On compte sur les gouvernements et la philanthropie pour résoudre les problèmes sociaux et environnementaux. Et si les marchés financiers s'en mêlaient, eux aussi ? C'est le pari de l'investissement d'impact, qui conjugue capitalisme et philanthropie. Des placements dans des entreprises qui marient rendement financier et rendement social.
Il y a un an, RBC Banque Royale a lancé son premier fonds d'investissement d'impact, The Generator. Ce fonds de 10 millions de dollars qui finance des entreprises sociales est un test. Le pdg de RBC, Gordon Nixon, nourrit de grandes ambitions pour le secteur de la finance sociale. «Ce secteur créera de la valeur en étant à la fois une source d'occasions financières, mais aussi d'innovations sociales et d'amélioration du bien commun», a-t-il déclaré lors de l'inauguration du forum sur la finance sociale organisé en novembre 2012 par l'organisme torontois de promotion de l'innovation technologique MaRS.
Gordon Nixon n'est pas le seul financier à avoir flairé la tendance. Le mois dernier, Morgan Stanley a lancé l'Institute for Sustainable Investing. Ce poids lourd de la finance américaine compte attirer 10 milliards de dollars en investissement d'impact d'ici cinq ans. Deux semaines plus tard, Goldman Sachs emboîtait le pas avec un fonds de 250 M $ US.
En 2010, 1 105 projets d'investissement d'impact ont été réalisés dans le monde. En 2011, ce nombre a doublé, et il ne cesse d'augmenter depuis. JPMorgan estime que de 400 à 1 000 G $ US seront consacrés à l'investissement d'impact au cours de la prochaine décennie. Au pays, il a atteint 5,3 G $ d'actifs, nous apprend la Social Investment Organization, une communauté d'acteurs canadiens de l'investissement responsable. Cette somme devrait atteindre 30 G $ d'ici 10 ans, selon le «Canadian Task Force on Social Finance Report».
Qu'est-ce que l'investissement d'impact et pourquoi les institutions financières s'y intéressent-elles toutes en même temps ?
Il se situe à la frontière du capitalisme et de la philanthropie. Capitalisme, parce qu'il vise un rendement pour l'investisseur. Philanthropie, «parce que les investissements d'impact financent des activités qui répondent aux besoins humains essentiels - le logement, l'emploi, l'accès à des services de santé, la sécurité alimentaire, l'agriculture durable - ou qui ciblent des problèmes environnementaux», explique Sophie des Mazery, directrice de Finansol, l'association française de la finance solidaire.
Le marché du capital social
Le marché du capital social
Il s'agit de piger parmi les outils, les stratégies et les instruments propres au secteur financier pour résoudre les grands défis de l'humanité. Nous sommes dans l'univers des entreprises sociales. Celles-ci adoptent plusieurs structures : B Corp (entreprises à but lucratif certifiées pour leur haute performance sociale et environnementale), OBNL, entreprises à but lucratif, etc. Mais leur mission va toujours au-delà des rendements financiers. Les entreprises sociales remplissent une demande à laquelle les États n'ont plus les moyens de répondre et que la philanthropie ne peut satisfaire à une échelle suffisante, ajoute Andrew Tyndale, cofondateur du fonds Grace Mutual.
L'Australien a été banquier pendant 25 ans, jusqu'à ce que son employeur soit acculé à la faillite par la crise de 2008. «J'ai décidé de mettre mes compétences au service d'un autre marché, celui du capital social.» M. Tyndale est désormais banquier d'affaires pour le secteur des entreprises sociales. Il élabore des produits sur mesure destinés à recueillir des investissements d'impact dans l'immobilier. Tel un projet de logements de 20 M $ destinés aux aînés. Le promoteur a déjà recueilli 12 M $, le produit imaginé par Andrew Tyndale doit permettre de recueillir les autres 8 M $. Lorsqu'un projet immobilier pour aînés vise une clientèle fortunée, il s'agit d'un investissement traditionnel. Lorsqu'il s'adresse à une clientèle à faible revenu, le projet peut être considéré comme un investissement d'impact.
Il en va de même pour la création d'emplois. Le projet qui s'adresse à une clientèle fragile ou marginalisée rejoint l'esprit de l'investissement d'impact. Ce type d'investissement n'est pas lié à une catégorie d'actif en particulier. «C'est plutôt la mission que l'on confère à l'argent qui détermine s'il s'agit d'investissement d'impact», explique Adam Spence, directeur du MaRS Centre for Impact Investing, à Toronto.
Un placement traditionnel se limite au rendement financier. Il ne mesure pas nécessairement son impact positif ou négatif, poursuit M. Spence. L'investissement d'impact, lui, a une obligation de fournir des résultats extrafinanciers.
