La syndique de la Chambre de la sécurité financière (CSF) peut-elle enquêter au sujet d'un conseiller qui a commis une faute relative à un produit ou à un service bancaire? Au moins cinq banques répondent non à la question en refusant de produire des documents relatifs aux fautes de leurs employés des institutions.
Une lettre envoyée à la CSF le 14 février dernier par le directeur des affaires juridiques de la Banque Nationale, Dominic Paradis, illustre le litige. La CSF se trouverait dans l'impossibilité de compléter une quarantaine de dossiers, incapable d'avoir accès à une série de documents.
Dans le cas de la Banque Nationale, le bras de fer se résume à deux choses : d'une part, rien dans les lois ne dit que « la Chambre de la sécurité financière puisse enquêter sur des actes dérogatoires à l'honneur ou à la dignité des représentants en épargne collective », pour des actes commis dans leurs fonctions de « banquier », écrit Me Paradis.
Il évoque notamment que le législateur n'a pas repris, dans les Lois sur la distribution des produits et services financiers (LDPSF) et sur les valeurs mobilières l'article 59.2 du Code des professions qui balise ce genre d'infraction.
En outre, dans le cas d'employés ayant commis une faute comme banquier et non comme conseiller, la Nationale est d'avis que les dossiers des clients que demandent les enquêteurs de la syndique - qui les contacte pour documenter la preuve- sont protégés par les différentes lois sur la protection des renseignements personnels.
Craignant d'engager sa responsabilité civile relativement à la confidentialité des documents qu'elle détient, la Banque Nationale propose une alternative : « la possiblité que les enquêtes soient menées par [l'AMF] », qui dispose de plus larges pouvoirs. Cela serait d'ailleurs « conforme à l'intention du législateur », poursuit Dominic Paradis, signalant les amendements à l'article 115 de la LDPSF qui permet à l'AMF de saisir le Bureau de décision et de révision en valeurs mobilières (BDRVM) du dossier d'un représentant.
Ailleurs au pays, l'Association canadienne des courtiers de fonds mutuels fait d'ailleurs appel aux commissions de valeurs provinciales le cas échéant, explique le vice-président de l'Application de la réglementation, Shaun Devlin.
Quant à savoir si des situations similaires à celle de la Chambre surviennent dans sa cour, il est peu loquace : « Je ne dis pas que ça arrive ou pas. Je dis simplement qu'on demande parfois aux régulateurs provinciaux, qui ont juridiction sur les banques, d'intervenir ».
Le législateur
Le ministre délégué aux Finances Alain Paquet, qui a amendé la LDPSF et l'article 115 l'an dernier, a réagi à la lettre de Banque Nationale. Il soutient que « c'est le droit des banques de faire valoir leur argumentation ».
Ne voulant pas s'immiscer dans un débat juridique, ni prendre fait et cause pour l'une ou autre des parties, il a cependant tenu à rappeler que « la volonté du gouvernement est de doter les Chambres [de la Sécurité financière et de l'Assurance de dommages] de tous les pouvoirs nécessaires pour accomplir leur mandat. Ce sera aux tribunaux de décider si la loi actuelle va assez loin dans ce sens ».
Dans un autre dossier, la Banque CIBC fait face à une demande d'injonction permanente déposée par la syndique, qui souhaite obtenir les dossiers relatifs aux congédiements de huit employés, CIBC refuse, plaidant également que les fautes ayant été commises dans le cadre d'activités bancaires au détail, et non de représentant en épargne collective, Caroline Champagne essuie des refus à ses demandes de production de documents depuis maintenant trois ans.
La législation québécoise est claire, soutient la syndique dans sa requête contre la CIBC déposée en février dernier : « la syndique a compétence pour enquêter au sujet des actes dérogatoires à l'honneur ou la dignité des différentes disciplines exercées par les membres de la Chambre ».
