C’est dans l’amertume et l’inquiétude que 600 travailleurs et plusieurs retraités de la papetière White Birch de Québec ont manifesté cet après-midi à la fin du dernier quart de travail de l’usine. Elle ferme ses portes pour une durée indéterminée, malgré une quarantaine d’embauches récentes et un carnet de commandes rempli au moins jusqu’à la fin du mois.
«J’espère que le gouvernement se mêlera de cette histoire parce qu’elle est pire que celle de Norbourg», s’est exclamé, indigné, le retraité Paul-André Lachance, 65 ans. Il craint de perdre toutes ses rentes dans le naufrage de l’entreprise.
La White Birch s’est placée sous la protection de la Loi sur les arrangements avec les créanciers en février 2010 et tente de faire adopter une nouvelle convention collective à ses employés pour faciliter la vente de l’usine. L’acheteur potentiel, le fonds d’investissement Black Diamond, exige la terminaison du fonds de retraite en raison de son déficit actuariel de 312 millions de dollars. Les deux parties ont jusqu’au 17 février pour conclure une transaction.
À la mi-novembre, White Birch, qui possède aussi des usines à Rivière-du-Loup et Gatineau, annonçait pour le 9 décembre la fermeture de l’usine de Québec. Pour le syndicat, il s’agit d’un lock-out déguisé.
«On ferme pour nous faire accepter un contrat de travail dont on ne veut pas», a affirmé le représentant Daniel Larouche du Syndicat canadien des communications, de l'énergie et du papier (SCEP-FTQ).
Le syndicat s’est adressé à la Cour supérieure pour faire déclarer nulle la fermeture et redonner aux travailleurs leur droit de grève, mais le juge Robert Mongeon vient de rejeter cette requête et a décrété que l’entreprise avait le droit de fermer l’usine. Le syndicat demande aussi à la cour d’ordonner à White Birch de verser les cotisations impayées depuis plusieurs mois au régime de retraite. Cette question sera débattue au tribunal en janvier.
Pendant que l’employeur prend congé de cotisations, 5,8M $ ont été versés par les trois usines québécoises de White Birch au propriétaire Peter M. Brant pour des frais de gestion au premier trimestre de 2011. Cela donne l’impression aux employés de se faire voler leur dû.
Le syndicat est prêt à concéder des baisses de salaires de 17% afin de sauver son régime de retraite à prestations déterminées, mais la partie patronale, qu’il a été impossible de joindre, demeurerait inflexible quant à ses exigences.
«Aucune offre n’a été faite au syndicat, je n’ai pas le sentiment que les patrons étaient de bonne foi. Il n’y a d’ailleurs jamais eu d’investissement pour rendre l’usine plus concurrentielle. Et ce qui arrive est assez «cheap» juste avant Noël», se désolait un père de famille de 44 ans, qui venait d’obtenir une permanence après 25 ans de service à la machine à carton. Il songe aujourd’hui à retourner aux études.
Plusieurs travailleurs ne croient pas à une réouverture de l’usine et, si elle arrive, ils envisagent que ce sera à court terme; aussi les plus jeunes cherchent ailleurs.
Les 600 emplois perdus à Québec, payés de 55 000$ à 60 000$ par année en moyenne, représentent une masse salariale annuelle de 30 M $. La White Birch soutiendrait par ailleurs plus de 2000 emplois indirects dans la région. Le syndicat soutient qu’une étude commandée par la direction de l’usine il y a quelques années faisait état de retombées économiques de 235 M$ pour Québec.
La ville même va perdre des revenus, car l’usine lui achète de l’électricité générée par l’incinérateur municipal.
Joint en fin de journée, le contrôleur Martin Rosenthal de la firme Ernst & Young, a indiqué que si des embauches avaient été faites récemment, c’était pour pallier à des départs et permettre la continuité de la production. L’usine de Québec a perdu 500 000$ au premier semestre de 2011, a-t-il souligné, et 4,2 M$ au deuxième semestre. Il a indiqué que les coûts de production de carton sont plus élevés que dans les autres usines de White Birch; la différence serait en moyenne de 56$ la tonne.
«Le prix marchand ne peut supporter une telle différence», a-t-il justifié.
Les machines de l’usine de Québec sont plus vieilles, nécessitent plus d’entretien et donc plus de personnel. Aussi, la moyenne d’âge des travailleurs étant plus élevée, les salaires commandés vont de pair.