«Nos placements se dirigent là où il existe une demande, insiste l'Américain Ron Cordes, gourou de la finance et pionnier de l'investissement d'impact. Contrairement aux investissements classiques, nous n'essayons pas de créer la demande. D'ailleurs, seuls les investissements d'impact de mon portfolio ont résisté à la crise de 2008.»
En 2006, après la vente de sa société, AssetMark Investment Services, Ron Cordes a créé la Cordes Foundation, qui privilégie l'investissement d'impact.
Les trois types d'investisseurs d'impact
Les fondations sont l'un des trois groupes cibles d'investisseurs d'impact. Celles-ci ont beaucoup d'argent à investir et elles cherchent des placements en accord avec leurs valeurs. Il en va de même des personnes fortunées, qui constituent le deuxième groupe. Plusieurs cherchent une formule hybride, entre le don et la Bourse. Après le concept de consommateur responsable se dessine, lentement, celui d'épargnant responsable.
Les caisses de retraite aussi explorent le capital social - un terme générique qui inclut l'investissement d'impact - pour diversifier leur risque. Pour celles-ci, comme pour plusieurs grands et petits investisseurs, la désillusion post-2008 est au rendez-vous.
«Pendant la crise, seuls les produits financiers non corrélés aux marchés boursiers n'ont pas chuté», rappelle Rosalie Vendette, conseillère principale, investissement socialement responsable, au Mouvement Desjardins. «On note un désir croissant d'explorer des catégories d'actifs autres que celles qui ont engendré et perpétué la crise financière», peut-on lire dans «Social Finance Awareness and Opportunities in the Canadian Financial Sector», rapport des sociétés torontoises Venture Deli et Purpose Capital.
Si les Québécois ont peu entendu parler d'investissement d'impact, plusieurs connaissent le concept d'investissement responsable. Ce type d'investissement intègre des facteurs environnementaux, sociaux et de gouvernance dans la décision de placement. L'investissement d'impact est une des stratégies d'investissement responsable, explique Rosalie Vendette. Même le gouvernement chinois s'y met... «La Chine a investi dans le fonds que nous avons créé avec André Agassi pour bâtir des écoles dans les milieux défavorisés, raconte l'Américain Bobby Turner, de Canyon Capital Realty. Beijing veut que les Américains soient éduqués pour qu'ils s'enrichissent et puissent acheter leurs produits.» Avec Ron Cordes, Bobby Turner est un des ténors américains de l'investissement d'impact. Ils ont tous deux participé à la Milken Institute Global Conference 2013, à Los Angeles, à laquelle Les Affaires a assisté. Bobby Turner et Ron Cordes ont expliqué aux participants comment ce secteur passe à la deuxième phase.
Deuxième phase : bâtir l'écosystème
Deuxième phase : bâtir l'écosystème
On assiste, tranquillement, à la création d'un écosystème de l'investissement d'impact. Ça ressemble à ce qui s'est passé pour le capital de risque il y a 40 ans. En 1972, Don Valentine, le «grand-père du capital de risque à Silicon Valley», lançait Sequoia Capital. Tout était à bâtir : le capital de risque avait besoin de produits, d'intermédiaires, d'instruments de mesure et d'un langage commun.
Tout comme le secteur de l'investissement d'impact aujourd'hui. Mais l'écosystème prend forme.
En 2011, MaRS créé le MaRS Center for Impact Investing. Deux ans plus tard, en septembre 2013, ce centre lance la plateforme SVX Social Venture Connection. «Une agence de rencontres pour investisseurs et promoteurs», explique Adam Spence, du MaRS Center for Impact Investing. Il ajoute que SVX sera déployée au Québec sous peu.
L'investissement d'impact demeurera-t-il une voie parallèle ou infiltrera-t-il le secteur financier traditionnel pour lui donner un second souffle ? «Ses principes inspireront la prochaine étape de notre développement économique», croit Adam Spence, de MaRS. Les frontières sont moins nettes, ajoute Jonathan Erra, gestionnaire du fonds d'investissement d'impact The Generator, de RBC. «On ne s'entend pas sur la définition de l'investissement d'impact et c'est tant mieux, estime le banquier. Cela stimule la discussion et élargit le cercle de réflexion.»
Coca-Cola pratique-t-elle l'investissement d'impact lorsqu'elle investit pour réduire sa consommation d'eau ? «Pour l'instant, la réponse est non. La mission de Coca-Cola n'est pas sociale, poursuit le banquier. L'investissement d'impact débute par la mission de l'entreprise. Mais qui dit que, dans 20 ans, il ne sera pas possible de réaliser des investissements d'impact aussi dans des entreprises traditionnelles qui posent des gestes ayant un impact environnemental ou social mesurable ? La crise de 2008 a lancé un signal, le secteur financier doit explorer d'autres modèles.»