Ce printemps, le fabricant de médicaments génériques Teva s'est retrouvé devant la Cour suprême du Canada dans une cause qui l'oppose à Pfizer, un autre géant pharmaceutique. L'enjeu de cette saga judiciaire : le brevet du Viagra et le milliard de dollars de chiffre d'affaires annuel que Pfizer réalise grâce à ce médicament contre la dysfonction érectile.
Dans cette lutte qui dure depuis plusieurs années, Teva Canada veut obtenir l'autorisation de produire une version générique de la lucrative petite pilule bleue, protégée jusqu'en 2014 par le brevet de Pfizer. De son côté, la société d'origine a entamé des procédures pour renouveler le brevet du Viagra et de son ingrédient actif, le sildénafil, jusqu'en 2019.
Ce feuilleton judiciaire n'est qu'un épisode de la lutte sans merci que se livrent les sociétés pharmaceutiques pour la mainmise sur les brevets des médicaments à succès et sur les revenus colossaux qu'ils génèrent.
Pour faire tomber la forteresse des brevets avant l'échéance des 20 ans, les fabricants de génériques font appel à un arsenal de stratégies. En 2010, l'ontarienne Apotex lançait Apo-Atorvastatin, la version générique du Lipitor fabriqué par Pfizer. Or, le dernier brevet de ce médicament ne relèvera du domaine public qu'en 2022. Pour la société canadienne, il n'était pas question d'attendre et de laisser échapper des revenus importants. Elle a réussi à commercialiser, 12 ans avant l'échéance de la protection légale, sa propre formulation du produit, qui n'est pas assujettie à ces brevets.
Des mécanismes de défense
Pour protéger leur propriété intellectuelle et les revenus qui y sont associés, les grandes pharmaceutiques déploient de solides mécanismes de défense. Elles peuvent multiplier le nombre de brevets déposés pour un seul médicament (par exemple, plus de 120 pour l'anticoagulant Lovenox de Sanofi-Aventis). Les brevets peuvent couvrir divers aspects du produit : la substance active, la manière dont le médicament agit sur l'organisme ou encore la façon dont il est administré.
"Souvent, les établissements mettent au point de nouvelles manières d'administrer un même médicament, par exemple en le combinant avec un autre ou en le proposant sous une forme légèrement différente qui, elle aussi, est brevetée", précise Stéphane Georgiev, agent de brevets chez Smart & Biggar. Les sociétés pharmaceutiques peuvent aussi s'adresser aux tribunaux et faire traîner en longueur les procédures tout en provoquant la suspension de la vente des génériques durant cette période.
Une facture salée
Rien d'étonnant, donc, à ce que les frais juridiques comptent parmi les dépenses les plus importantes relativement à la production d'un médicament générique.
Apotex investit chaque année près de 100 millions de dollars en frais d'avocat à ce chapitre, précise Élie Betito, porte-parole de la firme. Sandoz Canada emploie pour sa part quatre experts à plein temps affectés à ces recours, en plus de faire appel à des firmes externes.
20
Durée, en années, de la protection du brevet d'un médicament avant qu'il ne tombe dans le domaine public.
15
Période, en années, durant laquelle le gouvernement du Québec rembourse le prix du médicament d'origine même si une version générique existe.