n'allez pas chercher des paroles acrimonieuses et un esprit revanchard chez Guy Savard. Au contraire. Il n'a que de bons mots pour la Caisse... d'autant plus qu'ils brassent et brasseront des affaires ensemble. «Nous disposons là d'une formidable institution qui permet au Québec de parler fort et d'occuper une place stratégique sur la scène financière internationale.» Quant à sa mise au rancart par le gouvernement de Jacques Parizeau, en 1995, il se fait philosophe. «C'est dans la nature des choses. Ce que l'État veut, Dieu le veut!»
Les ambitions de Merrill Lynch
Aujourd'hui, Guy Savard se retrouve sur le siège du conducteur. Merrill Lynch est le plus gros courtier de la planète, un géant mondial avec des ramifications dans 43 pays. Son équipe au Canada compte maintenant 1 300 représentants qui desservent 600 000 clients canadiens grâce à 121 succursales. Au Québec, ses effectifs totaux atteignent maintenant 500 personnes.
Est-ce que la montée en force de Guy Savard fait frémir? «Il est toujours délicat de statuer sur la concurrence», dit Pierre Brunet, le président de Lévesque Beaubien Geoffrion. «N'allez pas croire que nous avons le champ libre. La compétition a toujours été forte. Nesbitt Burns, Valeurs mobilières et les autres ne sont pas des manchots. Il est certain que Merrill Lynch ne débarque pas les mains vides, et ils ont été assez avisés pour choisir un homme compétent. On verra bien.» Chez LBG, la course à la succession de Pierre Brunet demeure ouverte, au moment où la firme vient de perdre deux vice-présidents exécutifs en quelques mois. Cette léthargie pourrait-elle avantager les concurrents? D'autres rappellent que Merrill Lynch avait rapidement lancé la serviette lors de sa première tentative canadienne, abandonnant après la récession des années 80 pour ne conserver qu'un petit bureau corporatif. Ses affaires au Canada ne représentent de toute façon qu'à peine 1% de ses revenus mondiaux, qui se chiffrent à 35 milliards de dollars américains. Ce nouveau débarquement sera-t-il le bon?
Guy Savard, lui, se sent comme un poisson dans l'eau. Il brasse de grosses affaires, tire des ficelles et peaufine ses relations. Son réseau à lui compte cinq personnes: deux fils dans la vingtaine, deux adolescentes et une femme dont il se dit chanceux qu'elle soit aussi compréhensive, car le travail le retient souvent tard au bureau. Le temps qu'il lui reste, il le consacre, entre autres, à la présidence de campagnes de financement qui profitent à une dizaine d'organismes sans but lucratif, de la Société d'arthrite de l'Estrie à l'Opération Enfant Soleil. Il est également le président fondateur de la Fondation du Musée des Beaux-Arts de Montréal, mise sur pied en 1994 à la grande satisfaction du président du musée, Bernard Lamarre. «Le musée prépare une importante campagne de financement, et vous allez voir que Guy Savard a su convaincre des personnalités éminentes d'en être les coprésidents.» «Nous avons perdu l'exposition Barnes au profit de Toronto parce que le musée n'avait pas d'argent. Une grande ville a besoin d'un grand musée», dit Guy Savard. Bernard Lamarre a déjà hâte de voir les résultats. «En passant, avez-vous noté que ce sont toujours les gens les plus occupés, comme lui, qui prennent le temps de s'occuper de causes importantes?»
«La meilleure image qui me vienne à l'esprit pour décrire votre bâtisseur, dit François Beaudoin, c'est celle d'un pianiste qui devient chef d'un orchestre symphonique. C'est le cheminement qu'a suivi Guy Savard. De grand comptable, il est passé au rang de grand financier. Et son influence n'a pas fini de s'étendre.»
---------
Texte publié dans le magazine Commerce en février 1999.