Chao-Jun Li est difficile à joindre tant il est occupé. Il est l'un des chefs de file en matière de chimie verte au Canada, est titulaire d'une chaire de recherche dans le domaine et enseigne à l'Université McGill. Son emploi du temps chargé ne l'empêche pas de discuter longuement sur son sujet de prédilection en entrevue.
Le concept de la chimie durable est simple, explique-t-il. Il s'agit de repenser la science traditionnelle à la lumière de procédés plus efficaces et moins polluants.
Un exemple simple serait d'utiliser l'eau comme solvant plutôt que de recourir à des composés chimiques. Ou alors, ce pourrait être d'éliminer des étapes ou des composants et de produire moins de déchets. Deux raisons poussent une entreprise à se tourner vers cette nouvelle approche, selon le chercheur : devenir bonne citoyenne corporative, mais surtout, affirme M. Li, gagner en efficacité en étant moins polluante et plus productive. Résultat pour l'entreprise : moins de dépenses pour les matières premières et moins de coûts associés à la gestion des déchets. Les applications concernent presque tous les domaines : de l'éthanol à la production de médicaments, du papier et, bien entendu, de produits chimiques.
Certaines industries connaissent bien le concept : L'Oréal, Pfizer et Tembec par exemple. D'autres tardent toutefois à s'y intéresser.
" Au Québec, il y a une foule de petites PME qui font des produits chimiques ", soutient M. Li. Ce sont des fabricants de solvants et de peintures, soit des entrepreneurs qui pourraient bénéficier des progrès de la chimie. " Pour les petites entreprises, les investissements pour s'adapter ne sont pas énormes et représentent un avantage important " vis-à-vis du reste du Canada, de l'avis de l'universitaire.
Michel Lachance est un de ceux qui travaillent d'arrache-pied pour faire connaître cette nouvelle chimie auprès des entrepreneurs. Le Centre québécois de la valorisation des biotechnologies (CQVB), où il est directeur du secteur des bioproduits industriels et des technologies vertes, vise à faire la promotion de ces méthodes. " Les investisseurs s'y intéressent ", affirme-t-il. Selon lui, les technologies propres attirent désormais davantage de capitaux que l'informatique.
Pour mieux faire connaître le secteur des bionettoyants, M. Lachance souhaite constituer un noyau regroupant la trentaine de sociétés dans le domaine au Québec. " On va développer cette filière de façon concrète durant la prochaine année ", promet-il. Il veut créer une synergie entre les entreprises et faire du Québec " un chef de file dans les bionettoyants ".
Donner l'exemple
Martin Geet Éthier connaît bien les produits chimiques. Il les a longuement étudiés dans le cadre de son livre Zéro Toxique, qui dresse un portrait sombre de l'industrie. Selon lui, la chimie verte est dorénavant " incontournable ".
" Clairement, il y a un marché pour les produits écologiques ", dit-il. Adopter la mode du vert, c'est se placer du côté des gagnants, estime-t-il. " L'industrie peut faire de bons coups et les faire valider ", selon l'auteur, par des moyens simples comme la certification Éco-Logo. " Les gens ne s'intéressent pas aux comportements délinquants ", investisseurs et citoyens confondus.
" Une des difficultés, c'est de démarrer quelque chose ", résume le dirigeant du CQVB. Permettre à ces produits verts d'occuper une place sur le marché demeure laborieux. " Ce qui manque au Québec, c'est une vision claire de développement, ajoute Michel Lachance. Si le gouvernement donnait l'exemple, cela pourrait en inciter d'autres à emboîter le pas. "
Même constat chez Innu-Science, spécialiste des nettoyants verts. Invariablement, dans tous ses appels d'offres, le gouvernement ajoute désormais un volet environnemental. Mais le prix pèse plus que tout dans la décision. " Difficile d'être concurrentiel dans ce contexte ", laisse tomber Steve Teasdale, vice-président directeur chez Innu-Science. Une situation " fâcheuse ", dit-il, surtout que les budgets d'opération, notamment pour les produits d'hygiène, ne représentent pas de gros montants.
Mohammed Benyagoub voit l'avenir dans le matériau biosourcé, c'est-à-dire dans l'utilisation d'organismes vivants pour créer des produits chimiques plus verts. Directeur exécutif du Consortium de recherche et innovations en bioprocédés industriels au Québec (CRIBIQ), il s'oriente davantage vers le biomatériel - l'utilisation par exemple d'enzymes ou d'acides aminés - pour fabriquer des produits chimiques. En 2020, le marché des matériaux biosourcés pourrait atteindre un chiffre d'affaires de 200 milliards de dollars, selon cet expert.
Nous avons les ressources, au Québec, assure-t-il. Seul le financement manque.