Au Québec, « l'Autorité des marchés financiers entretient de très bonnes relations avec ses assujettis et obtient une bonne collaboration dans ce genre de dossier », signale le porte-parole, Sylvain Théberge, dans un courriel en réponse à nos questions sur le cas CIBC, la semaine dernière.
« Les Chambres ont un rôle central à jouer en matière de déontologie des représentants. Les syndics doivent pouvoir utiliser pleinement les pouvoirs légaux qui leur ont été attribués », ajoute-il, disant réserver ses commentaires, la cause étant présentement devant un tribunal.
Contestation
La fronde des banques serait généralisée, selon Luc Labelle, PDG de la Chambre : une quarantaine de dossiers impliquant la CIBC, BMO, RBC, TD et la Banque Nationale seraient présentement en suspens à la suite du refus de collaborer des banques.
Quant à Alain Paquet, voit-il dans toutes ces affaires une querelle de juridiction, à l'instar de celle opposant les banques à charte et Québec concernant la Loi sur la protection du consommateur relativement aux pratiques en cours dans les contrats de carte de crédit?
« Le jugement de la Cour suprême de décembre dernier confirme les compétences provinciales en matière de valeurs mobilières. Lorsqu'on parle de droit civil et de protection du consommateur, c'est de juridiction provinciale. Peu importe la charte sous laquelle l'institution opère. C'est la protection du consommateur qui est importante. Peu importe la nature économique du contrat. »
« Dans la situation actuelle de la loi, il faudrait que la Chambre ait recours aux tribunaux pour avoir un subpoena, ou demande à l'AMF d'intervenir », explique la porte-parole de la Banque Nationale, Joan Beauchamp, au sujet des intentions de la banque. Répondre aux demandes de la syndique concernant les renseignements personnels « nous placerait en infraction à la loi sur les renseignements personnels », insiste Joan Beauchamp.
Dans le dossier l'opposant à la CSF, la Banque a d'ailleurs accepté de fournir le dossier du représentant à la syndique, celui-ci ayant consenti sa divulgation.
Joan Beauchamp concède que si la banque pose effectivement la question de l'étendue des pouvoirs de la syndique, « c'est seulement pour clarifier la portée de la juridiction de la CSF et de l'AMF », dit-elle, insitant sur le fait que la banque « ne conteste pas la juridiction » de la CSF.
À l'Association des banquiers canadiens, Jacques Hébert a refusé de commenter la situation. « Nous n'avons aucun mandat pour le faire. »
Corriger l'article 115
Appelé à commenter sur ce que nous lui avons rapporté des dires d'Alain Paquet, Luc Labelle, président et chef de la direction de la CSF, dit se réjouir que « le ministre saisisse l'occasion pour rappeler son intention de doter les chambres de tous les pouvoirs nécessaires pour accomplir adéquatement » leur mandat.
Il remarque cependant que même si l'esprit de l'article 115 n'est pas que les banques puissent se soustraire aux demandes du syndic de la Chambre, « nous l'avions bien mis en garde, à l'automne [2011, lors des consultations sur le projet de loi 7, qui amendait la LDPSF], que c'était une des conséquences envisageables de l'article 115 ».
Il fait valoir que si ce n'est pas l'intention du législateur de marginaliser le rôle de la CSF et de l'autoréglementation, il aurait avantage à s'assurer que « s'il y a un effet pervers à l'article 115 », qu'il soit corrigé. Et ce, plus tôt que tard, « plutôt que d'aller devant les tribunaux, ce qui va coûter une fortune ».
Le problème n'est pas que théorique : « on a eu des dossiers de représentants dans le même cas qui, après enquête disciplinaire, ont été radiés ». Actuellement, comme les banques refusent de collaborer, « il y a des personnes qui sont dans la nature, qui ne sont pas radiées » et qui posent peut-être une menace pour la protection du public.
« C'est ce que la syndique cherche à savoir. Si c'est une question administrative ou technique, on ferme le dossier. » D'ici à ce que la question se règle, il juge que « c'est faire payer très cher au public la protection d'une réputation bancaire ».