La situation est paradoxale. Alors que le Québec s’oppose au projet d’Ottawa de créer une commission unique des valeurs mobilières au Canada, la province pourrait perdre le contrôle de l’élaboration des règles encadrant le secteur de l’épargne collective, et ce, au profit d’un organisme d’autoréglementation pancanadien basé à Toronto.
L’enjeu est de taille. Ce débat survient alors que Québec vient de lancer Finance Montréal, un organisme chargé de développer la grappe financière de la métropole et de la faire sortir de l’ombre de Toronto.
Depuis le 1er octobre, sans tambours ni trompettes, l’Autorité des marchés financiers – le régulateur des valeurs mobilières au Québec, qui s’oppose lui aussi au projet d’une commission unique – mène une consultation au sujet de l’harmonisation de la réglementation dans le secteur de l’épargne collective (les fonds mutuels).
Au Québec, c’est la Chambre de la sécurité financière (CSF), un organisme d’autoréglementation, qui a la responsabilité de fixer les règles encadrant cette industrie. Cet organisme supervise aussi le secteur de l’assurance.
Dans la majorité des autres provinces, cette responsabilité échoit à l’Association canadienne des courtiers de fonds mutuels (mieux connu sous l’acronyme anglais de MFDA, pour Mutual Fund Dealers Association), un organisme d’autoréglementation de Toronto, qui compte entre autres parmi ses membres le Mouvement Desjardins et la Banque Nationale.
Adoptons les règles du MFDA
Pour faciliter l’harmonisation des règles dans ce secteur au Canada, l’Autorité des marchés financiers propose justement que l’industrie québécoise de l’épargne collective adopte les règles du MFDA.
La Chambre continuerait d’exister, et les représentants en épargne collective en activité au Québec auraient toujours l’obligation d’y adhérer. Mais l’organisme n’élaborerait plus de réglementation : il ne ferait qu’appliquer les règles déterminées par le MFDA.
La Colombie-Britannique, l’Alberta, la Nouvelle-Écosse, la Saskatchewan, le Manitoba, l’Ontario et le Nouveau-Brunswick appliquent déjà les règles du MFDA. Pour sa part, Terre-Neuve-et-Labrador étudie actuellement la possibilité de faire de même.
Vers un « autorégulateur unique » en épargne collective
La Chambre de la Sécurité financière est farouchement opposée à ce projet. Selon elle, la proposition de l’AMF la confinerait à un rôle d’exécutant et retirerait au Québec ses compétences en matière de réglementation dans le secteur de l’épargne collective, une industrie clef dans le monde financier.
« Si ce projet va de l’avant, on créerait de facto un autorégulateur unique au Canada avec le MFDA! », déplore le président et chef de la direction de la CSF, Luc Labelle.
Ce dernier s’étonne d’ailleurs de la position de l’AMF dans ce dossier. « Elle s’oppose pourtant au projet de commission unique des valeurs mobilières, et elle a milité en faveur du régime de passeport », dit-il.
Dans ce système de passeport, les autres provinces reconnaissent la juridiction et les décisions de l’AMF et vice-versa. Ainsi, depuis septembre 2009, la réglementation en valeurs mobilières est harmonisée entre les 10 provinces et territoires, à l’exception du Québec, dans le secteur de l’épargne collective.
Dans un entretien avec Les Affaires lors du récent Forum stratégique sur l’avenir du secteur financier à Montréal, organisé par la Chambre de commerce du Montréal métropolitain, le pdg de l’AMF, Jean St-Gelais, a déclaré qu’il ne voyait pas de paradoxe dans la proposition d’adopter les règles du MFDA au Québec.
« Il n’y a pas du tout de paradoxe, dit-il. Nous avons toujours indiqué que la réglementation québécoise devait être harmonisée avec celle du Canada partout où on pouvait le faire. Dans le cas de l’épargne collective, des fonds communs de placement, on pense qu’on devrait avoir les mêmes règles au Québec que partout ailleurs. »
Le patron de l’AMF souligne que les grandes institutions comme le Mouvement Desjardins et la Banque Nationale se conforment déjà aux règles du MFDA dans les autres provinces canadiennes.
Jean St-Gelais précise toutefois que le MFDA ne sera jamais reconnu au Québec comme un organisme régissant – faisant appliquer la réglementation - le secteur de l’épargne collective. Ce serait le rôle de la CSF.
Difficile d’utiliser le passeport en épargne collective
Une position qui ne satisfait pas du tout la Chambre de sécurité financière, qui propose, dans son mémoire, une alternative inspirée du régime de passeport.
Ainsi, pour les courtiers en épargne collective basés au Québec, la CSF serait chargée de réglementer leurs activités pour l'ensemble de leurs opérations au Canada. Quant aux courtiers basés hors du Québec, c’est la MFDA qui aurait la responsabilité de superviser leurs opérations au Québec.
Cette solution de passeport n’est pas aussi simple qu’elle n’y parait, affirme Richard Boivin, sous-ministre adjoint aux politiques relatives aux institutions financières au Ministère des Finances à Québec.
« La Chambre a une structure qui s’apparente à un ordre professionnel, tandis que le MFDA est un organisme où les membres sont des firmes de courtages, qui supervisent leurs représentants », dit-il.
Selon le sous-ministre, cela constitue un casse-tête réglementaire pour les firmes québécoises qui ont à la fois des activités au Québec et ailleurs au Canada. « Elles sont prises avec des règles très précises avec le MFDA et avec des règles basées sur des principes avec le CSF. »
La solution pourrait résider dans la transformation de la CSF en organisme dotée d’une structure similaire à celle du MFDA, où ce sont les firmes de courtage qui sont membres de l’organisme d’autoréglementation et non pas les représentants. La Chambre est d’ailleurs ouverte à ces changements.
Reste à voir ce que décidera le gouvernement du Québec. À la fin des consultations, l’AMF formulera des propositions au ministre des Finances qui devra trancher en 2011.