Finis, les investissements dans les mines antipersonnel et les bombes à sous-munitions. La Caisse de dépôt et placement du Québec revoit ses règles en matière d’investissement responsable et se débarrasse des entreprises qui en fabriquent, explique le premier vice-président et chef des placements, Roland Lescure, en entrevue avec Les Affaires.
« Il y a des conventions internationales signées par le Canada qui interdisent leur production, dit Roland Lescure, joint dans par Les Affaires. Donc on considère qu’on se doit de se conformer au droit et d’exclure ces investissements. »
Mais il insiste : « C’est une exception qui confirme la règle. » La règle, c’est que la Caisse n’adopte aucun autre « filtre d’exclusion » qui bannirait, par exemple, les fabricants d’armes nucléaires ou de cigarettes. Pour l’énorme majorité de ses investissements, l’institution agit plutôt de l’intérieur, en tant qu’actionnaire, lors des discussions avec les dirigeants ou des votes aux assemblées.
Au dernier rapport annuel disponible, celui du 31 décembre 2009, la Caisse comptait pour plus de 45 millions de dollars d’investissements dans des entreprises reconnues pour participer à la fabrication de mines antipersonnel ou des bombes à sous-munitions. Et ce, même si le Canada a ratifié la Convention sur l’interdiction des mines antipersonnel et signé la Convention sur les armes à sous-munitions.
Selon les « renseignements additionnels » au dernier rapport annuel de l’institution, la Caisse détenait des titres ou des obligations de Textron, Hanwha Corporation, Singapore Technologies Engineering, General Dynamics, Lockheed Martin et Raytheon. Toutes ces entreprises sont bannies par le Fonds de pension de Norvège parce qu’elles fabriquent ces armes prohibées.
Pour l’instant, Roland Lescure préfère ne pas nommer les entreprises bannies. « Le dialogue continue. On souhaite, en indiquant aux entreprises qu’elles ont été exclues, leur donner la chance de revenir en arrière, et, pourquoi pas, de changer leurs pratiques », dit-il.
En fait, le public devrait pouvoir constater quelles entreprises sont écartées au dépôt du prochain rapport annuel, que l’institution doit publier d’ici le 15 avril. « C’est très marginal dans notre portefeuille », assure Roland Lescure.
Couper les capitaux à la source
Handicap International Canada est membre de la coalition Mines Action, qui lutte pour que cesse la fabrication des mines antipersonnel et des bombes à sous-munitions. Son directeur par intérim, Christian Champigny, se réjouit de cette nouvelle exclusion des entreprises impliquées dans cette industrie.
« On est très contents, dit-il. La source des capitaux, c’est le nerf de la guerre. »
Spécialiste du risque fiduciaire dans les fonds de pension, Robert Pouliot croit de son côté que la Caisse aurait dû agir « bien avant ». Pour lui, le boycott des entreprises fabriquant ces armes, « c’était élémentaire ».
L’Office d’investissement du Régime de pension du Canada, le deuxième plus important fonds de retraite au pays, bannissait déjà les entreprises fabriquant des mines antipersonnel quand Les Affaires s’est penché sur la question pour la première fois, en mai 2010.
Ce n’était toutefois pas le cas du Régime de retraite des enseignants de l’Ontario (Teachers), ni de celui des employés municipaux de l’Ontario (OMERS).
La Caisse n’écrase pas
Si elle exclut les fabricants d’armes prohibées, la Caisse a néanmoins décidé de conserver ses intérêts dans les entreprises actives dans l’industrie du tabac. Au 31 décembre 2009, l’institution comptait pour 235 millions de dollars en actions de cigarettiers, incluant près de 120 millions dans Philip Morris International.
Robert Pouliot pense que l’institution financière devrait envisager de bannir également le secteur du tabac, « un produit qui est toujours nocif, même pris avec modération, même pour les autres autour de soi ».
Au 31 décembre 2009, la Caisse détenait aussi pour 45 millions en actions d’entreprises participant à la fabrication d’armes nucléaires, comme BAE Systems PLC et GenCorp.
À la Caisse, Roland Lescure répond que ces produits sont permis par la loi. « Nous, on s'est mis d'accord sur une règle : on a besoin d'avoir un critère objectif pour exclure un investissement. Le tabac, la junk-food, l'alcool, l'armement... Nous ne sommes pas plus habilités que d'autres pour décider de ce qui est moral ou pas dans tout ça. »
Le chef des placements ajoute que certains excluraient l'alcool, alors que d'autres préféreraient bannir le nucléaire... « Si vous mettez la frontière quelque part, de façon très claire, vous allez peut-être obtenir des rendements décevants, sans satisfaire quiconque d'un point de vue moral. »
Autres mesures
L’institution financière met aussi sur pied un nouveau comité d’investissement responsable. Il sera composé de membres indépendants et devra continuellement évaluer les pratiques du gestionnaire de fonds à cet égard.
Le gestionnaire veut aussi redoubler d’efforts pour s’assurer que les entreprises dans lesquelles il place l’argent des Québécois aient les critères environnementaux, sociaux et de gouvernance en tête. « La Caisse était particulièrement exemplaire pour les actions canadiennes. On souhaite progressivement élargir ça aux autres classes d’actifs, dit Roland Lescure. On votre beaucoup sur les actions internationales, mais on souhaite aller au-delà. » Par exemple, l’institution souhaite également demander des comptes aux entreprises dont elle ne détient que des obligations, sans participer au capital action.
La Caisse veut finalement concentrer son effort sur des enjeux spécifiques, identifiés avec l’aide du comité d’investissement responsable, plutôt que de diluer ses efforts dans toutes les directions.