Le médicament générique pourrait battre en brèche une industrie des molécules d'origine en perte de vitesse, grâce à une courbe de croissance qui grimpe en flêche.
Reactine, Prozac, Gaviscon, Lipitor... Ces blockbusters de l'industrie pharmaceutique ont fait la fortune des sociétés qui les ont développés. Ils contribuent à enrichir aussi les fabricants de génériques qui se sont empressés de les reproduire une fois les brevets échus.
Les médicaments génériques représentent la moitié des ordonnances délivrées au Canada. Pour l'année 2010 seulement, les ventes de ces molécules dans les hôpitaux et les pharmacies du pays se sont élevées à 5,7 milliards de dollars (G$), soit le quart des ventes totales de médicaments. Au Québec, ils représentent 20 % des dépenses totales en médicaments.
Et ce n'est pas fini. Le secteur du médicament générique est promis à une croissance soutenue. Ses parts de marché ne cessent d'augmenter. Les ventes ont doublé au cours des cinq dernières années. Et elles devraient continuer de croître régulièrement de plus de 2 % par an d'ici 2015, selon les prévisions de l'Association québécoise des pharmaciens propriétaires. En comparaison, les ventes de médicaments de marque n'ont augmenté "que" de 22 % depuis 2005, et leur décroissance s'annonce au cours des prochaines années.
"Les choses ont bien changé durant les 15 dernières années. Le développement de molécules par les entreprises innovatrices est de plus en plus coûteux. De plus, le poids des médicaments pèse lourd sur les budgets des gouvernements. Le vent est donc favorable pour les génériques. À preuve, bon nombre de sociétés innovatrices se lancent dans cette voie", constate Jacques Gagné, vice-président de Montréal In Vivo, la grappe de l'industrie des sciences de la vie de la région métropolitaine. Pfizer, Novartis, Teva : les grands acteurs mondiaux ont commencé depuis quelques années déjà à acquérir des fabricants de génériques, signe que le filon est prometteur.
Des vents favorables
Les fabricants de médicaments génériques ont mieux résisté que les autres aux soubresauts qui ont agité l'industrie pharmaceutique au cours des cinq dernières années. Une des raisons : "Ils ont besoin de moins de financement pour la recherche et sont moins soumis à la disponibilité du capital de risque qui s'est considérablement tari depuis quelques années", dit M. Gagné.
Il faut dire que l'industrie du générique a des alliés de taille : le vieillissement de la population et l'augmentation démographique stimulent la demande mondiale pour des médicaments à moindre coût dans les États occidentaux, aux prises avec des problèmes de financement des soins de santé, comme dans les pays émergents, tels que le Brésil, l'Inde, la Russie et la Chine, qui font appel de plus en plus aux médicaments génériques.
Or, les génériques, qui exigent moins de dépenses en R-D et en marketing que les molécules originales, coûtent en moyenne de 30 à 40 % moins cher que leurs équivalents d'origine. Au Canada, par exemple, leur utilisation représente pour les gouvernements des économies annuelles de plus de 3 milliards de dollars (G$), dont plus de 1 G$ au Québec.
Turbulences à l'horizon
Pourtant, cette industrie, qui génère des milliards de dollars en retombées, est méconnue et souffre d'un problème d'image. On associe souvent les fabricants à des "copieurs" de médicaments. Certains consommateurs croient également que la version générique n'est pas aussi efficace que l'original.
"Le générique n'a pas toujours été bien vu. Pourtant, il fait partie de la solution. En raison des coûts de santé qui augmentent, on a besoin de s'assurer que ces médicaments vont être utilisés davantage et que toute la société en bénéficiera", déclare Luc Martinovitch, vice-président des ventes au Québec d'Apotex, géant canadien du médicament générique qui produit 1,2 milliard de pilules par mois.
L'accès au marché est un autre enjeu important pour les acteurs de l'industrie. La lenteur des procédures réglementaires au Québec par rapport aux autres provinces retarde la commercialisation et prive de revenus les fabricants de génériques. "Raccourcir les délais est un impératif. Il faut environ deux ans pour obtenir la licence de Santé Canada et de 6 à 9 mois avant de figurer sur la liste de remboursement de la Régie de l'assurance maladie du Québec. Il faudrait réduire ce délai total au moins de moitié", estime Michel Robidoux, président de Sandoz Canada.
Moins de nouvelles molécules
Autre sujet de préoccupation pour l'industrie : les entreprises innovatrices produisent de moins en moins de nouvelles molécules à reproduire. De 2002 à 2006, les pharmaceutiques ont commercialisé près de la moitié moins de nouveaux médicaments innovateurs comparativement au cinq années précédentes. Autant de versions génériques en moins à développer, et donc de revenus potentiels, pour les fabricants de génériques dans le futur.
Les blockbusters devenant de plus en plus rares, les fabricants de médicaments génériques sont amenés à revoir leur modèle d'affaires pour trouver de nouvelles sources de revenus. Ils innovent pour développer de nouvelles gammes de produits afin de percer de nouveaux marchés. Ils ouvrent leurs horrizons en nouant des alliances à l'international, comme Pharmascience, qui accentue sa présence en Asie et en Europe de l'Est. Ils planifient des acquisitions ou des regroupements avec d'autres entreprises ciblées.
Le corridor Québec-Ontario
Le pôle des sciences de la vie mis en place en 27 juin dernier par les gouvernements du Québec et de l'Ontario permettrait de donner naissance à l'une des grappes les plus importantes à l'échelle mondiale dans le secteur du médicament générique, selon un rapport de la firme PricewaterhouseCoopers. Ce pôle regrouperait une masse critique de 16 entreprises et de 11 000 emplois. La région du Grand Toronto dispose d'une des plus importantes concentrations dans le développement et la fabrication de médicaments génériques, avec près de 8 000 emplois. On retrouve en Ontatio des géants comme Apotex (Toronto) et Teva (Scarborough). Actuellement, presque tous les médicaments génériques vendus au Canada sont fabriqués dans les régions métropolitaines de Toronto et de Montréal.